Cela fait désormais deux mois que je vis à Damas. Jamais je n’aurais imaginé un jour vivre ici, et d’ailleurs je ne réalise toujours pas tout à fait. Si vous me connaissez ou que vous me lisez depuis quelque temps, alors vous savez surement que j’ai, pour le moment, trouvé mon bonheur dans la capitale syrienne.

C’est fou car avant de venir ici, je n’avais aucune idée de ce que j’allais découvrir. Je connaissais seulement une personne qui avait passé un an ici avant la guerre et ma grand-mère qui y a voyagé il y a longtemps. Toutes les deux m’en avaient dressé un portrait sublime. Mais après ces dix années de conflit, je ne savais pas ce qui m’attendait, dans quelle situation je me lançais. J’avais un peu peur de me retrouver face à mes vieux démons comme en Palestine. Là-bas, l’atmosphère est pesante, on a vite cette sensation d’étouffement dans cette prison à ciel ouvert. Le contexte de bénévole dans lequel j’évoluais n’y était évidemment pas pour rien. Je me suis souvent retrouvée face à des situations difficiles, face à la violence, physique et morale, de l’occupation. J’ai beaucoup souffert à mon retour et j’ai réellement mis trois ans à m’en remettre, si on peut dire complètement.

Ici, bizarrement, je me retrouve dans un environnement sain. Je me sens très bien où je suis. En deux mois, j’ai rencontré énormément de personnes, notamment mes collègues mais aussi des gens en dehors. J’ai déjà l’impression d’avoir rencontré des personnes qui sont en train de devenir et resteront des amis. J’ai découvert en partie la ville, bien que je ne parte pas à l’assaut de la capitale aussi souvent que je le voudrais. J’ai testé pas mal de cafés et restaurants et je me régale de la nourriture syrienne.

Je suis aussi très heureuse dans l’établissement scolaire où je travaille. C’est dans ce cadre que je suis venue m’installer à Damas. J’ai rencontré de super collègues que j’aime déjà beaucoup. Le lien avec les élèves est déjà bien installé et comme toujours, c’est un réel plaisir de travailler avec mes classes. Travailler avec les masques n’est, par contre, pas agréable du tout mais cela n’a pas perturbé la transmission des émotions. C’était une de mes appréhensions, je souris beaucoup et je suis très expressive. Je considère que l’émotion est centrale dans l’apprentissage et beaucoup de choses passent par le visage, notamment par la bouche, surtout en langue. Mais l’humain s’adapte et les yeux prennent le relais. C’est juste parfois très déstabilisant quand on entend que quelqu’un s’adresse à nous mais qu’on n’arrive pas à savoir qui car on ne voit pas les lèvres bouger !

Bref, je suis heureuse de découvrir tous ces adolescents syriens qui me font découvrir leur pays et leur culture et qui acceptent, en échange, que je les saoule avec l’Égypte.

Il y a deux semaines j’ai également eu la chance de partir pour mon premier voyage en Syrie pendant les vacances scolaires et j’ai pu sortir de ma zone de confort, cette petite bulle damascène qui nous fait parfois oublier où l’on se trouve.

L’un de mes challenges ici, c’est la langue. Car même si je parle arabe, je parle le dialecte égyptien et c’est très différent du dialecte syrien. Rien que pour dire « Ça va ? », ce n’est pas la même manière. Il y a aussi les nombreuses formules de politesse qui changent complètement et dont chaque réponse est différente. Comme le dialecte égyptien est très connu dans le monde arabe car la culture égyptienne (musique, films, séries) rayonne dans le monde arabe depuis des décennies, je n’ai pas de problème à me faire comprendre, mais comprendre la réponse, c’est une autre histoire ! Mais je prends des cours d’arabe syrien depuis deux semaines et je commence à mieux me débrouiller en compréhension orale et à avoir plus d’automatismes en syrien.

Cependant mon arabe égyptien est une superbe carte de visite, outre la surprise de voir une rouquemoute parler en égyptien, le dialecte égyptien est très apprécié dans le monde arabe car il est vraiment unique, drôle, plein de jeux de mots et d’intonations particulières. A chaque fois que je parle arabe, un sourire se dessine toujours sur le visage de mes interlocuteurs lorsqu’ils entendent mon accent égyptien. Ils sourient ou rient de bon cœur en m’entendant parler avant de me poser les questions habituelles : « Tu viens d’où ? », « Comment ça se fait que tu parles égyptien ? », « C’est quoi le mieux, l’Égypte ou la Syrie ? » et d’échanger avec moi quelques mots en égyptien « Ezayik ? », « 3mla eih ? ». Chaque fois je suis fière de pouvoir communiquer et d’emmener partout avec moi un peu de mon Égypte d’amour.

C’est une étrange sensation, celle de ne rien connaitre d’un pays et de recevoir des confidences, des anecdotes de ses habitants. Petit à petit c’est comme un vase qui se remplit, un puzzle qui prend forme, très lentement. On pose une pièce puis une autre, il arrive qu’on déplace aussi certaines pièces au fur et à mesure des informations récoltées. Chaque personne donne sa vision des choses, son impression, ses expériences. Pour le moment je n’ai l’impression de n’entrevoir qu’une infime partie de ce pays et de ses habitants, de leur culture, de leur mentalité, de leur histoire. Je ne fais qu’effleurer ce pays.

Cette expérience syrienne, c’est également pour moi la confirmation que j’ai fait le bon choix et que la réorganisation de ma vie ces derniers mois concernant ma manière de vivre était la bonne. Depuis longtemps maintenant je n’arrive plus à voyager « rapidement », c’est réellement devenu ma manière de vivre et de voyager, les deux en même-temps, entremêlées. Pour le moment, je n’arrive pas à imaginer un quotidien classique en France. Je sais la chance que j’ai de pouvoir vivre la vie que je mène, de vivre à l’étranger, que ma vie soit un voyage (presque) quotidien.

Quelques-uns de mes photos préférées de ces deux premiers mois à Damas :

Ce petit bilan je le dédie à Kally, ma lumineuse voisine qui était si heureuse pour moi lorsque je lui ai annoncé que je partais en Syrie. Entre-temps elle s’envole elle pour un autre voyage et je la garderai à jamais dans mon cœur pour continuer à la faire vivre à travers mes pérégrinations.

A Kally et à sa famille <3

 

Chronique syrienne #5 – Deux mois en Syrie, premier bilan !