Une fois mon appartement trouvé et mes valises déplacées, c’est désormais le moment de prendre possession de mon humble demeure. Bien évidemment, je ne suis pas au bout de mes surprises. Les problèmes sont nombreux dans le pays et les Syriens doivent faire face à de constantes difficultés. Je l’ai dit dans la chronique précédente, beaucoup de chauffages fonctionnent au fioul mais les pénuries d’essence ne sont pas rares, comme en ce moment où il faut des heures, voir plus, pour pouvoir faire le plein de sa voiture. Mais ce n’est pas tout.

  1. Le gaz

Lorsque j’ai visité l’appartement, j’avais remarqué qu’il y avait un grand espace de cuisson avec 5 plaques au gaz. Je n’ai pas tellement réfléchi sur le moment, je me suis juste dit que c’était super d’avoir le gaz car la cuisson est bien meilleure de cette manière, et ceux qui me connaissent savent bien que je suis une excellente cuisinière et qu’en plus j’adore ça (c’est faux.).

Je n’avais, à ce moment-là, pas imaginé qu’avoir du gaz pouvait se révéler aussi compliqué. Lorsque mon propriétaire est venue me voir deux jours après mon installation pour régler quelques problèmes, voici ce qu’il m’a expliqué et ce que m’ont confirmé mes amis : chaque Syrien a une carte qui s’appelle une « Smart card » et qui donne droit à un rationnement de gaz et d’essence. Grâce à la carte, une partie de ce qui est pris est payée par le gouvernement, l’autre est payée par celui qui achète. Il y a une limite pour chacun, dès que cette limite est dépassée, la personne doit payer le prix total. Parfois on ne peut pas se servir si on a dépassé la limite. Pour pouvoir récupérer une nouvelle bouteille de gaz lorsque la sienne est vide, il faut attendre d’y être invité via une application. On reçoit des notifications comme « il reste 1000 personnes avant vous », « il reste 500 personnes avant vous », puis quand vient votre tour, vous avez 24 heures pour aller récupérer ce qui vous est dû. Il faut pouvoir transporter la bouteille qui, en outre, ne se trouve pas forcément près de chez vous. Il faut donc pouvoir aller la chercher et la transporter dans le temps imparti… Certaines personnes attendent pendant des mois. En ce moment avec la crise de l’essence, c’est ce qu’il se passe. Selon mon propriétaire, la raffinerie en Syrie est en panne et ils viennent seulement de commencer lest réparations pour produire seulement de l’essence. Il y a également les problèmes de sanction où des bateaux pleins de carburants à destination de la Syrie se retrouvent bloqués. A côté de ça bien évidemment, on peut se procurer une bouteille de gaz au marché noir mais là les prix explosent. Pour les étrangers, il n’y a pas de « smart card », il faut donc payer le prix fort à chaque fois que l’on doit remplir la bouteille.

La solution que m’a proposée mon propriétaire est que j’achète des plaques de cuisson électriques, ce que j’ai fait. Je n’ai pas trouvé de plaque avec deux espaces de cuisson mais seulement un, du coup j’ai acheté la plaque noire, un peu chère, puis une autre très bon marché qui n’a aucun réglage mais chauffe bien. Après avoir eu quelques petits problèmes d’installation car je ne savais pas où les placer pour ne pas perdre d’espace dans ma cuisine et car une des prises faisait des étincelles, j’ai finalement aménagé un petit coin cuisine dernière génération.

Je sais, vous êtes impressionnée par mon ingéniosité sans égale. J’en ai profité pour acheter un petit blender pour mon espace électroménager (vive les smoothies !).

La solution d’acheter les plaques n’était pourtant pas si évidente, car même si tout le monde s’accordait pour dire qu’il valait mieux que j’achète des plaques électriques, cela soulevait justement un autre problème :

  1. L’électricité

Comme je l’avais relaté ici, les coupures de courant sont également régulières dans le pays car l’électricité est aussi rationnée. Pour beaucoup se pose donc un dilemme : acheter une bouteille de gaz très chère et faire face au risque fort probable d’attendre son tour et de se retrouver sans gaz (ou bien dans mon cas de payer le prix fort pour la remplir) ou bien investir dans des plaques électriques et faire face aux coupures de courant ? Pour ma part, j’ai de la chance car mon immeuble, et ceux alentours, possède deux lignes d’électricité car il se trouve dans le secteur de l’hôpital qui lui possède son propre générateur (d’après ce que j’ai compris hein, la physique c’est pas trop mon truc). Ce sont ces boitiers orange :

Lorsqu’il y a une coupure, l’électricité passe directement sur la deuxième ligne. Du coup, je n’ai pour l’instant pas été embêtée par les coupures d’électricité, c’est aussi pour ça que je n’ai pas hésité à acheter les plaques. On m’a tout de même dit qu’apparemment l’hiver il peut y avoir des coupures d’électricité lorsque tout le monde se chauffe sur les chauffages électriques qui consomment énormément d’énergie… Réponse cet hiver. En tout cas, mon histoire de deux lignes d’électricité me vaut toujours des yeux pétillants d’envie quand je dis cela à des gens qui vivent dans d’autres quartiers par exemple. Imaginez-vous plusieurs heures par jour sans électricité donc sans ordinateur, sans lumière, sans internet ou autres moyens de distraction, sans rien pour cuisiner si vous cuisinez grâce à l’électricité (et si jamais votre bouteille de gaz est finie et que ce n’est pas encore le moment d’aller récupérer la nouvelle, c’est fichu !). Ça peut être drôle voire insolite au début, mais lorsque ça devient quotidien, c’est un véritable casse-tête. En parlant d’internet, nouveau problème !

  1. Internet

J’avais posé la question au propriétaire le jour de la visite concernant internet et il m’avait effectivement dit qu’il n’y avait pas internet dans l’appartement. L’intendant de l’école, qui était avec moi ce jour-là, m’avait dit de ne pas m’en faire car il connaissait quelqu’un qui travaillait dans une compagnie internet. Sauf que ce que mon propriétaire ne m’avait pas dit, c’est que non seulement il n’y a pas internet, mais il n’y a pas non plus de ligne téléphonique. Il a bien sûr attendu que je prenne l’appartement pour me prévenir… Bon, la petite entourloupe classique. Il faut donc installer la ligne téléphonique. Le fameux jour où il est venu régler les petits problèmes de l’appartement, mon propriétaire s’était rendu avant de venir dans une agence de communication pour ouvrir un contrat. Il m’a prévenue que l’agence devait m’appeler le lendemain pour venir installer la ligne téléphonique, et qu’il y avait un second problème c’est qu’il n’y a plus de porte ADSL dans le quartier. Mais il me rassure en me disant qu’évidemment en Syrie, à chaque problème sa solution, ou en tout cas, à chaque problème son bidouillage.

Évidemment la compagnie de téléphone n’a pas appelé le lendemain, ni les 10 jours suivants. J’en ai finalement parlé à l’intendant du collège qui m’a dit qu’il avait eu des nouvelles de la compagnie de téléphone et qu’en réalité la ligne téléphonique a été installée, mais qu’il y a actuellement une maintenance générale dans le pays en raison de la situation complexe (économique, sociale, etc.) du moment, et qu’il va falloir patienter jusqu’au début du mois de novembre pour que la procédure d’installation soit finalisée et qu’on puisse ensuite faire le fameux bidouillage pour installer le wifi.

Quelques autres péripéties ont suivi mon installation. Lorsque je me suis installée dans l’appartement, j’ai éteint la clim pour aller dormir et quand je me suis réveillée le lendemain, il faisait une chaleur épouvantable dans l’appartement. Je me doutais bien que cette chaleur n’était pas seulement due au soleil et je me suis rendue compte que les chauffages étaient allumés ! Sauf que aucun moyen de les éteindre. J’ai donc appelé mon propriétaire (« Bonne nouvelle : les chauffages que vous n’étiez pas sûr de savoir s’ils fonctionnaient, fonctionnent ! Mauvaise nouvelle… ils fonctionnent !! ») qui lui non plus ne savait pas comment les éteindre. Il m’a demandé d’aller vérifier la fameuse machine au-dessus de ma chambre là où c’est « un peu dangereux mais ça devrait aller », ok je m’exécute (en plus j’ai le vertige). J’éteins la machine mais ça ne règle pas le problème, les chauffages chauffent toujours et transforment doucement mais sûrement mon appart en sauna. Finalement c’est l’ancien locataire qui donnera la solution : il y a tout simplement un bouton attitré sur le tableau électrique. C’est bon, je retrouve la fraicheur.

Depuis que je suis arrivée dans l’appartement, j’ai beaucoup de mal à ouvrir et fermer la porte d’entrée à clé. La serrure est très difficile et je passe parfois plusieurs minutes à me battre avant de réussir à l’ouvrir. Dix jours plus tard, nous sommes vendredi, c’est mon jour de congé et je sors pour aller au café près de chez moi. Je ferme la porte à clé et au moment où je retire la clé, la moitié de la serrure part avec la clé.

Je réussis quand même à réinsérer le morceau de serrure et à rouvrir puis refermer la serrure. Je me dis que je vais m’en occuper le lendemain, j’appellerai mon propriétaire pour régler ça, là j’ai des choses de prévu. Je pars au café puis je reviens, aucun problème pour fermer la porte et je pars me coucher tranquille. Le lendemain, samedi donc deuxième jour de week-end, je me lève tôt et je me prépare car j’ai prévu d’aller travailler au collège toute la matinée pour préparer mes cours. Je suis prête et motivée sauf qu’au moment où j’essaie d’ouvrir la porte, la clé tourne dans le vide. Impossible d’ouvrir la clé. J’essaie différentes techniques, plus ou moins audacieuse, mais rien à faire : je suis enfermée. Sauf qu’évidemment, ce n’est pas tout ! Je n’ai pas de crédit sur mon téléphone et je n’ai toujours pas internet… Sans grand espoir je vais voir sur le balcon si je n’ai pas un moyen de m’échapper (j’ai déjà dit que j’ai le vertige ?) mais bien sûr c’est impossible. Heureusement j’ai rendez-vous avec une collègue dans la journée et elle finit par m’appeler quelques heures plus tard. Elle appelle une personne du collège qui rappliquera dix minutes plus tard avec un serrurier pour me libérer, hilare, car il faut l’avouer c’est quand même le genre de trucs qui m’arrive.

J’ai eu du mal à me bouger les deux premières semaines et à vraiment investir mon appartement. Il y avait beaucoup de choses à faire, à régler, à acheter et je ne savais pas trop par où commencer. Quand je suis arrivée dans l’appartement, j’ai énormément dormi et fait autre chose (sortir avec les nouvelles personnes rencontrées par exemple ou bien me détendre devant un film ou une série). Je crois que j’ai lâché la pression après l’adrénaline de ces premières semaines à Damas.  Puis finalement, un jour, j’ai eu le déclic et je me suis bougée pour faire tout le shopping nécessaire avec l’aide précieuse de Nadia (Aka Catherine !), ma collègue de français, voisine de quartier et amie, puis pour tout aménager correctement.

J’ai également fait venir une personne pour m’aider à échanger les lits de chambre : le grand était dans la chambre sans clim et le petit dans la chambre où la clim fonctionnait et je ne pouvais pas les changer de place seule car ils étaient volumineux, il fallait donc les démonter mais je n’avais pas les outils nécessaires, puis les échanger de place et les remonter. J’avais seulement changé les matelas de place et je dormais dessus en attendant. Lorsqu’ils ont été échangés, j’avais déjà moins l’impression de faire du camping chez moi en dormant dans un vrai lit. Il m’a également installé une tringle à rideaux et mon porte-bijoux dans ma chambre.

Finalement après toutes ces péripéties, le shopping nécessaire à l’installation, la venue de l’ouvrier et après avoir bougé un peu les meubles, j’ai pu enfin vider ma valise et installer quelques affaires personnelles pour me sentir un peu plus chez moi avec mes petites affaires qui ont fait le voyage depuis Avignon pour m’accompagner dans mon nouveau chez-moi.

A la semaine prochaine pour la nouvelle chronique syrienne !

Chronique syrienne #3 – Du camping en Syrie