Je viens de rentrer d’un voyage de 5 mois et demi au Moyen-Orient. J’ai passé 2 mois dans un de mes pays préférés, l’Egypte, puis 2 semaines en Jordanie, et enfin 3 mois en Palestine. Chaque étape du voyage a été très différente et, pour le moment, j’ai surtout envie de parler des 3 mois que j’ai passés en Palestine.

 

 

Quand j’étais en terminale (il y a 12 ans…), on n’avait pas eu le temps d’étudier un dernier chapitre en histoire : celui sur le conflit israélo-palestinien. Je n’y connaissais pas grand-chose et ne m’y intéressais pas forcément. Et puis il a fallu étudier ce dernier chapitre toute seule à la maison avant le bac. Je me rappelle que quand je l’ai étudié, j’ai tout de suite trouvé ça absurde. Comment la création d’un état juif en plein milieu du Moyen-Orient avait-il à l’époque semblait une bonne solution ? Je n’ai à ce moment-là appris que les grandes lignes du conflit, et je n’avais alors absolument pas les liens que j’ai aujourd’hui avec le Monde Arabe, mais j’ai très vite su que j’étais plutôt pro-Palestine. Pendant des années, j’ai lu sur le conflit, regardé des films et des documentaires. J’ai toujours eu envie d’y aller, voir comment c’était vraiment là-bas, en savoir plus, comprendre, apporter mon soutien d’une manière ou d’une autre. Il y a 4 ans, quand je vivais à Moscou, j’ai rencontré une femme là-bas qui m’a dit y être allée plusieurs fois, que ce n’était pas comme ce qu’on en voyait dans les médias, et qu’il fallait y aller pour se faire sa propre opinion. Le projet a commencé à germer dans ma tête et les années qui ont suivi mon retour de Russie, je n’ai fait que me rapprocher de cette région pour finalement passer la frontière depuis la Jordanie le 1er novembre 2017.

 

Lorsque j’étais en Palestine, j’ai eu beaucoup de mal à écrire. De manière générale, j’écris pas mal : j’écris dans mon journal intime, dans mon carnet de voyage, dans mes carnets d’idées, j’écris des ébauches plus ou moins réussies d’articles ou des posts plus spontanés, mais j’écris. Pendant mon séjour de 3 mois en Palestine, je n’ai que très peu écrit. Je suis rentrée depuis quelques jours et je « commence » à y voir plus clair. Lorsque je suis arrivée, je me suis vite sentie oppressée. Je n’avais encore rien vu de choquant mais il y avait quelque chose dans l’air (métaphoriquement parlant), un truc lourd, un truc qui m’empêchait de respirer correctement, de me concentrer, d’être constructive, d’être bien. Je me suis sentie tout à coup très triste et j’ai passé les 2 premières semaines à pleurer. Je ne sais pas pourquoi j’ai réagi comme ça, en plus je n’avais pas l’impression de pleurer pour ça. J’avais plutôt l’impression de pleurer pour tout un tas d’autres choses. Avant de partir en voyage, j’avais eu une année (ou deux, ou trois, je ne sais plus) assez agitée et j’avais fini par oublier de m’écouter. Je faisais un peu un déni de ce dont j’avais besoin et envie et j’en ai souffert. La fatigue des 2 mois et demi de voyage déjà effectués et un petit coup de blues n’aidant pas, en arrivant en Palestine, j’ai pris conscience de tout ça et tout est sorti. Sauf que je me sentais encore plus stupide d’être tout à coup centrée sur mes émotions alors que j’étais dans un pays sous occupation où les gens ont affaire à des choses bien plus graves que mes petits problèmes. Pendant ces 2 premières semaines, je faisais un volontariat dans une auberge de jeunesse à Ramallah et j’y ai rencontré une autre volontaire, Elisabeth, une infirmière anglaise avec qui j’ai discuté de tout ça. Elle m’a dit qu’elle avait lu un livre juste avant son départ de la Palestine qui disait que lorsqu’on voyage dans des pays ou des régions en situation de crises ou de guerres, on s’attend à en oublier nos problèmes alors qu’en fait c’est tout le problème et que ces endroits font ressortir ce qui ne va pas en nous, et c’est pour cela que, de manière générale de toute manière, il faut régler ses propres problèmes avant de pouvoir aider les autres. Ces paroles, et celle de ma mère qui s’y connait bien, m’ont beaucoup apaisée et j’ai tenté petit à petit d’accepter ma souffrance pour pouvoir la résoudre.

A l’époque j’ai écrit un petit post sur Instagram que j’ai aussi publié sur Facebook qui résumait donc ces 3 mois de voyage et j’ai eu beaucoup de réactions.

« 3 mois de voyage.

C’est certainement la partie la plus difficile de mon voyage. On parle jamais vraiment de ça quand on voyage : les coups de mou, les coups de blues, les déceptions, les trucs qu’on avait pas prévu et auxquels on doit faire face, la fatigue, la lassitude, la solitude parfois.

Partir c’est vivre des choses magiques, rencontrer de nouvelles personnes, partager des moments fabuleux. C’est aussi se retrouver seul*e* faire face à ses angoisses, ne plus avoir de repères, se confronter à certaines réalités.

Depuis mon arrivée en Palestine, tous les sentiments se mélangent. Il y a la situation ici, l’enfer quotidien que vit la population palestinienne, les humiliations permanentes, la peur, les arrestations arbitraires, les tirs dans la nuit. Plus que de la tristesse c’est de la colère que je ressens. Souvent je me demande si ça change quelque chose ce que je fais, si ce n’est pas pour se donner bonne conscience, si c’est pas en vain. Et puis je me rappelle que le pays tient aussi le coup en partie grâce à la présence d’internationaux et d’ONG. J’essaie de penser aux gens et de croire que chaque geste, chaque action compte. Que dans ma vie quotidienne, c’est un mot, un sourire de quelqu’un qui peut changer ma journée.
Et aussi je me rappelle qu’une période difficile est parfois nécessaire pour aller mieux. Je me rappelle que c’est la vie que j’ai choisie et que c’est ça le bonheur : prendre ses propres décisions, être en accord avec soi-même. C’est pas avoir le sourire 24h/24h mais vivre la vie qu’on a choisi, dans les bons et les mauvais moments. »

 

Avec les réactions sur internet mais aussi en discutant autour de moi avec d’autres voyageurs, j’ai senti que j’avais touché un point sensible, que tout le monde se sentait ou s’était senti à un moment donné un peu comme moi et ça m’a encouragée à continuer d’écrire et surtout d’investir ce blog.

Et puis le coup de blues est passé, j’ai commencé à me sentir mieux, à prendre mes marques, à prendre part à des actions qui m’intéressaient réellement, j’ai terminé mon volontariat à Ramallah et je suis allée à Naplouse, rejoindre Celim, la personne que j’avais rencontré durant la première partie de mon voyage et avec qui je voyageais depuis. Nous avons commencé à participer à différents projets avec plusieurs associations palestiniennes (je vais consacrer un article à ces associations, leurs projets et les contacts dans le prochain article). Et puis j’ai aussi trouvé un petit boulot de prof d’anglais dans un centre de langues à Naplouse pendant un mois. J’ai pris un petit appartement pour quelque temps et j’ai partagé mon temps entre le bénévolat avec les associations, les cours d’anglais, j’ai aussi pris des cours particuliers d’arabe et il se trouve que le prof était en fait mon voisin, on a bien ri le jour où on s’est croisés pour la première fois sur le palier. J’ai aussi profité de mon séjour pour voyager dans le pays découvrir des villes comme Bethléem, Jérusalem ou encore El Khalil (Hébron).

 

J’ai énormément appris sur la situation là-bas. Des choses que je n’avais jamais lues. Et puis même, même quand on lit, même quand on nous raconte, ce n’est jamais pareil que lorsqu’on y est, qu’on voit de nos yeux, qu’on le vit vraiment. Il y a une différence entre entendre parler des soldats israéliens et les voir. Voir la haine dans leurs yeux, la violence dans leurs gestes. Il y a ce qu’on lit et qu’on a presque du mal à croire et ce que l’on voit en vrai : les Palestiniens qui se font frapper par les soldats, les soldats qui lancent des bombes assourdissantes à nos pieds depuis leur tour de contrôle et qui rient de nous voir courir, les drones qui volent au-dessus de nos têtes pendant les manifestations, les gaz lacrymos qui asphyxient, les démolitions illégales de maisons, les demandes de permissions qui ne sont pas acceptées sans aucun motif, les colons qui sont partout, les points d’eau et d’électricité tous contrôlés par Israël, le bruit des bombes assourdissantes dans les rues de Naplouse la nuit, les contrôles aux checkpoints… La liste est longue.

Je n’ai jamais été aussi en colère que pendant ce voyage. J’ai crié et j’ai pleuré, beaucoup. Au début je ne savais pas, je ne comprenais pas ce que je ressentais et puis quand je suis allée à la première manifestation, j’ai compris. J’étais et je suis en colère pour ce peuple qu’on a laissé tomber, ces gens qui ne sont plus soutenus, qui sont seuls face à une toute puissance. En manifestation, c’en est presque risible tellement c’est clair : d’un côté il y a l’armée israélienne avec les soldats et leurs M16, les drones, les tanks et le tank blanc (qui jette les eaux usées des colonies : en gros de l’eau et de la merde), parfois la police des frontières en renfort ; et de l’autre, il y a les Palestiniens avec leurs lance-pierres (et il faut le dire leur agilité incroyable !) et c’est tout. Pas d’armée, pas de police, juste les ambulances du Croissant Rouge Palestinien. Ah si, y a un truc en plus qu’ils ont : le courage. Parce qu’il faut les voir aller au plus près possible alors que les soldats en face, armés jusqu’aux dents, reculent en les voyant arriver.

Plus je participais à des actions, des manifestations, plus j’apprenais sur le conflit et ce qu’il se passe vraiment au quotidien pour les Palestiniens, plus j’étais en colère, plus j’avais envie de hurler sur les soldats et d’insulter les colons, et ça m’est arrivé quelques fois. Pourtant, ce qui caractérise les Palestiniens, c’est cette capacité à rester calme face aux humiliations, aux insultes et à toutes les tentatives d’Israël de faire de leur vie quotidienne un enfer. Et puis il y a ce sourire, malgré l’occupation, malgré les arrestations, les morts, la peur certainement, et je crois le manque d’espoir car ils se sentent abandonnés. Pourtant les Palestiniens continuent de sourire et d’offrir tout ce qu’ils sont capables d’offrir.

L’un de mes meilleurs souvenirs, en tout cas l’un des plus drôles, restera pour moi celui où pendant un affrontement avec l’armée israélienne à la sortie de Naplouse, pendant que tout le monde jette des pierres ou court pour fuir les gazs lacrymos, des gens surgissent de nulle part pour au choix : mettre de la musique à fond dans sa voiture ou encore vendre du café. Arab style.

Palestine I // Retour de voyage, premières impressions.