Ce qui est difficile avec le changement, c’est que c’est nécessaire et douloureux. Il m’aura fallu six mois pour poser ici les mots pour exprimer ce que j’ai ressenti pendant cette traversée du brouillard. Comme toujours, j’ai besoin d’en sortir pour pouvoir en parler.

J’ai traversé une crise existentielle comme je n’en avais pas vécu depuis un moment.

L’été dernier en rentrant en France, je me suis sentie extrêmement mal. J’ai passé les premières semaines à beaucoup pleurer, à ne pas réussir à profiter, à penser à tout ce que j’avais vu et entendu pendant mon année en Syrie, à me sentir coupable de pouvoir prendre la poudre d’escampette pour l’été grâce à mon passeport. Je ne trouvais plus ma place, ne savais plus ce que je faisais là et n’arrivais pas à profiter de mes proches. J’ai fini par me sentir mieux au bout de quelques semaines mais j’ai tout de même décidé de repartir bien plus tôt, pour passer une partie de mes vacances au Liban pour découvrir le pays. Et ça m’a fait du bien… le temps des vacances.

À mon retour en Syrie, j’étais d’abord heureuse de retrouver mon pays d’adoption, ses couleurs, mes amis, mes habitudes, mon chez-moi, l’école, mes collègues, mes élèves, bref ma vie. Mais une petite pointe au cœur commençait à poindre doucement le bout de son nez. C’était au début une petite douleur sourde, mais qui a rapidement pris plus d’ampleur pour finalement exploser fin septembre. J’étais face à mes choix de vie et à ses conséquences : mon célibat. Et au-delà du célibat, la sensation que la personne que j’aimais depuis plusieurs années et avec qui je vivais une relation en pointillées, était en train de se détacher définitivement de moi et de nous.

Même si j’avais toujours eu conscience que cette relation ne pourrait jamais aboutir à un engagement sérieux au vu de nos trop grandes différences, lorsque la sensation s’est finalement confirmée, la panique s’est emparée de moi et j’ai failli faire la pire des bêtises : rentrer en France. Face à l’angoisse de cette séparation qui pourtant ne pouvait pas en être autrement. J’ai failli fuir. J’ai presque tout quitté. J’ai eu peur, eu le cœur serré, je pensais en être certaine mais c’est la peur de la solitude, celle que je n’attendais pas, qui m’a rattrapée au détour d’une rue. Ainsi, une nuit la décision fut prise. Pour lui, je « rentre ». Mais comment parler de retour lorsque mon chez moi est ici. Depuis longtemps j’ai changé les mots. Je parle de « passage » en France et de « retour » au Moyen-Orient. Heureusement, le destin en avait décidé autrement et je rangeais mes valises dans le débarras de mon appartement à Damas.

À partir de cette nuit-là et pour les six mois suivants, je fus seule face à moi-même avec pour compagnons une rupture et un célibat. Je ne voyais plus la beauté de ma vie, je ne savourais plus mon quotidien.

Il y a dix ans, après une grosse rupture douloureuse justement, je me suis fait la promesse que je deviendrais ma priorité absolue. Je voulais me débarrasser de ce sentiment que mon bonheur était conditionné par la présence d’un homme dans ma vie, par le couple, par le regard et l’amour de l’autre. Comme j’ai été harcelée au collège, j’ai toujours eu un gros manque de confiance en moi, particulièrement en ce qui concerne les relations, et lorsque j’étais jeune adulte, j’avais vraiment ce besoin de l’autre, je me nourrissais de fantasmes de prince charmant qui allait me sauver et rendre ma vie incroyable. Une épiphanie plus tard, je décidais de brûler ces inepties, d’apprendre à vivre avec moi-même et à m’aimer, et de rendre moi-même ma vie incroyable.

Commença alors la plus belle des aventures : la quête de mon identité et de mon indépendance. Je quittais mon petit-ami de l’époque, la ville où nous vivions, Marseille, pour revenir vivre à Avignon et reprendre les études qui m’avaient toujours fait rêver afin de devenir professeure de français pour les étrangers, je prenais mon premier appartement seule (surnommé « l’appart de la libération ») et j’apprenais à vivre toute seule, à apprécier les moments de solitude, à calmer les angoisses et enfin à mettre en place mes projets. À partir de ce moment-là, il ne fut plus question pour moi de faire des choix en fonction d’une personne et encore moins d’un homme. Je ne savais pas encore que de nombreuses aventures m’attendaient : le Maroc, la Russie, l’Égypte, la Palestine et enfin la Syrie.

Jamais, jusqu’à ce jour, je n’avais remis en question cette promesse faite dix ans plus tôt. Je crois que c’est ce qui a rendu cette remise en question aussi violente. Je ne m’y attendais pas. Pourtant il fallait que je l’admette, pour la première fois depuis dix ans, j’avais envie d’être en couple et de partager ma vie avec quelqu’un. Au-delà de la douleur de la séparation, qui devait arriver un jour ou l’autre j’en avais toujours été consciente, ce qui était en réalité le plus dur à gérer, c’était de réaliser que pour la première fois depuis dix ans, j’avais envie d’autre chose dans ma vie. Cette vie de célibataire ultra-indépendante qui fait tout toute seule ne me convenait plus, et j’aspirais à partager mon quotidien avec quelqu’un. Et tout à coup, alors qu’auparavant j’angoissais de rencontrer quelqu’un car cela me forcerait à changer mes plans, je remplaçais cette angoisse par une nouvelle, celle de ne jamais rencontrer quelqu’un justement. Pendant quelques jours je remettais même en question mes choix de vie et me demandais si je n’étais pas responsable de ce qui m’arrivait. Le pire, c’est que je venais de faire l’apologie de l’indépendance dans cet article et voilà que soudain je me sentais comme un imposteur à avoir envie de partager ma vie avec quelqu’un. Mais j’avais tendance à confondre indépendance et insensibilité. Avoir des sentiments ne fait pas de moi quelqu’un de faible ou de moins féministe, vouloir partager ma vie avec quelqu’un et avoir des projets différents de ceux que j’avais il y a quelques années non plus. Pourtant j’avais du mal à me faire à cette idée, l’approche de mes 34 ans me remplissait d’angoisse et j’ai effectivement passé le pire anniversaire de toute ma vie. J’ai pleuré toutes les larmes de mon cœur pendant cette journée et cette soirée à me dire que je finirais seule et que je ne surpasserais jamais cette crise. À partir de ce jour, je me suis dit que je devais simplement vivre avec l’idée que la vie amoureuse n’était pas faite pour moi, que je devrais réapprendre à apprécier les autres choses dans ma vie, que cette tristesse ne me quitterait jamais mais que j’allais apprendre à vivre avec.

J’ai accepté de laisser place à la douleur. J’ai accepté de la laisser s’exprimer, de pleurer plusieurs fois dans la journée, de m’affaler sur le canapé et de m’abrutir de films et de séries qui me feraient oublier un peu le temps. Je l’ai laissée m’envahir à chaque vue de couple, à chaque pensée que cela ne m’arriverait plus jamais. Je sentais que j’avais besoin de la laisser s’exprimer pleinement, la faire sortir, accepter, faire face, ne pas la cacher, ne pas mentir. Accepter que pendant toutes ces années, je l’avais réellement aimé lui malgré tout, que la rupture me faisait mal et que ma solitude me faisait souffrir. Faire face aux choses que je n’avais jamais eu envie de questionner.

J’ai pris soin de moi. J’ai parlé, beaucoup. J’ai dormi, énormément. J’ai voyagé, passé des week-ends avec des amis, regardé plein de films et de séries, mangé mes plats préférés, décoré mon appartement, encadré mes posters favoris, créé un petit quotidien doux, fait des masques à l’huile dans mes cheveux le jeudi soir en rentrant de soirée, passé des week-ends entiers à me reposer lorsque j’en avais besoin, ou au contraire à arpenter la vieille ville lorsque j’en avais envie. Bref, j’ai fait ce que je sais faire de mieux : je me suis écoutée.

Et puis un jour, la douleur s’est lassée. Elle en a eu assez et elle a quitté le navire. Doucement, sans faire de bruit. J’ai vu tout ce qu’elle laissait derrière elle, la douleur du questionnement mais aussi la douceur des réponses. Mon cœur s’est apaisé, et mes yeux, désormais, ont retrouvé le chemin de la beauté, celle des ruelles de Damas, des lignes élancées de ses minarets, des couleurs de son souk, des sourires de mes amis.

Cette grosse période de doute m’a permis de réaliser que je suis (presque) prête à fermer ce chapitre d’indépendance totale et que j’ai envie de laisser la place à une personne dans ma vie. Elle m’a permis également de me poser certaines questions et d’y trouver des réponses. Je sais que j’aime toujours passionnément ma vie, qu’elle est le résultat des choix que j’ai faits ces dix dernières années et que certains sacrifices sont nécessaires pour vivre ce type de vie, mais que je ne l’échangerais pour rien au monde, même après cette période troublée. Cela m’a permis de me rendre compte que je pouvais toujours compter sur moi-même et régler mes problèmes seule. Bon seule, c’est pas tout à fait vrai non plus. Plus que jamais, cette épreuve m’a montré à quel point je suis bien entourée et à quel point j’ai la chance d’avoir de telles personnes dans ma vie, qu’elles soient à Damas, à Paris, à Avignon, à Amman, à Istanbul, au Caire ou où que ce soit dans le monde. Gros cœur sur elles, elles se reconnaîtront, je vous aime <3

Du coup voilà, I’m back bitches!

 

La sortie du brouillard