Après ce périple de plusieurs jours qu’a été le voyage pour rejoindre la Syrie (ici, et encore ici), me voici donc enfin à Damas.

Il était prévu qu’à notre arrivée, mon collègue et sa fille qui viennent aussi travailler au lycée français, et moi nous installerions dans la maison d’un collègue dans le centre-ville de Damas le temps de trouver un appartement. Notre collègue étant en France depuis 6 mois, le nettoyage et la préparation de la maison pour notre arrivée prend du temps, de plus les conditions de vie dans le centre-ville sont particulièrement compliquées, je vais y revenir. L’école nous avait donc réservé une chambre à l’hôtel Sheraton pour les premiers jours et, après toutes ces péripéties, le lit kingsize et la belle piscine ne furent qu’encore plus appréciés.

Quelle impression bizarre et presque déplacée de se prélasser dans la piscine d’un hôtel de luxe dans un pays qui sort tout juste de la guerre. Dans l’eau délicieuse qui me rafraichit bien de ces 38 degrés, j’admire la vue sur le Mont Qassioun et je regarde tous ces Syriens autour de moi. Je ne peux m’empêcher de me demander s’ils ont été touchés par la guerre, s’ils sont restés pendant tout ce temps ou si, comme certains, ils ont pu partir à l’étranger pendant quelques temps. Je ne peux m’empêcher aussi de penser qu’à quelques kilomètres d’ici ce n’est pas le luxe mais la désolation, les traces laissées par la violence et l’horreur de la guerre. J’ai, comme souvent, un arrière-goût de culpabilité que je tente de chasser de quelques brasses.

Quelques jours plus tard, la maison est prête. Nous prenons donc nos valises et nous dirigeons très impatients vers la fameuse maison dont tout le monde nous parle à l’école. Et dès les premiers pas dans sa cour effectivement, l’émerveillement est total.

C’est une maison traditionnelle damascène qui s’organise donc autour d’une cour. Au rez-de-chaussée se trouvent les appartements de notre collègue et en haut l’espace qui nous est réservé. Nous avons chacun notre chambre puis il y a une cuisine, un salon, une salle de bain et des toilettes. Nous prenons vite nos marques dans cette magnifique maison et nous nous y sentons très bien. On découvre cependant les fameuses « conditions de vie compliquées » du quartier. Chaque jour, plusieurs fois par jour pendant plusieurs heures, l’électricité est volontairement coupée. En journée cela veut dire pas de clim ou de ventilation quand il fait 38 degrés et le soir il faut faire sa cuisine ou lire à la lumière du téléphone portable (ici il faut nuit à partir de 18 heures). Heureusement, la cuisinière fonctionne au gaz (même si, j’y reviendrai, cela peut aussi être synonyme de problèmes). Il faut aussi penser à charger ses appareils électroniques lorsqu’il y a de l’électricité. Nous n’avions pas de wifi mais pour les personnes qui l’ont cela veut dire aussi pas d’internet pendant une bonne partie de la journée et de la soirée.

La maison se situe dans le cœur historique de Damas, Bab Touma, et nous en profitons pour découvrir le quartier. Pendant les années d’or de la Syrie, ce quartier était rempli de touristes. C’est difficile à imaginer aujourd’hui. Le quartier est beau mais délabré, les boutiques de souvenirs et d’artisanat sont vides, et nous semblons être les seuls Occidentaux.

Cela me rappelle quand je suis arrivée pour la première fois en Egypte en 2014 à la fin de la Révolution, l’actuel président Al Sissi avait été élu quelques jours avant mon arrivée. La ville était encore pleine de barbelés, de tanks et de checkpoints militaires, et le pays avait été totalement déserté par les touristes (à part les éternels bus remplis d’Asiatiques !) depuis des années. Il y a quelque chose de fort à être dans un pays où les gens ne veulent plus aller. On ne découvre pas la même facette d’un pays, on se retrouve seul face aux merveilles qu’il contient et le contact avec les gens est également différent. Il n’y avait ainsi quasiment personne quand j’ai vu les Pyramides pour la première fois en 2014 et en 2015 j’ai pu visiter Abu Simbel complètement SEULE. C’est un sentiment indescriptible que de se retrouver dans un endroit mythique sans personne. Entre 2014 et 2017, avant que les touristes ne commencent à vraiment revenir en Égypte, je me suis réellement sentie privilégie de découvrir ce pays sans personne. Et j’ai réellement senti la différence l’année dernière quand j’ai effectué un voyage scolaire avec mes élèves de troisième : nous avons voyagé 5 jours dans le Sud de l’Égypte et à Assouan et à Louxor particulièrement, les touristes étaient de retour, on se bousculait, on se marchait dessus, il fallait patienter et hisser la tête pour apercevoir les détails des murs des temples quand je pouvais avant en apprécier sans peine chaque détail. Je suis heureuse que les touristes retournent en Égypte et que l’économie puisse en bénéficier mais, j’ai bien conscience que c’est très égoïste, je n’aime pas trop partager mon Égypte et j’ai senti que je n’y voyagerai plus jamais de la même manière que pendant les trois premières années.

Je découvre donc le quartier et je me sens bien. Je me suis promenée seule au souk et qu’est-ce que ça change du Caire ! Pas de harcèlement ou d’agressivité. J’adore les Égyptiens mais c’est vrai qu’il faut se préparer mentalement à se promener dans les rues du Caire, c’est une vraie bataille. Ici c’est plutôt calme, les gens sont surpris mais heureux de voir des étrangers. Après la surprise de m’entendre parler égyptien, vient la générosité. En allant acheter du lait, le vendeur m’offre du chocolat, chez le vendeur de crêpes j’ai le droit à des crêpes gratuites. Un autre matin en emmenant la fille de mon collègue acheter des cookies, l’homme nous les a offerts. J’ai bien insisté pendant de longues minutes comme le veut la coutume, impossible de payer. Cette générosité n’est pas inhabituelle chez les Arabes, j’ai toujours eu des petits cadeaux supplémentaires que ce soit au Maroc, en Egypte ou en Palestine, ça fait partie de la tradition et des coutumes, chez les Arabes on se doit d’accueillir correctement, avec le cœur et avec générosité. Mais c’est vrai qu’en quelques jours j’ai été particulièrement gâtée.

Chaque soir, nous avons un petit rendez-vous avec la fille de mon collègue. Tous les jours à 19h, un homme vient donner à manger à une vingtaine de chats qui se réunissent pour l’occasion sur une petite place. L’homme apporte des restes de viande qu’il distribue avec amour aux chats errants du quartier. Il fait toujours attention à ce que chacun ait sa part et qu’aucun chat ne soit laissé de côté. Une fois sa mission accomplie, il balaie la place pour la laisser intacte. Chaque soir la vision de cet homme qui vient s’occuper des chats errants m’émeut et m’attendrit. Cette scène est typiquement le genre de moment qui me redonne foi en l’humanité et qui me montre encore et toujours la valeur des petits gestes, du « chacun sa part ».

Chaque jour je fais le trajet de la maison à l’école puis de l’école à la maison en taxi. Ici il n’y a pas de tram ou de métro, mais des bus, des microbus et des taxis. Quand on ne connait pas la ville c’est compliqué de prendre les bus et microbus, il faut savoir où ils vont, quel chemin ils prennent. De plus avec le corona il vaut mieux malgré tout être prudent, les transports en commun sont bondés et ici personne ne porte de masque. La plupart des taxis et des bus sont en service depuis aussi longtemps que leur chauffeur à en juger par leur aspect. Ici les taxis sont jaunes et les bus extrêmement colorés.

J’adore les trajets en taxi. C’est l’occasion idéale de tenter de se repérer et de découvrir le paysage avec en fond sonore neuf fois sur dix Fayrouz contre Om Kalthoum en Égypte (ou bien des récitations du Coran).

Chaque jour, je vois également des files d’attente interminables devant les stations essence et je découvre ainsi que le pays est frappé par une pénurie d’essence depuis ?. J’entends différentes explications : la raffinerie serait en panne, les Kurdes auraient mis la main sur la raffinerie ou bien créer une pénurie serait un bon moyen de faire passer la pilule d’une augmentation du prix de l’essence. Je ne sais donc pas la raison exacte mais ce qui est sûr, c’est que des gens attendent pendant des heures et parfois dorment dans leur voiture devant la station toute une nuit pour être sûrs d’en avoir le lendemain, les chauffeurs de taxi hésitent à nous ramener dans notre quartier de peur de manquer de carburant et le prix de la course est plus cher.

Il serait donc bon d’investir dans un petit vélo comme celui-ci à l’avenir 😉

Entre la pénurie d’essence et les coupures d’électricité, le quotidien devient un peu plus compliqué dans notre belle maison du centre-ville, surtout depuis la rentrée et la reprise du travail. Chacun se met donc à la recherche de son appartement, près de l’école qui se situe dans un quartier sympa, afin de s’installer enfin confortablement et pour de bon.

Rendez-vous dimanche prochain dans la prochaine chronique syrienne. Vous découvrirez comment j’ai braqué une banque pour payer mon appartement et les péripéties de mon installation dans mon nouveau chez-moi !

Chronique syrienne #1 – Premières impressions