Cette semaine j’avais envie de partager avec vous quelques moments qui m’ont marquée depuis mon arrivée à Damas. Certains sont drôles, d’autres incongrus, et tous sont le reflet de ma réalité ici.

*Instants bonheur

Un matin j’ai pris le petit-déjeuner sur la terrasse d’une amie. Il y avait cette belle lumière sur l’immeuble d’en face qui mettait en valeur la peinture bleue. Il y avait le café chaud et les biscuits sur la table. Les rires et les confidences échangés avec mon amie, et ce doux sentiment d’avoir déjà rencontré de belles personnes.

Dans le taxi vendredi dernier, j’ai eu un de ces moments de grâce que j’aime tant ressentir, la fenêtre ouverte, le vent sur le visage, le paysage damascène devant mes yeux et Fairuz dans mes oreilles. La douce impression d’être à ma place et heureuse.

Toutes les fois où j’entends de la musique égyptienne.

En rentrant chez moi un jour, je me suis trompée de chemin. J’ai croisé une petite fille tellement mignonne d’environ 4 ans, à qui il manquait la plupart des dents de devant, et qui m’a gratifiée de son immense sourire avant de se jeter sur moi en criant « Salaaaaam ! » pour me faire un câlin.

Tous ces moments, entourée de mes nouveaux amis dans ma nouvelle vie. Ce sentiment de bonheur d’avoir (re)trouvé ma place quelque part sur la planète.

L’autre jour, quand je suis partie travailler, il y avait ce ciel incroyable qui me souhaitait une belle journée. Le silence du matin lorsque la ville dort encore et que la plupart s’éveille à peine.

*Instants partage

Tous les gens qui offrent de la nourriture : l’homme aux cookies pour Tara, les bouteilles d’eau de la petite pâtisserie. Le vendeur de manaqish près de chez moi qui avait glissé dans ma commande un fatayer en supplément, et l’autre jour en partant il m’en a donné un pendant que j’attendais.

La fois où j’ai pris le taxi, la discussion, le basboussa, l’impression d’avoir partagé 10 ans de vie avec ces personnes. Le taxi était déjà pris par une dame installée à l’avant avec son fils, mais parfois les chauffeurs de taxi s’arrêtent prendre une personne supplémentaire si elle va dans la même direction. Je me rappelle que quand j’habitais à Ouarzazate au Maroc, c’était habituel. Le taxi prenait autant de passagers que de places possibles et même s’ils n’allaient pas forcément dans la même direction d’ailleurs. Cependant, je pense que cette femme était en réalité la femme du chauffeur de taxi avec leur fils, car il est assez rare que les femmes se mettent devant dans un taxi. Toujours est-il que cette fois-là il y avait cette dame dans le taxi. Aux premiers mots que je prononce, comme d’habitude ils reconnaissent mon accent égyptien et me posent toutes les questions d’usage « Tu viens d’où ? », « Comment ça se fait que tu parles égyptien ? », « C’est où le mieux, l’Egypte ou la Syrie ? ». Puis la femme me tend un basboussa que je refuse poliment car je sors du restaurant. Néanmoins, impossible d’insister, offrir de la nourriture dans le monde arabe, c’est sacré et on se doit d’accepter. Après quelques minutes de trajet et beaucoup de rires, je les quitte déjà avec l’impression d’avoir partagé cette petite parenthèse.

*Instants drôles

Tara qui entend l’appel à la prière et se bouche immédiatement les oreilles « Mais je déteste cette musiiiiiique ». J’ai pas encore réussi à la convertir à la beauté du muezzin.

Les petites fautes mignonnes de mes élèves :

Omar, 4e : « Il a pris une frappe de soleil »

Sami, 4e : « Le personnage est tout rayé » (au lieu de « ridé »)

Les garçons de la classe de troisième étaient censés avoir un match de football donc nous n’avions pas placé le test de fin de séquence ce samedi-là. Au retour en classe le dimanche suivant, je leur ai demandé comment s’était passé le match pour finalement apprendre qu’ils n’avaient pas joué. « Mais Madame, c’est la faute à coach Mahmoud ! »

*Instants incongrus

Le jour où je suis allée ouvrir un compte à la banque. Chacun vient avec son sac en plastique rempli d’argent pour le déposer. Un homme est là avec des dizaines d’énormes sacs remplis de billets. De grands paquets sont posés sur le guichet. Il enlève les élastiques de chaque liasse puis les jette (les élastiques) par terre. Il y en a déjà une centaine qui jonche le sol. La machine à compter les billets ne s’arrête pas de fonctionner et son bruit emplit la pièce. Trois employés sont mobilisés pour compter, recompter et organiser les liasses. On lui sert du café. Il balaye la pièce de ses yeux d’un air satisfait.

*Instants qui me rappellent où je vis

Le jour où il y a eu un gros orage et que mon ami est venu me voir pour me dire que c’était l’orage et pas une bombe…

La blague préférée des élèves quand quelqu’un éternue un peu fort « C’est Israël qui attaque Damas ! » (C’est une réalité, Israël attaque régulièrement une base militaire située juste à côté de Damas).

Le brevet blanc pas comme les autres où il y a eu deux coupures d’électricité dans l’école (ça n’arrive pas d’habitude, il y a un générateur). Les élèves ont dû faire une partie de leur épreuve de français dans la pénombre car ce jour-là il pleuvait et il y avait peu de lumière.

Toutes les fois où, tout à coup, au restaurant ou au café par exemple, tout le monde se retrouve dans le noir complet pendant quelques minutes le temps que quelqu’un aille mettre en marche le générateur car il y a une coupure de courant, et que personne ne bronche ou ne semble choqué car les coupures font partie du quotidien.

Voilà une petite sélection de moments vécus ces derniers mois. Je chéris chacun d’eux et essaie de profiter au maximum de ces petits instants quotidiens. 

Chronique syrienne #7 – Collection d’instants