Après mon séjour à Tartous, je me dirige maintenant vers Lattaquié, toujours en compagnie de mon ami Maher. Nous quittons Tartous très tôt ce matin-là. Au départ, le plan est de prendre le train de 6h30 pour rejoindre Lattaquié en longeant la côte. Il y a seulement un train par jour et il paraît que la vue est imprenable sur la côte. Mais la gare est fermée, probablement à cause du Ramadan et des fêtes de Pâques. Nous nous dirigeons donc vers la gare routière. Le bus de 7h ne partira finalement qu’à 8h, il n’y a pas assez de passagers pour le premier et avec la crise du carburant qui touche le pays depuis des mois, on ne gaspille pas. Nous partons enfin et faisons le trajet jusqu’à Lattaquié entre mer et montagnes.

Au checkpoint à l’entrée de la ville, on me demande de descendre pour répondre à quelques questions. C’est normal, un contrôle de routine. Il y a très peu d’étranger actuellement en Syrie et encore mois d’étrangers qui peuvent voyager. Par exemple, toutes les personnes qui travaillent en ONG (et ils représentent 98% des étrangers en Syrie) doivent avoir une autorisation du ministre des Affaires étrangères pour voyager. Dans mon cas, je n’ai besoin d’aucune autorisation et je peux me promener à peu près partout. Du coup, j’en profite ! Mais cela explique bien évidemment l’étonnement des soldats et leur curiosité. On me demande donc mon nom, celui de ma mère et de mon père, ma nationalité, les raisons de ma venue à Lattaquié et dans quel hôtel je vais rester. Nous indiquons deux noms car je n’ai pas pu faire de réservation par téléphone. Les renseignements donnés, nous pouvons entrer dans la ville.

En arrivant au premier hôtel, qui disposait pourtant de chambres disponibles lorsque j’ai appelé la veille, celui-ci est tout à coup complet et en travaux. L’homme semble irrité par ma venue et pressé de me voir partir. J’ai beau lui expliquer que j’ai appelé la veille, que j’ai une carte de résidence, rien n’y fait, pas de chambre. Je comprendrai la raison le soir-même. Je me dirige donc vers le deuxième hôtel. Cette fois-ci, on me laisse prendre une chambre. L’hôtel n’est pas dans le meilleur des états, la douche n’a de l’eau chaude que quelques heures par jour (je vous avais dit que c’était un indicateur !) et la chambre donnant sur la rue est assez bruyante, mais je n’y serai que pour dormir, ça ira très bien.

Après avoir déposé nos affaires, nous prenons un taxi pour rejoindre un restaurant avec une vue imprenable sur la côte et la mer afin d’y prendre notre petit-déjeuner.

Après le petit-déjeuner, j’ai rendez-vous avec Ghaith et son ami Yazan qui vont nous emmener sur le site archéologique d’Ugarit. Je suis en contact avec Ghaith sur Instagram depuis plusieurs mois, il me partage souvent des photos des excursions et randonnées auxquelles il participe dans la région de Lattaquié. D’ailleurs, le lendemain nous avons tous prévu de participer à une randonnée dans les montagnes à Slunfeh. Mais pour l’heure, les garçons nous récupèrent en voiture devant le restaurant et nous partons tous ensemble pour Ugarit qui se situe à 15 minutes en voiture seulement du centre-ville.

Le site est complètement à l’abandon. C’est plus une visite d’une jungle que la visite d’un site archéologique.

Pour le moment, ce n’est pas la priorité du pays de prendre soin des sites archéologiques. Le pays fait face à une énorme crise économique et doit penser à la reconstruction du pays. Le petit site d’Ugarit n’est donc pas sur la liste des priorités.

Les garçons nous emmènent ensuite faire un petit tour sur la côte, admirer la vue puis visiter le (minuscule) centre-ville historique. Nous en profitons pour acheter des sucreries en cadeau à une amie de Maher à qui nous allons rendre visite. Après cela, nous rentrons nous reposer un peu à l’hôtel, le réveil à 5h ce matin commence à se faire sentir.

Après une bonne sieste, nous nous rejoignons dans le hall de l’hôtel avec Maher et nous retrouvons des amis à lui qui vivent à Lattaquié : Ghadeer et Salim. Au programme, nous allons nous promener en ville et en particulier dans la rue américaine où l’on peut trouver cette superbe maison qui est maintenant un magasin d’antiquités et de décoration.

Nous allons manger un bon burger puis je retrouve mon amie Shahd. Nous allons boire un café dans le café « Friends » qui reprend le décor de la célèbre série télé. L’ambiance y est un peu glauque. Je ne saurais expliquer pourquoi, la luminosité désagréable, un truc dans l’air, je ne sais pas. Shahd n’est pas très bien. On décide d’aller se promener sur la Corniche. Elle m’emmène vers un point célèbre de la Corniche, il fait nuit noire, nous sommes à peine éclairées par les basses lumières de la rue, les vagues frappent fort et nous nous perdons dans cette éternité. Shahd se confie. La nuit dernière, Israël a lourdement bombardé la campagne de Lattaquié. Ce n’est malheureusement pas inhabituel, Israël bombarde régulièrement Damas, principalement la région de l’aéroport, des bases et des entrepôts militaires ainsi que certains quartiers stratégiques. L’attaque d’Israël  l’a mise dans un état de nervosité intense. Elle n’en peut plus de ce climat, 10 ans de guerre, les attaques constantes des « voisins » comme on les appelle ici, la situation économique actuelle, le peu de perspectives. Elle veut partir, mais elle ne sait pas où pour le moment.

Nous passons un moment à discuter puis je rentrerai à l’hôtel après m’être battue avec Shahd pour payer le taxi. Peine perdue.

Le lendemain, le réveil sonne aussi de bonne heure. Nous avons rendez-vous avec Ghaith, Yazan et un (grand) groupe de personnes pour partir faire une randonnée à Slunfeh, dans les montagnes. Je ne suis pas très fan des excursions en grand nombre, surtout une randonnée car il faut suivre le rythme des uns et des autres, mais c’est aussi un bon moyen de rencontrer des gens mais aussi de pouvoir faire des activités qu’on ne ferait pas tout seul autrement.

Nous partons dons à 4 vans en direction de Slunfeh. La route est magnifique. Nous passons près du château de Salah el Din que je n’aurai pas l’occasion de visiter cette fois-ci.

Nous arrivons à destination pour le début de la randonnée. L’un des vans a été stoppé à un checkpoint et nous devons donc l’attendre pendant plus d’une heure. L’occasion de discuter avec les autres et de faire des rencontres, notamment avec Abir, une Syrienne qui a vécu longtemps en France et qui parle donc très bien français. Le feeling passe tout de suite et nous discutons un long moment. Une fois le dernier van arrivé, nous commençons la randonnée pour nous arrêter seulement une demi-heure plus tard : c’est déjà l’heure de la pause déjeuner… Ah ! Au Moyen-Orient, on ne plaisante pas avec les pauses. On sort les immenses théières que l’on placera sur un feu, les sandwichs, les incontournables chips et bien sûr… les chichas et la musique !! Si vous étiez venus pour un moment de tranquillité dans les montagnes, oubliez !

Après plus d’une heure de pause, nous repartons et nous découvrons ce lieu magnifique. Nous ferons au final 9 kilomètres dans ces montagnes sublimes. Au bout d’un moment je dépasse le groupe pour pouvoir me retrouver un peu seule, j’ai du mal à être avec trop de monde pendant un long moment, surtout dans la nature. Je profite de ces moments de tranquillité loin de tout.

Après la randonnée, nous rentrons à Lattaquié. Je dis au revoir à Maher qui rentre à Damas et je me fais un petit diner au resto solo après cette grosse journée. C’est la bonne fatigue de la randonnée, je mange ma salade et mon humus, lis quelques pages de mon livre puis je m’endors quasi instantanément.

Le lendemain, j’ai décidé d’aller faire un petit tour dans le centre-ville de Lattaquié. Il y a quelques églises que j’ai envie de voir. Il n’y a pas grand monde dans les rues, il faut chaud mais il y a un petit vent frais. Je déambule et découvre de belles petites rues puis visite la magnifique église latine.

Ensuite je continue mon tour de la ville avant de rejoindre Shahd pour un dernier café ensemble. Elle m’accompagne à la gare routière puis c’est le départ pour Damas.

Dans le bus, je sens bien que la personne à ma gauche de l’autre côté de l’allée a envie de me parler mais je ne le sens pas trop. C’est une jeune femme très bruyante assez blingbling et constamment au téléphone. Elle finit par m’adresser la parole pour me demander ce que je fais là, si je suis touriste ou non, d’où je viens. Quand je lui dis que je vis ici, elle me demande alors d’un ton dédaigneux « Mais comment ça se fait que tu ne parles pas arabe ? », ce à quoi je lui réponds en arabe que si, je parle arabe.

Sans que je lui demande, elle commence ensuite à me raconter sa vie. Qu’elle est syrienne mais qu’elle vit aux États-Unis depuis longtemps car elle s’est mariée avec un Américain. Elle me demande mon métier et si je gagne bien ma vie. Je lui réponds donc que je suis enseignante et que non, mon salaire est modeste. Elle me répond donc d’un air trèèèèèèès américain et encore une fois sans que je lui demande quoi que ce soit « Well, I’m a lawyer… So… » (avec un vocal fry digne de sa région d’adoption la Californie). Je tente désespérément de me sortir de cette conversation qui m’ennuie terriblement. Seuls mes écouteurs me sauveront de ce vide abyssal.

J’adore les trajets. En voiture, en bus ou en train, je ne m’en lasse pas. J’adore regarder les paysages défilés, mes musiques préférées dans les oreilles et laisser vagabonder mon esprit. C’est comme un long moment de méditation, je fais le point, je réfléchis, je contemple. C’est souvent un moment où j’avance dans mes réflexions, mon bloc-notes sur mon portable va ainsi se remplir de tout un tas de notes et de pensées. Une fois n’est pas coutume donc, pendant mon trajet retour vers Damas, je laisse mes pensées divaguer.

Et puis il y a ce sentiment de sérénité qui m’accompagne. Après quelques jours de bonheur à voyager et découvrir de nouvelles villes, de nouveaux paysages et de nouvelles personnes, je rentre à Damas, chez moi.

C’est la première fois que je rentre en bus à Damas. La gare routière est située en périphérie de la ville, à Douma, et cette partie de la ville a été complètement détruite pendant la guerre. La gare routière se trouve pourtant là, en plein milieu des ruines. Même si l’on sait que cette réalité existe bien évidemment dans différents endroits en Syrie, c’est toujours un choc intense de s’y retrouver confronté.

Mon américaine reloue finit par me donner son numéro (avec le nom de son mari américain you know) parce qu’on doit ABSOLUMENT aller danser ensemble. Heureusement elle ne m’a jamais appelée.

Pour pouvoir rejoindre le centre-ville, il faut prendre un taxi. Nous arrivons pile au moment de l’appel à la prière marquant la rupture du jeûne. Les chauffeurs de taxi sont donc en train de manger dans leur voiture. Je rencontre quelques personnes qui partent dans la même direction que moi et nous décidons de partager un taxi. Sur le trajet jusqu’à la maison, la différence avec la côte est saisissante : alors que dans les villes de Tartous et Lattaquié les rues étaient bondées à n’importe quelle heure de la journée sans exception, à Damas pendant le crépuscule, pas un chat dans les rues. Toutes les voitures sont arrêtées et tout le monde semble chez soi pour l’iftar.

Mon retour à Damas n’est que temporaire, la semaine prochaine je pars pour mon coup de cœur de ces derniers mois : Hama ! <3

Chronique syrienne #12 – Lattaquié