Près de trois mois que je n’ai pas écrit. Non pas parce que je n’en avais pas envie, mais tout simplement parce que je n’en ai pas eu le temps. Les derniers mois ont été bien chargés, tant au niveau personnel qu’au niveau professionnel. Le mois dernier particulièrement, j’avais planifié quelques escapades dans le pays. Récit.

Cela faisait un moment que j’avais envie de repartir à la découverte de nouveaux endroits en Syrie, mais mes plans avaient été à chaque fois contrariés : j’ai eu le covid en février pendant 3 semaines et une fois que j’ai été guérie, j’ai été extrêmement fatiguée tout le mois de mars. En avril, j’allais enfin mieux, mais une grave crise de carburant a littéralement immobilisé le pays : des gens se sont retrouvés coincés dans des villes, les transports entre villes étaient devenus hors de prix ainsi qu’à l’intérieur de Damas. Il y avait beaucoup moins de taxis que d’habitude et le peu qui circulaient avaient doublé leur prix. Ce n’était donc pas le moment de planifier un road trip, j’ai donc pris la fuite en Égypte pour les vacances de Pâques.

Finalement début mai, malgré le Ramadan, je décide de me lancer et de partir en voyage sur la côte syrienne dont j’entends parler depuis mon arrivée ici. Je devais au départ partir avec deux collègues qui ont toutes les deux annulé au dernier moment. Qu’à cela ne tienne, je partirai toute seule. La veille de mon départ, mon amie Nour me contacte pour me proposer d’aller boire un café avec un ami à elle qui est justement de Tartous, la première ville que je m’apprête à visiter. Il pourra ainsi me donner tout un tas de conseils et d’adresses. Nous nous rencontrons tous les trois dans un petit café d’Abo Romaneh que j’aime beaucoup : El café de casa. C’est le café où je passais mes matinées pendant les vacances de Noël. Je venais y prendre mon petit-déjeuner et écrire. Il y a de grandes baies vitrées qui donnent sur le parc d’en face. Je rencontre ainsi Maher. C’est un personnage haut en couleurs. Il est syrien, très fier de son pays et il vit mille aventures. Il adore voyager, découvrir de nouveaux endroits et rencontrer de nouvelles personnes, particulièrement des étrangers avec lesquels il pourra pratiquer toutes les langues étrangères qu’il connait ou apprend. Nous discutons, échangeons, rions. Il me donne des adresses d’endroits à visiter ainsi que des petites informations à savoir sur Tartous. Vers la fin de la soirée, il me demande avec qui je pars en voyage, je lui réponds donc que je pars seule. Il s’exclame alors que c’est réglé, il m’accompagne ! Me voici donc avec un nouveau compagnon de voyage que je connais à peine… Pourquoi pas ?

Le lendemain, j’embarque dans la voiture de mon collègue Louay qui part justement passer quelques jours au bord de la mer avec sa famille. Nous passons quelques heures ensemble le temps du trajet. J’en profite pour rencontrer son frère qui est en Syrie pour un mois, et ses parents avec qui je parlerai moins pendant le trajet mais que je prendrai le temps de connaitre plus tard. Sur le chemin, quelque chose me frappe. De Damas jusqu’à Homs, comme toujours, on traverse des zones désertiques, des zones rocheuses. Puis, une fois arrivés près de Homs, lorsque l’on bifurque à gauche pour rejoindre la côte, le paysage change radicalement : verdure, forêts… On est embarqués dans un tourbillon de vert, en quelques minutes à peine.

Nous nous rapprochons de Tartous, notre destination, et Louay me dépose devant mon hôtel avant de continuer sa route vers le sien. Je suis étonnée par la qualité de l’hôtel. Avec la guerre bien évidemment le tourisme a bien ralenti, même si certains Syriens continuent de voyager à l’intérieur du pays, et de nombreux hôtels sont tombés en décrépitude. Celui-ci n’est pas très cher mais est bien entretenu. Il y a une vue sur la Corniche, le mobilier est en bon état et la douche fonctionne ! (C’est souvent l’indicateur de l’état général d’un endroit !). Je pose mes affaires, m’installe rapidement, je somnole trente minutes sur le grand lit puis j’appelle Maher qui est lui aussi arrivé à Tartous pour lui proposer de se rejoindre au restaurant que l’on m’a conseillé : Galaxy. Il me dit qu’il est en fait près de l’hôtel et qu’il me rejoint pour qu’on y aille ensemble. Nous nous retrouvons donc dans le hall puis marchons sur la Corniche pour aller au restaurant qui se trouve à dix minutes de là. Nous nous installons sur la terrasse, au bord de la mer. Nous mangeons de la nourriture syrienne traditionnelle, très bonne, et nous passons un bon moment à discuter et admirer la vue.

Un peu plus tard, Maher nous a organisé une petite excursion. Son ami Ghadeer vient nous chercher en voiture et nous emmène sur un petit site archéologique : Amrit. Maher rêve d’y aller depuis longtemps et il m’embarque dans son aventure. Ghadeer arrive donc devant l’hôtel et nous partons vers le sud de Tartous. Le site n’est pas très loin mais il va nous falloir plusieurs aller-retours et questionnements aux habitants avant de trouver. Le site est en fait réparti sur plusieurs endroits. Le premier que nous trouvons est la nécropole. A l’entrée du site, il y a un groupe de personnes qui font un pique-nique. L’endroit est magnifique. Tout autour, les arbres et la végétation. Mais à y bien regarder, il y a aussi l’armée, de nombreux tanks entourent en fait le lieu.

Nous nous dirigeons ensuite vers la deuxième partie du site, le temple. Nous garons la voiture juste avant la barrière et continuons ensuite à pied quelques minutes. Avant de rejoindre le site, on passe devant une petite maison et une ferme. Les chiens nous attendent patiemment et viennent nous saluer, heureux de recevoir de la visite. On ne dirait pas que juste derrière cette ferme se trouve un site archéologique vieux de plus de 2500 ans.

Nous passons un bon moment à nous promener dans le passé dans cette bulle d’histoire et de beauté puis nous retournons à notre présent. Nous retournons dans le centre-ville, les garçons ont décidé de me faire faire un petit tour de la ville en voiture. Nous passons devant les établissements scolaires respectifs des garçons, le quartier de la famille de Ghadeer, celui de la famille de Maher, les églises, les mosquées, le fleuriste le plus connu de la ville, la gare, etc. Les garçons ont ensuite envie d’un jus de fruit bien frais. C’est le Ramadan et la rupture du jeûne n’a pas eu lieu mais sur la côte, le Ramadan est beaucoup moins pratiqué. Les cafés et restaurants sont bondés. Personne ne se « cache » pour manger, pas même dans la rue. Ça change de Damas. Ça change aussi du Caire où j’étais au début du Ramadan. Au Caire, l’ambiance du Ramadan est beaucoup plus traditionnelle, l’ambiance change totalement. On ne peut manger ou boire que dans les cafés ou restaurants dits « modernes ». Quelques cafés traditionnels restent ouverts mais derrière de grands rideaux pour se cacher de la rue. J’observerai le même phénomène sur toute la côte pendant mon voyage concernant le Ramadan, cela s’expliquerait par le fait que la côte est peuplée majoritairement d’Alaouites, une branche de l’Islam considérée comme moins « pratiquante ». Généralement les Alaouites boivent de l’alcool et ne pratiquent pas le Ramadan par exemple.

Retour à Tartous. Après notre jus frais, nous rejoignons la Corniche pour nous promener puis profiter du spectacle exceptionnel que nous offre le ciel ce soir-là avec un coucher de soleil majestueux.

Nous passons un long moment à admirer ce ciel et les variations de ses couleurs. J’aime ces moments d’éternité face à la beauté du monde. Nous ne sommes rien face à sa puissance. Et autour de moi, c’est un autre monde. Des amoureux qui discutent, un homme qui pêche.

Je finis par m’extirper de ce théâtre une fois les couleurs disparues dans le ciel, je quitte les garçons pour faire quelques courses avant de retourner à l’hôtel. Après quelques chapitres de mon livre, je m’endors dans un sommeil profond, des images déjà plein la tête.

Le lendemain matin, j’avais prévu de prendre mon petit-déjeuner sur le balcon de ma chambre d’hôtel. La veille au soir, j’avais acheté des petits pains au chocolat (rien à voir avec ceux de France, quand on vit au Moyen-Orient, on peut faire une croix dessus) et ce matin-là, j’ai commandé un cappuccino pour accompagner mes petits pains au chocolat. J’ai profité de chaque seconde de ce moment : mes petits pains au chocolat, mon cappuccino et la vue sur la mer. De vraies vacances.

Maher et Ghadeer me rejoignent ensuite dans le hall de l’hôtel. Notre programme aujourd’hui est d’aller visiter l’île d’Arwad, à une demi-heure en bateau de Tartous. Nous nous rendons donc au port. Petit passage obligé par la cabine militaire pour prendre mon numéro de passeport et poser quelques questions (Je viens d’où ? Je fais quoi ici ? je bosse aux Nations Unies ? Ah bon professeure ? et je reste combien de temps ?).

Nous attendons un long moment sur le bateau avant de partir. A un moment-donné, une femme monte sur le bateau avec une pancarte sur lequel il est écrit quelque chose en arabe. Elle demande aux gens sur le bateau de poser avec cette pancarte, c’est en fait un appel au vote, les élections ont lieu dans quelques semaines.

Nous finissons par partir et c’est une épopée à travers les vagues qui nous attend en réalité pour cette traversée. Plusieurs fois j’ai l’impression que le bateau va se retourner tant nous sautons par-dessus les vagues et tremblons.

Nous arrivons ensuite sur l’île d’Arwad et je découvre un tout autre monde. C’est une petite île, décrite par les habitants de Tartous comme plus traditionnelle car composée majoritairement par des musulmans sunnites. En effet, ici, nous retrouvons l’aspect traditionnel du Ramadan, les cafés et restaurants sont fermés et personne ne mange dans la rue.

Le lieu est magnifique, il y a une petite ambiance grecque avec les murs peints en bleu et blanc et la chaleur qui tape sur nos têtes. Nous nous promenons dans les ruelles jusqu’à rejoindre la Citadelle.

La Citadelle surplombe toute l’île. Elle crée un beau mélange de matières et de couleurs entre le doré de ses pierres et le blanc éclatant des maisons autour.

Mais un sombre passé ressurgit. La Citadelle fut utilisée comme une prison par les Français pendant l’Occupation de la Syrie. Notre passé colonial et barbare semble entacher chaque recoin du Moyen-Orient. Il me fait si honte. C’est pour ça que j’ai une telle fascination pour Salah El Din qui s’est dressé avec une telle force contre les Occidentaux. J’aime à croire que si j’avais vécu à son époque, j’aurais aussi rejoint le camp des Arabes et, comme je pense que ce fut le cas dans une autre vie, aurait été l’une des femmes de ce grand guerrier ! Haha.

Nous nous promenons ensuite dans un autre coin de l’île : là où sont construits les nombreux bateaux de pêcheurs. L’endroit est contrasté. Il y a à la fois les couleurs éclatantes et artistiques du lieu, et, juste aux pieds de ses couleurs, la triste réalité de l’île : une pollution écœurante qui noie tout. L’île n’a pas de système de traitement des déchets et refuse, à priori, selon les habitants de Tartous, d’en mettre un en place comme l’aurait proposé le gouvernement. Du coup les déchets sont jetés par terre ou directement dans la mer.

Nous finissons par quitter l’île quelques heures plus tard et revenir à Tartous. Le trajet retour est beaucoup moins mouvementé et, comme tous les trajets retours, passe beaucoup plus vite. Ghadeer doit alors nous quitter pour aller à son cours d’allemand, et Maher et moi nous dirigeons de nouveau vers le restaurant Galaxy pour un bon repas. C’est le milieu de l’après-midi, il fait très chaud. Nous avons pour plan de visiter la vieille ville mais nous attendons qu’il fasse moins chaud. Ça tombe bien, ce sera alors la golden hour pour profiter de la vieille ville. Nous nous y rendons donc vers 17h30/18h. La vieille ville est magnifique, pleine de petits recoins, de linges pendus aux fils, d’hommes au café qui attendent l’iftar (la rupture du jeûne) et d’enfants qui jouent sur la place. Apparemment elle ressemble beaucoup à Byblos au Liban mais est beaucoup moins connue.

Après tout cela et même si je commence à sentir cette journée de visites peser dans mes jambes, une belle soirée m’attend. Je suis invitée chez la famille de Louay, mon collègue qui passe aussi ses vacances à Tartous en famille et qui m’a amenée en voiture. Grégory, mon collègue d’histoire-géographie, est arrivé à Tartous lui aussi et il est donc aussi de la partie. Louay vient nous récupérer à notre hôtel et nous nous dirigeons vers l’hôtel où lui et sa famille logent. Sa famille nous a préparé un festin : du poisson frais, du riz, de la salade, du hummus et du labneh bien sûr, et bien d’autres choses. Je profite de ce moment pour parler plus avec ses parents avec qui je n’avais pas eu l’occasion de parler dans la voiture. C’est aussi l’occasion de pratiquer mon arabe car ses parents ne parlent pas anglais. J’entame une discussion sur l’histoire du monde arabe avec le père de Louay, l’Égypte, la Syrie et la Palestine plus particulièrement. C’est un de mes sujets préférés…

Après le repas, Louay, Grégory et moi nous installons sur le balcon. Il fait bon, la mer se confond avec le ciel dans l’obscurité de la nuit. On distingue quelques étoiles. Nous passons un long moment à discuter de choses et d’autres, à rire. C’est un de ces moments suspendus dans le temps, ces moments précieux que l’on partage entre amis.

Quelques heures plus tard, Louay nous ramène à notre hôtel et nous nous disons au revoir.

En effet, le lendemain je quitterai Tartous pour aller vers le nord à Lattaquié où de nouvelles aventures m’attendent. A la semaine prochaine pour la suite de ce voyage sur la côte !

 

Chronique syrienne #11 – Départ pour la côte syrienne