À la fin de ma dernière chronique syrienne, je quittais mon coup de cœur : la ville de Hama pour partir en direction de Homs. Le gérant de l’hôtel où nous avions séjourné avec mon collègue Grégory nous avait indiqué la direction de la gare routière. Nous y sommes en quelques minutes à pied. Je me trompe plusieurs fois d’entrées puis je finis par trouver la bonne et nous trouvons tout de suite un minibus pour Homs. Le chauffeur nous installe à l’avant. Et très vite… « Vous êtes russes ? » haha. À notre réponse, il est surpris et heureux et nous souhaite la bienvenue. Nous parlons un long moment, il joue le rôle du guide touristique et nous parle des différents lieux devant lesquels nous passons. Il souhaite que les touristes reviennent, parle à demi-mots de la guerre. Je ne comprends pas tout entre le bruit du moteur et son accent mais je ressens l’essentiel. Cet homme nous touche beaucoup, il a envie de nous montrer son pays, sa ville, il voudrait nous en donner le meilleur. Il nous montre sa maison de loin quand nous passons devant son village. Puis les destructions.

En arrivant à Homs, il me laisse son numéro de téléphone et me presse de le contacter si nous avons besoin de quoi que ce soit ici ou à Hama. Sa maison est ouverte nous dit-il, et je sens que ce ne sont pas des paroles en l’air. Nous prenons une photo tous les trois avec son téléphone. Ma photo à moi de ce moment restera gravée dans mon cœur. Il y a des gens que l’on ne croise qu’un instant mais qui vous touche pour toujours.

Le van nous a laissés à quelques kilomètres de Homs. Nous devons maintenant prendre un taxi pour nous rendre à notre hôtel situé de l’autre côté de la ville. Ce n’est pas compliqué, les chauffeurs sont nombreux à nous attendre. Nous montons dans une des voitures et commençons notre traversée de Homs.

Très vite, c’est le choc. Toute la première moitié de la ville en arrivant de Hama est détruite. Ce sont des files et des files de bâtiments détruits, vidés, désossés. Le chauffeur lui aussi prend le rôle de guide touristique. Une fois arrivés dans le vieux Homs, il nous montre les différentes places connues. Ici, c’est aléatoire, certains bâtiments sont détruits, d’autres abandonnés, d’autres ont été rénovés.

En arrivant dans la deuxième partie de la ville, après la citadelle, la ville retrouve une allure normale. Les bâtiments n’ont pas été touchés et on trouve des cafés, des restaurants, des boutiques. Notre hôtel se situe un peu plus loin dans cette partie de la ville. Nous sommes accueillis par une hôtesse qui ne parle pas anglais, je me charge donc de la communication. L’hôtel ne semble pas très occupé mais nous entendons tout de même quelques familles derrière des portes. Les chambres sont correctes même si la clim et le frigo ne fonctionnent pas. Je ne suis pas là pour le luxe, je ne m’attendais pas à autre chose.

Après un petit temps de repos, nous partons nous promener dans la ville. La première partie de la ville que nous traversons est donc celle qui n’a pas ou peu été touchée par la guerre. La vie semble suivre son cours normalement. Nous passons devant un grand jardin et une mosquée, des enfants se préparent à jouer au foot.

Pourtant à deux pas, c’est la Citadelle et le début de l’autre partie de la ville. Nous commençons par aller voir si nous pouvons monter en haut de la colline pour voir la Citadelle (je crains de réitérer l’expérience de Hama mais mon collègue aime les pierres, il n’est pas professeur d’histoire-géographie pour rien.) Cependant, le gardien m’informe que l’accès à la citadelle est interdit. Nous ne verrons donc que quelques pierres d’en bas.

Nous avons pour objectif d’aller voir quelques églises dans le quartier chrétien de la ville et pour ce faire, nous devons justement passer par la partie dévastée de la ville. C’est toujours une impression très bizarre. Se retrouver au milieu des ruines et des destructions. Cette partie-là de la ville est morte et pourtant, tout autour, la vie continue. Des passants marchent et discutent, des femmes ensemble, des familles, des enfants. Il y a aussi des vélos, des voitures. On trouve des bâtiments refaits comme une mosquée, parfois même des boutiques au milieu du chaos. Bizarrement, personne ne semble faire attention au décor qui les entoure. Ils n’ont pas le choix, la ville étant désormais dans cet état depuis des années. Il y a un aspect malsain à prendre des photos, nous en discutons avec mon collègue. C’est presque indécent de se « promener » au milieu de tout cela. Pourtant nous vivons dans ce pays et « cela » c’est aussi la réalité du pays. Elle est là, elle existe. Même si je n’ai pas besoin de photos pour me rappeler ce que je vois à cet instant-là, je sais qu’il est important de photographier et de montrer également cette partie-là.

Nous continuons d’avancer au gré des rues et nous tombons finalement sur la première église que nous cherchions : l’église de la Paix. Son aspect moderne et brillant contraste avec le quartier. Elle est fermée et nous ne pouvons pas la visiter. Nous continuons notre route et nous tombons sur la deuxième église que nous voulions visiter : l’église de la ceinture. Nous entrons dans sa cour et cherchons l’entrée de l’église quand nous sommes accueillis par celui qui va changer le cours de notre séjour à Homs : Fady.

Fady est un jeune homsiote (habitant de Homs) de 24 ans qui enseigne la musique à l’université et qui passe beaucoup de temps avec sa communauté à l’église. Il est heureux de trouver des étrangers dans l’église et rayonne lorsqu’il nous accueille. Commence alors la quête des clés pour nous faire visiter l’église composée de deux bâtiments : la chapelle principale et l’ancienne église (la construction de départ où seraient venus se cacher des Chrétiens dès le premier siècle pour prier en paix persécutés par les Juifs et les Païens). Mais la mission de trouver les clés s’annonce difficile et, en attendant, Fady veut nous faire visiter le quartier. Il nous emmène dans les rues avoisinantes pour nous faire découvrir différents lieux : une petite rue typique, un ancien restaurant avec une architecture traditionnelle de Homs en rénovation, l’enceinte de l’ancienne maison de Sainte Eliane vue d’en haut… Puis nous retournons à l’église voir si le maître des clés est arrivé… mais il faudra encore patienter. Fady nous offre un café puis nous propose alors d’aller sur le toit de l’église. Je pense qu’il plaisante et m’imagine alors qu’il y a une petite terrasse sur le toit. Pas du tout, il me propose bien de monter SUR LE TOIT de l’église. Et moi qui ai le vertige, me voici en train d’escalader sur les tuiles de l’église de la ceinture à Homs en Syrie. Tremblante, j’admire cependant la vue et profite de ce moment unique.

Juste après, un ami de Fady, Ramy, nous rejoints, et le maître des clés n’étant toujours pas arrivé, nos amis décident de nous emmener faire un nouveau tour en ville. Nous passons devant de belles bâtisses, un ancien château en ruine. Puis nous assistons à une messe en araméen dans une église qui a été rénovée et où nous sommes chaleureusement accueillis par la communauté. Même si je ne suis pas chrétienne, j’ai pris l’habitude dans les églises de bruler un cierge en mémoire de mon arrière-grand-mère et pour les problèmes du moment. Ce jour-là, mon cœur est tout entier avec les Palestiniens qui vivent l’enfer. La mosquée Al Aqsa de Jérusalem, deuxième lieu saint de l’Islam, vient d’être attaquée et ses fidèles avec par l’armée israélienne. Les habitants du quartier de Sheikh Jarrah sont menacés d’expulsion. Les affrontements dans la rue sont nombreux.

Les ruines d’un ancien château.

Nous continuons notre visite. C’est également le moment de discuter et d’échanger avec Fady et Ramy. Ils parlent tous les deux anglais, assez pour que nous puissions communiquer correctement. Ce sont deux jeunes gens lumineux. C’est encore une fois l’une de ces rencontres où la connexion est immédiate, nous avons l’impression de nous connaitre depuis toujours et les conversations sont fluides. Ils nous parlent de tout, de la guerre, de leur ressenti, de leur (dés)espoir. J’ai toujours peur de poser des questions stupides. Que dire à des gens qui ont vécu la guerre, l’enfer, la violence, la peur ? Des situations que nous ne pouvons même pas imaginer. Pourtant généralement, il n’y a pas à poser beaucoup de questions. Les gens ont besoin de se livrer. C’est un mélange d’émotions. Évidemment, la guerre les a touchés. Le quartier où vit la famille de Fady a été complètement détruit par les combats. On sent qu’il a vécu les pires moments de sa vie. Pourtant il rayonne, il est plein de lumière. Il sourit sans arrêt et est plein de projets. Il aime sa place dans sa communauté, il aime les activités qu’il fait à l’église, jouer de la musique, rencontrer de nouvelles personnes, pratiquer l’anglais. Il rêve de voyager. Il est aussi amoureux et son grand regret, c’est de ne pas pouvoir se promener main dans la main avec sa copine dans sa ville.

Nous nous promenons dans la ville, au gré des monuments, parfois en bon état, parfois détruits. Nous traversons le grand souk de Homs que le chauffeur de taxi de la veille m’avait montré et avait comparé au souk Hamidié de Damas. Le souk est vide et sans âme. Tous les stores en fer sont baissés et mis à part quelques passants, il ne semble pas y avoir âme qui vive.

Grégory – Fady – Ramy – Une rouquemoute

Nous continuons notre chemin jusqu’à une partie plus animée de la ville, des rues pleines de lumière, de passants, de familles qui se réunissent pour manger, d’amoureux qui viennent passer un moment ensemble. Les garçons veulent nous faire déguster les meilleurs falafels de la ville. Évidemment une bagarre s’engage pour pouvoir payer mais comme souvent, ce sera peine perdue. Ils tiennent à nous inviter et nous devons accepter pour éviter l’incident diplomatique.

Après ce beau moment passé tous ensemble, mon collègue et moi retournons dans les environs de l’hôtel et remercions nos hôtes pour ce beau moment passé ensemble. Nous nous mettons ensuite en quête de nourriture dans les rues autour de notre hôtel. Nous sommes surpris de trouver des rues pleines de vie : elles sont bondées. Toutes les générations sont confondues, des familles, des jeunes, des moins jeunes, des enfants. Nous sommes dans un quartier très animé qui compte de nombreux cafés et restaurants. Nous passons un long moment dans ce tourbillon de vie. Ça fait du bien de voir tous ces gens heureux, en train de profiter de leur vie. Nous nous rassasions de manaqishs et de glace puis nous rentrons à l’hôtel.

Ce soir-là, j’ai du mal à dormir. Je passe un long moment sur les réseaux sociaux pour suivre l’actualité en Palestine. Évidemment cela m’angoisse et je hais ce sentiment d’impuissance. J’aimerais m’y rendre, être au côté des Palestiniens, leur montrer mon soutien. En 2017, j’y ai passé 3 mois comme bénévole dans des associations palestiniennes. Pour le moment, je ne peux pas y retourner. Pour aller en Palestine, il faut absolument un visa israélien et avec un visa israélien, je ne pourrai pas retourner en Syrie ensuite, la Syrie étant l’un des 12 pays qui ne reconnait pas Israël et n’accepte ni les ressortissants israéliens, ni les personnes ayant séjourné en Israël.

L’actualité angoissante, les images de la journée et les différentes émotions ont donc raison de mon sommeil. Je ne dormirai que quelques heures entrecoupées de nombreux cauchemars. Il fait également chaud et il n’y a pas d’électricité une grande partie cette nuit-là pour pouvoir allumer le ventilateur.

Le lendemain matin, nous prenons un petit-déjeuner dans un café dans le quartier. Nous prenons un café et des manaqishs délicieux. La jeune femme qui y travaille est très agréablement surprise de nous voir ici et nous pose quelques questions sur les raisons de notre présence. Elle pense que nous sommes journalistes. Au moment de partir, elle nous lance un « Please come back » avec un grand sourire.

Nous prenons ensuite un taxi et nous dirigeons vers la partie de la ville qui est totalement détruite. Il y a dans ce quartier une mosquée que je veux absolument visiter : la mosquée Khaled Ibn Waled. Nous sommes passés devant lors de notre arrivée et j’étais surprise de voir une mosquée rénovée au milieu d’un champ de ruines. Le taxi nous laisse près de l’entrée de la mosquée et nous prenons un moment pour nous rendre compte de l’environnement qui nous entoure. A part la mosquée, tout est détruit.

L’extérieur de la mosquée n’est pas totalement rénové et il reste encore quelques gravats et quelques espaces réservés au chantier. La mosquée ne semble pas ouverte mais je finis par trouver quelqu’un qui nous ouvre. Nous entrons enfin et découvrons le magnifique intérieur de la mosquée.

Comme toujours, je suis surprise du fait qu’un lieu de culte soit rénové avant les habitations qui l’entourent. Mais je sais aussi que les lieux de culte sont des endroits importants pour les communautés : ils sont un lieu de réunion, de repos et représente un espace sûr. Les lieux de culte sont souvent rénovés par des fonds privés, des fondations, ou des communautés religieuses extérieures. Par exemple, la mosquée des Omeyyades d’Alep est rénovée par la fondation Aga Khan comme de nombreux autres lieux de culte, les églises du village chrétien de Maaloula ont été rénovées par des églises du Liban.

Après la mosquée Khaled Ibn Waled, nous nous dirigeons vers la mosquée Nour al-din. Malheureusement, la mosquée est fermée en dehors des heures de prière et nous ne pourrons pas la visiter malgré mes tentatives auprès de différentes personnes. Nous n’avons pas le temps de rester jusqu’à la prochaine prière car nous avons rendez-vous avec Fady et Ramy à l’église, pour la visiter si le maître des clés fait enfin son apparition, et pour leur dire au revoir. Nous nous dirigeons donc vers l’église.

Sur le chemin entre la mosquée Nour al-din et l’église, nous tombons de nouveau sur le souk que nous avions vu la veille. Cette fois-ci, à notre grande surprise, il est ouvert et est plein de vie ! Les boutiques regorgent de marchandises et les potentiels acheteurs sont nombreux. Quel bonheur de voir toute cette vie ! La veille, nous avions la triste impression d’un endroit sans vie et sans âme, et tout à coup, c’est un autre aspect de la ville que nous découvrions à nouveau.

Une fois arrivés à l’église, nous retrouvons avec un grand plaisir nos nouveaux amis. Le maître des clés est arrivé et nous pouvons enfin visiter les deux parties de l’église. Nous commençons par la partie principale qui a été très bien rénovée. Le lieu est magnifique, atypique avec ses murs en pierre grise. Tout le monde est ravi de nous faire visiter l’église, véritable fierté du quartier.

Nous visitons ensuite le sous-sol, c’est la première partie de l’église qui ait été créée. Il y a plusieurs pièces et des projets de rénovation.

Une fois la visite terminée, nous nous posons avec les garçons pou partager un maté, boisson nationale en Syrie, et les garçons en profitent pour nous jouer de la musique. C’est un très beau que nous partageons alors, dans cette église avec ces deux jeunes gens qui nous ont tant donné pendant ces deux jours. Au moment des adieux, Fady à les larmes aux yeux, il nous demande de revenir le voir très vite. Rendez-vous est pris, je reviendrai l’année prochaine si Dieu le veut.

Nous prenons un taxi, faisons un stop à l’hôtel pour récupérer nos valises puis nous dirigeons vers la gare routière à la sortie de la ville. Nous cherchons un moment un bus pour Damas mais tous sont complets et il n’y en a pas d’autres qui doivent arriver. Je finis par retourner voir un chauffeur de taxi que j’avais croisé à l’entrée de la gare routière. Je négocie rapidement le prix car le trajet n’est pas très cher, nous partirons tout de suite et nous serons plus à l’aise dans le taxi que dans le bus. Nous devons retrouver le taxi un petit peu plus loin car je crois comprendre qu’il n’est pas autorisé pour lui de récupérer des clients devant la gare routière, bien qu’au Moyen-Orient tout se monnaye.

Deux heures plus tard – et malgré un long arrêt à un checkpoint, Grégory étant souvent interrogé, les soldats ne comprennent pas qui est cet homme blanc, crâne rasé et grosse barbe – nous arrivons à Damas.

Il me reste quelques semaines de cours avant les vacances d’été et avant mon nouveau voyage en Syrie : la prochaine fois je retourne à Alep !

 

Chronique syrienne #14 – Homs