Je n’ai passé que 2 jours dans la ville de El Khalil et pourtant j’y ai ressenti tout un tas d’émotions. J’entendais parler de cette ville depuis mon arrivée en Palestine et je ne cessais d’être mise en garde sur le degré de tensions présent là-bas. La Palestine est déjà en soi une prison à ciel ouvert mais à El Khalil, le sentiment d’étouffement est à son comble.

Fin janvier, j’ai quitté Ramallah en bus un dimanche après-midi. Je suis passée comme maintes fois avant cela devant le checkpoint de Kalandia, celui qui mène à Jérusalem, j’ai traversé Bethléem, circulé dans les montagnes avant d’arriver en fin de soirée à El Khalil. Je suis la dernière passagère dans le bus et le conducteur me dépose près d’une mosquée où je vais rejoindre Mohamed, l’un des volontaires d’une association palestinienne. L’objectif des associations palestiniennes de cette ville est de venir en aide aux familles pour les aider à rester à Al Khalil. Le but des colons étant de s’étendre, ils usent de tous les moyens pour pousser les Palestiniens à quitter leur maison afin de pouvoir ensuite s’en emparer et gagner du territoire. La situation est la même partout en Palestine mais elle est particulièrement grave à Al Khalil.

Je suis un peu en retard, le tour politique du soir a commencé, je les attrape au passage. La visite consiste à nous montrer depuis les hauteurs les différentes parties de la ville, où comment elle a été morcelée et comment cela a résulté en une véritable ségrégation entre Palestiniens et Israéliens au sein même de la ville. A un moment-donné, on tombe devant le bureau de je ne sais quel groupe israélien, 2 colons sont à l’extérieur. En nous voyant, les 2 colons commencent à nous insulter et à diriger des gros faisceaux de lumière sur nous pour empêcher le tour de se dérouler normalement. Puis nous allons rendre visite à une famille qui vit près d’une prison israélienne et qui sont régulièrement victimes d’agressions. Comme d’habitude, malgré la gravité de la discussion, tout le monde blague, sourie, propose un thé, des fruits, des biscuits. Pourtant cette famille a vécu l’enfer, elle survit en partie grâce à l’association. En rentrant au centre de l’association ce soir-là où je serai hébergé pour ces 2 jours, je suis épuisée. Il y a quelque chose de lourd ans l’air, et j’ai les témoignages de cette famille qui tournent en boucle dans ma tête.

Le lendemain, nous nous rendons dans le centre-ville pour la suite du tour politique. Pour rejoindre le centre-ville, il faut passer l’un des innombrables checkpoints de la ville que des centaines de personnes doivent franchir quotidiennement. Il faut parfois attendre des heures et bon nombre de Palestiniens subissent des insultes et des humiliations permanentes.

On passe un premier checkpoint et très vite on comprend que quelque chose cloche vraiment dans cette ville. La colonisation est ici visible partout : il y a par exemple la rue Shohada qui a été fermée, isolant ainsi une partie de la population. Les associations luttent pour la réouverture de cette rue. Dans une autre rue plus loin, au dessus de la ruelle entre 2 bâtiments, un grillage protège les habitants des ordures jetées par les colons israéliens qui vivent au dessus sur les passants palestiniens.

Mais le plus impressionnant dans la ville, c’est qu’il n’y a plus grand monde. Ce n’est pas pour rien que l’on appelle Al Khalil « Ghost Town » (« La ville fantôme »). Humiliations, violences, arrestations arbitraires, évictions de leur maison, fermeture des épiceries et autres boutiques, la vie des Palestiniens est devenue un enfer et beaucoup n’ont eu d’autre choix que de fuir.

Les maisons récupérées par les Israéliens sont marquées d’une croix de David. Une façon de faire étrange qui ne peut que rappeler comment les maisons des Juifs et les Juifs eux-mêmes étaient marqués de cette croix de David pendant la Seconde Guerre Mondiale.

Le tour politique s’arrête lorsque nous arrivons à une partie de la ville où Mohamed ne peut pas aller. En effet toute une partie de la ville est interdite d’accès aux Palestiniens. Il nous invite pourtant à continuer pour voir le quartier.

Un soldat israélien se joint à un autre tour politique…

Après avoir fini le tour, je suis allée visiter la mosquée qui abrite le tombeau des Patriarches, c’est-à-dire le tombeau d’Abraham ou Ibrahim, le père fondateur des 3 religions monothéistes. En 1994, pendant la prière du vendredi du mois de Ramadan, un colon israélien est entré dans la mosquée et a tué 29 Palestiniens et en a blessé 125 autres. La mosquée a été fermée pendant 8 mois et, à sa réouverture, les Palestiniens ont pu découvrir que quasiment la moitié de la mosquée avait été transformée en synagogue. Désormais il y a 2 entrées pour le bâtiment : une pour les Musulmans et une pour les Juifs. L’entrée pour les Juifs n’est réservée qu’aux Juifs et celle pour les Musulmans est « protégée » par les Israéliens via un nouveau checkpoint. J’ai vu de nombreux Palestiniens devoir se soumettre à des contrôles de sécurité stricte avant de pouvoir se rendre dans leur lieu de culte.

Après ce tour riche en émotions, il était bon de rentrer au centre de l’association et d’y retrouver tous les volontaires autour du feu préparé dans la cour. Comme la veille, tout le monde parlait, écoutait de la musique arabe, riait. Ce soir-là, j’ai préparé un koshary (un plat traditionnel égyptien) pour tout le monde. Je ne crois pas que tout le monde est aimé mais ils ont apprécié le geste, c’est déjà ça ! Les rires et l’espoir malgré la haine à quelques pas. Juste derrière le centre, c’est un quartier entier qui a été colonisé. Les Palestiniens ont été expulsés de leur maison par la force en même temps que des familles israéliennes s’y installaient, les affaires des anciens propriétaires parfois encore à l’intérieur. Si on fait le tour du centre, on voit ces maisons depuis l’arrière et les 2 soldats qui les protègent jour et nuit. Parfois dans la nuit, ils viennent toquer sur les portes et les fenêtres du centre. Ce dernier a même déjà été cambriolé par les soldats.

 

Pendant mon court séjour à Al Khalil, j’ai eu la chance de rencontrer Esraa avec qui je me suis très vite liée d’amitié. Esraa est une Suissesse d’origine égyptienne qui vient régulièrement en Palestine. Cette fois-ci, elle était volontaire dans l’association afin d’aider pour les tours politiques ainsi qu’à la mise en place des différentes campagnes. Elle a publié sur FB 4 portraits d’habitants d’Al Khalil que j’ai voulu partager ici avec son accord. Shokran ya hbibti Esraa <3

 

Youssef, 14

« I want to become a doctor one day. School can be hard sometimes. The other day, the Israeli army entered our school so the teachers sent us home after the third lesson. We are used to smell teargas or hear sound bombs while studying. Still, I would never leave Palestine. It’s where home is. »

“Je veux devenir docteur un jour. C’est parfois dur l’école. L’autre jour, l’armée israélienne a encerclé notre école, du coup les professeurs nous ont renvoyés chez nous après le troisième cours. On est habitués à sentir l’odeur des bombes lacrymogènes ou à entendre des bombes pendant qu’on étudie. Mais peu importe, je ne voudrais jamais quitter la Palestine. C’est chez moi ici. »

 

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Aysha, 12

“It’s different for girls to live here. Girls my age in other countries can go play outside, meet their friends without worrying that they might get hurt by a settler or a soldier. I dream of becoming a teacher, having a family and that one day it will all be over like a bad dream. Maybe I will have a girl that can go play outside. But for now, what can I do, I’m 12.”

« C’est différent pour les filles qui vivent ici. Dans les autres pays, les filles de mon âge peuvent sortir jouer dehors, elles peuvent voir leurs amis sans avoir peur d’être agressées par un colon ou un soldat. Je rêve de devenir professeur, d’avoir une famille et qu’un jour tout cela sera terminé, comme un cauchemar. Peut-être qu’un jour j’aurai une fille qui pourra jouer dehors. Mais pour l’instant qu’est-ce que je peux faire ? Je n’ai que 12 ans. »

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Mohammed, 21

« My father is sentenced to 727 years in prison. Yes, for over 700 years. He was arrested during the second intifada in year 2000. I was allowed to visit him until I was 14, so I haven’t seen him for the past 7 years. My mother is a very strong woman, she did everything for us. It’s difficult but I was born into these circumstances. Well, this is Palestine. »

Mon père a été condamné à 727 années de prison. Oui, plus de 700 ans. Il a été arrêté pendant la seconde Intifada en 2000. J’ai eu le droit de lui rendre visite jusqu’à mes 14 ans, donc ça fait 7 ans que je ne l’ai pas vu. Ma mère est une femme très forte, elle a tout fait pour nous. C’est dur, mais c’est dans ce contexte que je suis né. Voilà, c’est ça la Palestine. »

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Mohammed, 82

« See, I don’t have many neighbours anymore. The shops were closed, the people were forced to leave their homes. I know I have to keep my home safe. I pray to stay alive just so they don’t take it.
If god is willing, the world will see the truth before I die. And if not, it’s good to know that I resisted until my last breath. »

“Vous savez, je n’ai plus beaucoup de voisins. Les magasins ont été fermés, les gens ont été forcés de quitter leur maison. Je sais que je dois protéger ma maison. Je prie de rester en vie juste pour qu’ils ne la prennent pas. Si Dieu le veut, le monde verra la vérité avant que je ne meure. Et sinon, c’est bon de savoir que j’aurai résisté jusqu’à mon dernier souffle. »

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Palestine IV // Al Khalil (Hébron)