Il est difficile de trouver le ton juste pour (vous) raconter la Syrie. Je me pose souvent la question de ce que mes écrits, mes articles ici, mes petits posts sur Instagram, mes stories et mes photos sur les réseaux sociaux peuvent retranscrire. J’ai parfois peur d’être à côté de la plaque, de ne pas être juste, objective, neutre. Je ne suis pas journaliste. Je suis professeure, voyageuse et profondément amoureuse du Moyen-Orient depuis 8 ans. Ce que j’ai envie de montrer, c’est ce que je vois. Et ce que je vois, c’est l’autre côté du miroir. C’est la vie.

Être ici, c’est un mélange fort de nombreuses émotions diverses. Il y a une réelle volonté des gens ici de vivre, de surmonter la guerre et ses conséquences. Sur Instagram, je suis de nombreux comptes de photographie de Syriens qui prennent en photo leur ville : Damas, Alep, Homs, etc. Aucun ne renie la guerre mais ils ont aussi envie de passer à autre chose, de montrer une autre image. La Syrie, ce n’est pas seulement la guerre, les destructions, même si cela fait partie de l’histoire de ces dix dernières années, mais c’est aussi la vie, l’espoir, la reconstruction.

C’est ce que j’ai envie de partager, dans l’espoir de ne pas occulter non plus la souffrance, car les conséquences sont bien là malgré tout.

Le texte d’une amie syrienne avait, il y a quelques semaines, beaucoup résonné en moi. Voici ce qu’elle disait :

« Je pourrais vous raconter cette hideuse guerre urbaine qui a fait pleuvoir la mort sur ceux qui n’ont rien choisi, les édifices écroulés par les orages d’acier et les carcasses de voitures incendiées. Je pourrais vous parler de cette terre criblée de cicatrices et de balles et de tous ces destins brisés sous les bombes, de la sombre réalité de ces parents aux yeux noyés de douleur, de cette enfance privée d’insouciance et de toutes ces vies fauchées. De ces amoureux de la vie, flirtant malgré eux avec la mort.

Je pourrais témoigner de cette peur qui commande quand les tirs déchirent les airs mais qui peu à peu leur a appris à regarder la guerre dans les yeux. De cette peur de ne plus avoir peur. De mon pays devenu l’un de ceux où marcher peut tuer et de ce Monde en train de devenir fou.

Mais je voudrais simplement vous dire que la Syrie n’est pas le tombeau de l’Humanité, au milieu de l’obscurité elle continue à briller, elle lutte pour la vie, car la seule histoire qui vaille la peine d’être racontée en temps de guerre est la quête d’une éclaircie dans un ciel de brume. »

C’est également la discussion que j’ai eue avec mes élèves il y a deux mois, peu avant Noël je crois. Ils me disaient à quel point c’était dur pour eux l’image que l’on donnait d’eux et de leur pays dans les médias occidentaux. Ils ont envie de montrer autre chose. Pour autant ils sont conscients de ce qui se passe. Je me rappelle qu’un élève a dit à un moment donné que la Syrie ce n’est pas ça, la guerre, les bombardements, les réfugiés. Mais l’une d’entre eux a pris la parole pour dire que malgré tout, c’est aussi ça. Qu’il y a bien eu la guerre, des explosions et que des milliers de personnes vivent encore dans des camps de réfugiés.

Je ne savais pas à quoi m’attendre quand je suis venue travailler ici. Je ne savais pas comment j’allais trouver ces adolescents qui ont vécu une grande partie de leur vie à travers la guerre. Tous ont évidemment un parcours différent. Certains sont restés en Syrie tout le temps de la guerre, d’autres sont parties à l’étranger pendant quelques années. Mais tous ont une histoire qui les relie à ces dix années de souffrance de leur pays.

A la fin de mon premier cours avec les 4èmes en septembre dernier, je me rappelle qu’une bonne partie de la classe était venue me trouver pour me raconter leur histoire. La fois où les bombardements avaient atterri près de leur maison, la fois où leurs parents avaient décidé de quitter la Syrie, le nombre d’années où ils avaient dû partir, ou bien pour l’une, l’été dernier lorsque sa famille avait décidé de passer l’été à Beyrouth et s’était retrouvée à vivre l’explosion sur le port. Quelle vie.

Et encore, ces enfants, pour la plupart, font partie des « privilégiés ». Bien sûr que des histoires, il y en a des bien pires. Mais je trouve que c’est déjà inacceptable.

Depuis quelques semaines, je reçois des messages de Syriens ou de personnes d’origine syrienne qui m’écrivent pour me remercier de partager mes photos de la Syrie, de donner une image positive, de permettre à un autre point de vue d’exister sur les réseaux sociaux. Et ces messages-là me rassurent et m’encouragent en plus de tout ce que j’entends ici.  C’est cela que je veux transmettre, sans aucune connotation politique, mais tout simplement parce que, et c’est ce que j’ai appris ici encore plus qu’ailleurs et je l’ai déjà dit, derrière la guerre et la souffrance, la vie est plus forte que tout.

Lorsque j’ai mis les pieds dans le Monde Arabe pour la première fois il y 8 ans, je ne savais pas ce que j’allais trouver. Je ne savais pas que j’allais rencontrer des gens aussi fabuleux, une histoire aussi intéressante et des cultures aussi riches que les cultures arabes. Je ne savais pas que j’allais en réalité à la rencontre d’une partie de moi-même. Je ne vais pas m’étendre, j’ai déjà crié tout mon amour pour le Monde Arabe ici.

Alors lorsque je vois la situation en France, le racisme qui n’en finit pas de monter et les stéréotypes qui se propagent, je ne peux m’empêcher d’enrager. Quand ouvrirons-nous les yeux sur la beauté du Monde Arabe et des Arabes ? Quand cesserons-nous d’avoir peur de ce que nous ne connaissons pas ? Quand ces ignorants cesseront-ils de diviser les Français à travers leurs discours de haine et sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas ? Quand arrêterons-nous de faire circuler de fausses images et de prêter tant d’incivilité et de barbarie aux Arabes tout entier ?

Je n’ai qu’un souhait, à travers mes écrits et mes photographies, faire le lien, être ce petit pont entre deux mondes, entre deux cultures. Que quelqu’un qui lit mon blog ou voit mes stories sur Instagram se dise « Tiens, ça ressemble à ça la Syrie ? Je ne pensais pas que les Égyptiens étaient si drôles ? Le Maroc a l’air bien plus varié que ce que je ne l’imaginais ! La Palestine est si belle que ça ? » et ait envie de faire ce pas lui aussi. Vers ce fabuleux Monde Arabe et ses habitants qui ont tant à nous apprendre.

Chronique syrienne #10 – Le ton juste