Depuis mon premier séjour à Alep en novembre 2020, j’y suis retournée plusieurs fois. Quelque chose m’attire dans cette ville que je ne peux pas vraiment expliquer.

J’aime les villes qui ont une âme, les villes qu’il faut prendre le temps de découvrir, qui mettent du temps à abandonner leurs secrets, qu’il faut explorer, comprendre. Et à Alep, la plus vieille ville du monde, il y en a des couches à soulever pour tenter d’effleurer un peu de son histoire. J’aime son histoire millénaire, sa diversité et son architecture si différente de celle de Damas.

J’ai également l’impression qu’Alep est le concentré du cocktail de mes émotions au sujet de la Syrie. Elle fait partie des villes qui ont le plus été touchées par la guerre. Alors que Damas a été relativement épargnée, Alep, elle, porte encore aujourd’hui les stigmates du conflit. Les destructions défigurent la ville, parfois un quartier, parfois une rue ou encore un bâtiment. Et en même temps, puisqu’il le faut, la vie continue. Chacun poursuit son quotidien, les cafés, les restaurants et les boutiques sont ouverts, jouxtant un immeuble détruit. Au milieu des décombres la vie reprend ses droits, les piétons se baladent et achètent des sucreries face à la Citadelle fièrement dressée face à la désolation des bâtiments ravagés.

À force de séjours là-bas, j’ai créé une relation particulière avec cette ville. J’aime y retourner régulièrement pour continuer de l’explorer. J’y retrouve certains lieux favoris ainsi que des amis désormais.

Petit récit des mes dernières pérégrinations.

Trip n°2 – Juin 2021

L’année dernière au mois de juin, je décide de retourner à Alep et j’embarque avec moi Maher et son ami Adeeb qui n’a pas revu Alep depuis la guerre, mon collègue Grégory et mon amie et collègue Soulafa.

Nous partons tôt le matin tous ensemble en bus depuis la gare routière qui se trouve dans le quartier de Douma, en périphérie de Damas, ravagé par la guerre. La gare routière se situe littéralement au milieu des ruines.

Il nous faut environ 4 heures et demie à cinq heures pour rejoindre Alep, le trajet étant ponctué d’une pause d’une demi-heure dans la gare routière de Homs et de plusieurs checkpoints militaires.

Nous arrivons en début d’après-midi et après avoir déposé nos affaires à l’hôtel et pris possession de nos chambres, nous nous dirigeons vers le lieu de notre déjeuner. Mon amie Mylène, qui vit à Alep et à qui j’étais venue rendre visite l’année dernière, nous fait le plaisir de se joindre à nous pour un café. Puis c’est au tour d’un ami de Maher, Waseem, un photographe alépin, de nous rejoindre. Waseem va d’ailleurs au cours de ce séjour devenir un très bon ami à moi, et je le verrai à chacun de mes séjours ici. Je découvre grâce à lui une autre facette de la ville et de nombreux lieux cachés.

Nous nous dirigeons ensuite vers l’ancien centre historique gravement touché par les bombardements pendant la gare. Quelques reconstructions ont commencé mais comme d’habitude, les moyens manquent. Un peu plus loin, de magnifiques anciennes bâtisses en bois mériteraient elles aussi quelques rénovations.

Nous rejoignons à pied l’esplanade de la Citadelle d’Alep au beau milieu de la golden hour. La lumière orangée baigne le lieu et lui donne une atmosphère particulière. La place est bondée, les familles ou les amis se réunissent pour passer un moment à marcher autour de la Citadelle, manger du maïs ou de la barbe à papa.

Tout autour, c’est la désolation. Pourtant, cela ne semble plus perturber personne. La vie doit continuer, coûte que coûte. Les destructions font partie de l’histoire de la ville et les Alépins aspirent désormais à un retour à la normale selon leurs mots.

 

Nous continuons notre promenade en direction des souks qui entourent la mosquée des Omeyades.

Je peux alors voir les progrès des rénovations depuis la dernière fois que je suis venue en novembre l’année précédente. De nouvelles boutiques ont ouvert dans la partie reconstruite, et les rénovations avancent, particulièrement dans le « souk des femmes » ainsi que la rénovation de la mosquée. Cela va devenir au fil de mes séjours à Alep, un véritable rituel que de venir voir les rénovations de ce quartier et de me poser admirer celles de la mosquée des Omeyades d’Alep.

 

Le lendemain, nous commençons notre promenade par la visite de deux lieux que j’aime beaucoup et que j’avais déjà visités la première fois : un magnifique caravansérail et l’institut de formation au tourisme qu’a monté mon amie Mylène et qu’elle m’a fait visiter la dernière fois. Le lieu n’est habituellement pas ouvert à la visite mais Mylène a passé un coup de téléphone à la directrice pour nous permettre d’y entrer.

La cour du Khan

 

La cour de l’Institut de tourisme.

 

Puis nous vient la meilleure idée de l’année : visiter la Citadelle à 13 heures en plein mois de juin sous 40 degrés. Cela vaudra d’ailleurs une insolation à Soulafa qui ne se joindre malheureusement pas à nous pour goûter les boulettes de viande à la sauce cerise, célèbre spécialité alépine, du fameux restaurant « Qortoba ». Il lui faudra attendre l’année suivante et un autre séjour à Alep pour pouvoir enfin les goûter. Même si les conditions de la visite furent un peu éprouvantes au vue de la chaleur, cela en valait largement la peine.

On a continué la série « Mais où est Salah el Din ? »

 

Après un repos bien mérité à l’hôtel, nous continuons notre journée et allons contempler le coucher du soleil près d’un café en haut de la porte d’Antakya.

Puis nous allons visiter la mosquée que je rêvais de visiter et avec laquelle je saoulais tout le monde depuis notre arrivée. L’atmosphère est unique dans cette mosquée aux airs de mille et une nuits. Quasiment à l’abandon, des fidèles se pressent tout de même pour prier lorsque nous arrivons au moment de la prière du maghreb (coucher de soleil). Nous passons un long moment à déambuler dans son immense cour.

 

Le soir nous dégustons un dernier repas entre amis puis le lendemain, il est déjà l’heure de nous séparer car Soulafa et moi nous levons tôt pour partir vers la côte pour le reste de notre road-trip. Mais ça, c’est une autre aventure !

 

Trip n°3 – Novembre 2021

En début d’année scolaire, Alep me manque (comme toujours) et je décide d’y emmener ma collègue Hayat pour lui faire découvrir la ville.

Nous devions partir en bus le jeudi après-midi après l’école mais j’avais un peu peur d’arriver en retard car nous devions dormir chez les sœurs et nous avions un couvre-feu (j’expliquerai plus tard). Comme on ne sait jamais trop combien de temps peut prendre le trajet en bus (surtout que je n’avais pas réservé), je n’étais pas sûre d’arriver à l’heure. Hayat me rejoint chez moi aux environs de 14h et nous trouvons un taxi en bas de chez moi qui doit nous emmener à la gare routière. Nous montons et en voyant nos sacs, le chauffeur nous demande où nous voyageons, je lui réponds que nous partons à Alep. Par chance, le chauffeur part sur la côte et nous propose de nous déposer à mi-chemin à Homs pour une somme intéressante. Cela nous arrange beaucoup : au lieu d’aller jusqu’à la gare routière, d’attendre de trouver un bus, qu’il parte, etc., nous nous mettons directement en route grâce au premier taxi trouvé en bas de chez moi. Deux heures plus tard, nous voilà à Homs. À la gare routière de Homs nous sommes chaleureusement accueillies par un soldat qui n’en revient pas de m’entendre parler arabe. Il nous aidera alors pour tout : l’achat des billets pour Alep, il nous installera au chaud dans un de ses bureaux (nous sommes un soir de novembre, il commence à faire frais) puis reviendra nous chercher pour nous conduire au bus à son arrivée. Deux heures plus tard, nous sommes à Alep, Waseem est venu nous chercher accompagné de Maher qui est déjà là depuis quelques jours. Nous n’avons pas beaucoup de temps avant le couvre-feu donc les garçons nous déposent directement au couvent !

Voici donc la raison pour laquelle nous dormons chez les sœurs. Dans les hôtels en Syrie, il y a deux prix : celui pour les étrangers (en devises) et celui pour les Syriens ou les résidents. Pour pouvoir dormir dans un hôtel et payer le prix local en étant étranger, il faut donc posséder une carte de résidence (ce qui est le cas des étrangers travaillant à l’école française par exemple mais pas celui d’autres étrangers notamment ceux qui travaillent en ONG, cela s’explique selon moi par le fait que nos salaires n’ont absolument rien à voir : les salaires de l’école se rapprochant beaucoup plus des salaires locaux, cela nous donne ainsi quelques avantages). Malheureusement, la carte de résidence d’Hayat n’était pas encore prête et si nous ne voulions pas payer une chambre d’hôtel à un prix étranger largement éloigné de nos salaires, il nous restait une solution : le couvent.

J’avais rencontré Sœur Antoinette lors de mon premier séjour à Alep. J’avais été très touchée par l’histoire de cette femme, sa force et son sourire communicatif. Avec son petit accent qui roule les « R », elle me rappelait les sœurs de l’école dans laquelle j’ai travaillé pendant deux ans en Égypte avant de venir en Syrie.

Le couvent demande une petite contribution en échange du gîte, et nous étions heureuses de pouvoir contribuer un peu au travail des sœurs.

Et nous étions en plus bien installées ! Les chambres et la salle de bain n’étaient pas aussi sommaires que ce que je pensais, nous avions même de l’eau chaude et le wifi.

 

Le lendemain matin, les garçons viennent nous chercher et Waseem nous emmène déjeuner dans un magnifique endroit Dar Halabia, une petite maison alépine rénovée après la guerre nichée dans les ruelles du vieux Alep près de la porte d’Antakya.

Nous petit-déjeunons tous ensemble au son de Fayrouz, puis explorons la maison du sol au plafond et rencontrons même le propriétaire heureux de nous faire découvrir les lieux.

Nous nous dirigeons ensuite vers le centre pour aller visiter le musée national d’Alep qui vient tout juste de rouvrir ses portes. Seul 10% des pièces sont actuellement présentées. Le musée avait été fermé pendant la guerre et de nombreuses pièces ont été déplacées notamment à Damas. Mais petit à petit, les choses se remettent en place comme ici avec la réouverture progressive du musée (il était interdit de prendre des photos à l’intérieur et j’ai, pour une fois, respecté cette règle).

Ensuite nous sommes allés visiter un lieu qu’il me tenait à cœur de voir depuis longtemps : le célébrissime hôtel Baron. Cet hôtel est un véritable monument historique puisque c’est ici qu’ont séjourné des personnalités telles que Agatha Christie et Annemarie Schwarzenbach (parmi mes voyageuses préférées) mais c’est aussi ici que le président égyptien Abd el Nasser a fait son discours au moment de l’unification des deux pays, et au même endroit que Hafez Al Assad fera symboliquement son discours quelques années plus tard au moment de l’indépendance de la Syrie, pour ne citer qu’eux.

L’endroit ressemble d’ailleurs à un véritable musée, une bulle temporelle vers une époque révolue.

Nous continuons notre visite de la ville avant d’aller déguster un repas maison dans la famille de Waseem puis de rentrer chez les Sœurs pour le couvre-feu.

Ma tête quand je vois de la nourriture syrienne & homemade <3

 

Le lendemain, nous passons un moment avec Sœur Antoinette. La discussion tourne rapidement autour de la situation à Alep mais aussi les souvenirs de la guerre. Elle nous raconte l’arrivée de Daech, les bombardements, cette femme dont la sœur et tous ses enfants sont morts dans les bombardements, ne s’est jamais remise.

« On est retournés 1000 ans en arrière. Chaque famille est complètement déchirée. » Cela fait deux ans qu’elle n’est pas retournée à Homs pour voir sa famille. Elle n’en a pas le courage et il y a beaucoup à faire à Alep pour le moment.

Nous rejoignons ensuite les garçons, car c’est déjà le moment de profiter des dernières heures en ville puisque plusieurs heures en bus nous attendent avant de rentrer à Damas. Nous terminons donc par la traditionnelle balade dans le quartier des souks autour de la mosquée des Omeyades avant de nous mettre en route vers la capitale syrienne.

Trip n°4 – mars 2022

Le mois dernier, nous avons décidé avec mes deux copines Soulafa et Samia de nous faire un petit road-trip entre filles à Alep.

Nous nous sommes donné rendez-vous en bas de chez moi à 7h du matin puis nous sommes dirigés vers la gare routière. Nous avons malheureusement raté le bus pour lequel nous avions fait la réservation car quelqu’un était en retard (je ne vais pas balancer mais Samia c’est la dernière fois). Nous avons donc dû attendre 9h pour partir. Le trajet s’est facilement fait jusqu’à Alep en environ 4 heures avec une pause d’une demi-heure à Homs. À notre arrivée à Alep en début d’après-midi, Waseem nous attendait, ainsi que la pluie. Nous sommes allées déposer nos affaires à l’hôtel. Soulafa et moi partagions la même chambre comme toujours, et Samia avait décidé de prendre une chambre seule pour profiter au maximum de son indépendance pendant ce week-end. Un peu plus tard, nous avons rejoint Waseem et nous avons passé la majeure partie de la journée à manger dans différents lieux en raison de la pluie qui ne s’arrêtait pas. Le soir, nous avons été rejoints par mon amie Mia, une Australienne d’origine syrienne venue s’installer en Syrie depuis quelques mois et que j’ai rencontrée sur Instagram car nous partageons la même passion pour le pays. La feeling est bien passée avec les filles ainsi qu’avec Waseem et Mia nous a ainsi accompagnés tout le week-end.

 

Le lendemain matin, après un copieux petit-déjeuner face à la Citadelle, nous sommes une fois de plus allées nous promener dans ce quartier. J’aime beaucoup les scènes de vie autour de la Citadelle. Et j’aime voir un même lieu sous différentes couleurs, c’est la raison pour laquelle je ne me lasse jamais de revenir dans un même lieu. Chaque fois la lumière est différente, les gens qui peuplent l’endroit le sont ainsi, et l’atmosphère ne cesse de changer pour offrir une nouvelle palette de sensations.

Autour de la Citadelle, c’est toujours le même spectacle : des gens qui viennent profiter de la vue de la Citadelle qui a revêtu son manteau vert à l’occasion du printemps, les vendeurs de sucreries ou de popcorn, tout cela entouré des destructions qui font désormais partie du paysage.

Nous continuons notre visite rituelle, quasiment un pèlerinage au point où nous en sommes, vers le quartier des souks qui jouxte la mosquée des Omeyades. Nous rencontrons un homme qui décide de nous faire visiter les lieux. Je reste un peu avec lui mais j’ai du mal à le comprendre et je n’ai pas envie que les filles aient à traduire donc je pars un peu de mon côté pour contempler la mosquée justement. Les filles me rejoignent un peu plus tard puis nous nous promenons ensuite dans les souks, entre rénovations et chaos.

Nous décidons ensuite de nous rendre à un événement soufi qui se situe un peu plus loin dans le centre historique. Ce sera l’occasion de découvrir une partie de la ville que je n’avais jamais visitée et qui comprend nombre de ruelles aux décorations heureuses.

J’aime tout particulièrement les maisons arborant des dessins de la Mecque, informant les autres habitants que le pèlerinage a été effectué et que le propriétaire peut désormais être appelé « Hajj » (« celui qui a effectué le pèlerinage à la Mecque »), bien que ce terme puisse être traditionnellement utilisé avec des personnes ayant atteint un certain âge même s’ils n’ont pas effectué le pèlerinage. On peut parfois trouver de véritables fresques représentant les différentes étapes du pèlerinage.

Nous nous dirigeons ensuite vers le petit café coloré que nous avions déjà visité avec Soulafa l’année précédente et qui se trouve non loin d’ici afin d’y admirer le coucher de soleil.

Nous finirons bien évidemment la soirée autour d’un bon repas avant d’aller reprendre des forces pour les explorations du lendemain.

Le samedi pour le dernier jour, nous décidons d’aller visiter la Citadelle car Samia et Mia ne l’ont jamais visitée et cela reste un endroit magnifique où il y a toujours un détail à découvrir.

<3

Nous faisons ensuite un petit shopping traditionnel : j’ai besoin de refaire mon stock de savons d’Alep et de zaatar. Puis nous passons par chez Waseem pour dire bonjour à sa famille et voir les plus beaux chats de la Terre (après les miens à Avignon bien sûr).

Sur le chemin en voiture, j’ai un flash. Les ruelles, les immeubles, les sons, tout me propulse tout à coup à Alexandrie. Lorsque je vivais au Caire, j’allais très souvent à Alexandrie passer le week-end. Un de mes meilleurs amis y vivait et j’allais régulièrement lui rendre visite. Je me rends compte alors qu’Alep est un peu mon Alexandrie syrienne : la ville où j’aime me rendre pour m’échapper un peu de mon quotidien (que j’aime) et dont j’aime explorer chaque recoin.

 

Un peu plus tard, il est déjà l’heure de nous remettre en route. Je dis de nouveau au revoir à Alep mais je sais que je reviendrai vite découvrir de nouveaux détails.

Inshallah.

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