Après les premières semaines passées dans la belle maison du centre-ville qui m’ont permis de découvrir le cœur historique de Damas, il était temps de se mettre à la recherche d’un appartement. C’est l’école qui s’est occupée de chercher un appartement via un agent immobilier. Alors je vous arrête tout de suite, l’agent immobilier au Moyen-Orient n’a rien à voir avec celui que vous connaissez en France. Pas de costume cravate ou de petite pochette, pas de bureau clinquant, pas d’affiches postées sur la devanture de son agence. Non, rien de tout cela. Concernant l’agent immobilier que j’ai rencontré, et cela vaut j’en suis sûre pour la plupart comme ça l’était en Égypte, le bureau est en réalité un simple local quasiment vide (quelques chaises, une petite table et de quoi faire du thé ou du café tout au plus). Comme pour beaucoup de choses ici, le travail se fait plutôt dans la rue, assis sur une chaise avec des amis ou des collègues, je ne sais que penser, à attendre que quelqu’un vienne donner une information. Je passe régulièrement devant cette « agence » et je trouve toujours l’agent devant assis avec son café et ses amis / collègues à discuter ou regarder son téléphone.

On me propose rapidement une première visite et je pars donc visiter un appartement situé à quelques minutes seulement à pied de l’école. C’est un immeuble sympa avec un petit chemin carrelé devant et des plantes, la cage d’escalier n’est pas trop délabrée malgré les éternels fils électriques qui pendent partout en gage de décoration universelle au Moyen-Orient. Beaucoup de carreaux sont cassés et le nettoyage laisse à désirer mais rien de surprenant.

Dans celui-là il y a même un oiseau qui a commencé à faire son nid.

J’arrive devant la porte de l’appartement au deuxième étage et je rentre. Dans l’appartement se trouvent plusieurs personnes, un homme que l’on me présente comme le propriétaire et plusieurs autres hommes avachis dans les canapés et fauteuils du salon que l’on ne me présente pas. Je ne sais pas si ce sont des agents, d’autres visiteurs ou bien des membres de la famille du propriétaire et on ne semble pas important de me décliner leur identité. Bien, nous serons donc un certain nombre de personnes à l’identité incertaine pour cette visite, ça peut m’aider à visualiser le nombre de personnes qui peuvent rentrer dans l’appartement pendant une soirée !

Je suis agréablement surprise, l’appartement est bien. La cuisine est agréable, il y a un grand frigo, un four micro-ondes, une grande gazinière avec 5 plaques de cuisson et tout est propre. Le salon est assez grand et lumineux et il y a un balcon. L’appartement comporte deux chambres de taille correcte dont l’une possède la clim (élément essentiel ici). Il n’y a pas de fils électriques qui dépassent de partout et les finitions sont plutôt bien faites à part le tuyau de la clim du salon qui pend directement… dans le salon dans un seau qu’il faut vider quand l’eau est pleine. Je ne savais pas à quoi m’attendre avant de venir visiter car j’ai l’habitude des visites au Moyen-Orient et c’est généralement toujours une aventure ! J’ai visité des tas d’appartements en Egypte et c’est souvent sombre, mal agencé, rempli de câbles électriques qui pendent partout, des portes ou des fenêtres qui ne ferment pas, des problèmes d’humidité, le bruit de la circulation à longueur de journée, une cuisine souvent vétuste, une salle de bain parfois sans réelle douche, sans parler de la décoration qui consiste à faire rentrer le plus de meubles moches et volumineux dans une même pièce, ou de collectionner des objets kitchs, blingblings et bon marché. Mon ancien appartement au Caire était vert pomme, les murs bien abîmés, une cuisine modeste et une salle de bain qui laissait à désirer…

Bref je m’étais préparée à revivre un peu la même expérience. Ainsi quand j’ai vu cet appartement correct, je l’ai aimé tout de suite et je n’ai pas hésité à le prendre. Une fois ma décision prise, il fallait discuter des conditions avec le propriétaire. Ici à Damas, depuis quelques années, il faut payer 6 ou 12 mois de loyer (selon la volonté du propriétaire) à l’avance au moment de la signature du contrat. Cela représente évidemment une grosse somme d’argent, surtout qu’il faut également donner un mois de loyer comme caution et dans mon cas un demi loyer pour l’agent immobilier. J’ai justement droit à une aide à l’installation dans mon contrat à l’école prévue à cet effet mais cela ne suffisait pas pour couvrir une année entière de loyer et les frais supplémentaires. J’ai donc rencontré le propriétaire pour essayer de réduire à 10 mois de loyer ce qu’il a finalement accepté.

Une fois l’accord convenu, j’ai pu braquer une banque récupérer le montant du loyer afin de signer mon contrat et payer mon dû.

Ah oui petite précision, la comptable de l’école s’appelle… Madonna ! On adore. Du coup je vais voir Madonna pour qu’elle me passe de l’argent, tu connais Madonna, généreuse comme elle. Chaque année c’est toute une histoire la comptable. L’année dernière quand je travaillais au Collège de la Mère de Dieu au Caire, la comptable était l’une des bonnes sœurs, sœur Antoinette, pas toujours très commode et que l’on appelait la « sœur économe », pas pour rien d’ailleurs.

Après avoir récupéré l’argent auprès de Madonna donc, je ne faisais pas la fière à me promener à l’école puis à traverser le quartier avec une telle somme d’argent dans mon petit sac en toile. Ce n’est pourtant pas anormal de se promener avec beaucoup de billets sur soi au Moyen-Orient notamment parce que la plupart des achats se paient en liquide. En Égypte, j’étais payée chaque mois en liquide, je payais mon loyer, toutes mes charges et toutes mes courses en liquide. Je n’ai jamais utilisé ma carte bleue à part pour retirer de l’argent de mon compte français et peu de restaurants ou boutiques acceptent les paiements par carte. La plupart des gens qui sont payés sur un compte en banque retire chaque mois la quasi-totalité de leur compte. C’est pour ça qu’à la fin du mois, il y a toujours des files interminables devant les guichets de retrait. Ici en Syrie, ça a l’air d’être à peu près la même chose pour les paiements : tout en liquide. De plus les prix montent vite et il est nécessaire d’avoir un petit paquet de billets sur soi.

Je me retrouve donc à l’appartement avec l’intendant du lycée qui m’aide dans mes démarches, le propriétaire, l’agent et un autre homme dont je ne connais toujours pas l’identité. Lorsque j’arrive, tout le monde est assis dans le salon et un plombier est en train de réparer une fuite dans l’évier de la cuisine. On m’invite à m’installer sur le canapé… et on attend. Je ne sais pas trop quoi. Finalement le propriétaire décide de me montrer certaines particularités : les chauffages fonctionnent au mazout, pour les faire fonctionner il faut remplir le réservoir qui se trouve sur le toit. Nous montons sur le toit, le réservoir est fermé par un cadenas et le propriétaire n’a pas la clé. Ah. Bon mais il retrouvera la clé Inshallah, je ne dois pas m’en faire. Ah bon. Nous retournons dans l’appartement et nous allons dans une des chambres. Au-dessus de la porte se trouve une trappe qui donne sur un petit espace où se trouve le chauffe-eau pour la salle de bain et un autre réservoir pour le mazout. Je peux mettre le mazout là-dedans ! C’est un peu dangereux mais ça devrait le faire me dit-il. Me voilà rassurée ! Il y a aussi un petit robinet qui délivre du mazout directement sur le balcon. Comme c’est original ! Va falloir faire attention en soirée. Et puis bon le mazout c’est bien quand il n’y a pas de pénurie hein ! Bon, je pense que je vais faire comme en Égypte et que je m’achèterai un petit chauffage électrique.

Nous retournons dans le salon… et nous attendons. Chacun est sur son portable et je ne sais pas trop ce qu’on attend. On pourrait faire le contrat, signer, procéder au paiement, mais ouhla, pas question de faire plusieurs choses en même temps ! Il faut attendre que le plombier ait terminé. Tiens, le voilà, il a terminé. Le propriétaire le rejoint dans la cuisine et je les vois se disputer en silence avec de grands gestes lorsque le propriétaire essaie de négocier le prix de son intervention. Sans succès. Il est obligé de ressortir de nouveaux billets de la poche arrière de son jean et revient s’assoir en soupirant.

On peut enfin passer à l’étape sérieuse. Le contrat est signé et nous passons au paiement. J’ouvre mon sac en tissus contenant le butin de mon braquage ma prime et je commence à déposer les liasses de billets sur la table entre nous. Je ne peux pas m’empêcher de rire tellement la scène est absurde : je suis en Syrie dans un salon en train de déposer des tonnes de billets. Je dis aux autres « J’ai l’impression d’être dans un film avec la mafia en train de faire un deal et que chacun va sortir son flingue pour essayer de tout récupérer ». Tout le monde se met à rire. Je donne l’argent au propriétaire et à l’agent qui en donne une partie au troisième homme. Pendant de longues minutes, chacun compte silencieusement en claquant les billets entre ses doigts. Je n’entends que le bruit des billets et le bruit des lèvres qui remuent doucement. Chacun est très concentré et je rigole bien intérieurement en observant cette scène plus que cocasse.

Tout est en règle, je récupère mes clés : ça y est, je suis officiellement chez moi ! Je prends un taxi qui m’amène récupérer mes affaires dans la maison du centre-ville puis qui me ramène dans mon nouvel appartement. Le chauffeur porte même ma grosse valise et le plus gros sac jusqu’à la porte de mon appart et refuse le pourboire supplémentaire que je lui tends. J’insiste mais il refuse, il me dit que ce que j’ai payé pour la course est suffisant pour tout cela, c’est vrai que j’avais payé un prix plus conséquent mais tout de même, je n’en reviens pas qu’il refuse.

Tous mes sacs sont chez moi dans le salon. Ça y est, j’ai mon propre appartement à Damas. Il n’y a plus qu’à ouvrir mes valises et m’installer. Enfin ça, c’est ce que je crois…

 

Chronique syrienne #2 – Braquage à la syrienne