Depuis quelques années, l’été est toujours un moment un peu compliqué pour moi. L’été dernier a été le plus difficile et je n’avais vraiment pas envie de revivre cette expérience. De plus, j’ai passé une année assez compliquée émotionnellement parlant et j’avais vraiment besoin de mettre en place un été qui me permette d’être dans les meilleurs conditions. J’avais donc décidé de ne pas venir en France tout de suite et de faire un passage par la Tunisie où j’allais faire un stage intensif en arabe littéraire.

La première semaine s’est très bien passée, j’ai retrouvé des amis qui étaient à Tunis pour les vacances et je découvrais la capitale tunisienne pour la première fois, c’était super. Pourtant au bout d’une semaine, les angoisses ont commencé à pointer le bout de leur nez (bien évidemment le SPM traditionnel n’a pas aidé mais je sais que ce n’était pas la seule raison) et ont fini par se transformer en grosses crises de larmes quotidiennes. Après l’euphorie de la nouveauté, les questions habituelles refaisaient surface : Qu’est-ce que je fais ici ? Pourquoi est-ce que je me sens agressée par la moindre chose ? Est-ce qu’un jour je vais trouver un équilibre ? Est-ce que je suis en train de perdre pied à ne plus pouvoir profiter lorsque je quitte le Moyen-Orient ?

Je sentais que ce qui me déstabilisait le plus, c’était d’être tout à coup coupée de ma routine. Cette année particulièrement, c’est mon quotidien qui m’a vraiment aidée à surmonter les difficultés. J’ai réellement investi mon appartement depuis septembre dernier et j’ai pris grand soin de faire attention à moi et à ce que je ressentais pendant cette année douloureuse, ce qui était bien plus facile dans mon petit cocon avec mes habitudes, mes repères dans ma ville à Damas et surtout dans mon appartement. Là, je n’avais soudainement plus rien de tout ça et pendant une semaine, voire 10 jours, je me sentais agressée par le quotidien, le bruit, la chaleur et le retour du harcèlement de rue (qui est, selon mon ressenti personnel, quasi inexistant à Damas). J’ai essayé de faire ce qui me rassure à Damas : créer un quotidien, aménager ma chambre à Tunis de manière plus fonctionnelle, me cuisiner des petites choses au quotidien, aller me promener à la recherche de la beauté de Tunis, créer une routine du soir incluant de la lecture, prendre soin de moi (vive les masques d’huile d’olive) et globalement m’écouter. Cela a fini par faire son effet et petit à petit j’ai commencé à me sentir mieux dans mon quotidien. Le trajet pour l’institut Bourguiba où je faisais mon stage intensif d’arabe littéraire devenait de plus en plus familier et je commençais à apprécier de plus en plus mes journées.

Et puis il y a eu la rencontre de deux personnes en particulier qui allaient changer mon quotidien et redonner à ce séjour le sens que j’étais venue chercher. Noé et Shanti sont devenus mes acolytes de ce séjour. Nous sommes devenus très vite très proches et avons partagé notre quotidien. C’était le début de la « Team Tunis ».

Nous étions dans le même groupe d’arabe à l’Institut, nous suivions donc les cours ensemble et profitions des après-midis pour (essayer de) réviser et surtout se baigner en face de chez Noé, mais aussi explorer les environs. Nous sommes d’ailleurs partis un week-end à Bizerte avec Noé, un véritable coup de cœur.

La dernière semaine avant les examens, j’ai proposé à mes nouveaux amis de sécher les examens (aucun de nous n’avait réellement besoin de la certification) afin de partir explorer la Tunisie. Ils ont accepté et nous sommes partis pour un petit périple d’une semaine. C’est vraiment à ce moment-là que j’ai senti que ce voyage prenait tout son sens. Ça m’a fait un bien fou de retrouver cette sensation et cet état d’esprit. Me retrouver réellement connectée au quotidien, ne penser ni au passé ni au futur, savourer le moment, se sentir en sécurité dans un quotidien que l’on a choisi et que l’on apprécie et en compagnie de personnes qui nous font également nous sentir bien.

C’est dans ces moments-là aussi que l’on se rappelle de la force de l’emprise du quotidien. Ceux qui ont voyagé pendant longtemps le savent : au début on est rattachés à tout un tas de choses, de pensées, de sentiments, etc. Et puis au bout d’un moment, sans trop savoir pourquoi, on lâche. L’important devient le moment présent, la seule chose qui nous préoccupe est de savoir où on va dormir le soir même, peut-être le lendemain, mais c’est tout.

Dans le quotidien, on est parasités par un nombre incalculable de choses qui n’ont souvent pourtant pas tellement d’importance, mais il est plus difficile de s’en détacher.

Pour ce petit roadtrip, nous sommes partis quelques jours à Djerba. J’ai été surprise de manière très positive par l’île. Dans mon esprit, Djerba était synonyme de plages et de fêtes. Il est vrai que ses plages sont incroyables et il paraît que la vie nocturne bat son plein dans certaines parties de l’île, mais personnellement c’est son caractère historique qui m’a marquée. L’île est ponctuée de plus de 400 mosquées qui ont la particularité d’être fortifiées car elles ne servaient pas uniquement de lieu de culte, mais également de point de surveillance contre les envahisseurs. Des signaux de fumée permettaient d’alerter les autres mosquées alentour et de mettre en place la défense. L’île comprend aussi une importante communauté juive qui est l’une des plus vieilles du monde arabe. On trouve la synagogue Ghirba (« L’étrangère ») qui daterait de la destruction du Temple de Salomon par Nabuchodonosor et abriterait des morceaux du temple. Cela explique l’importance du pèlerinage toujours actuel vers cette synagogue.

Notre roadtrip nous a ensuite menés vers la ville de Gabès. C’est l’oasis en plein cœur de la ville qui nous a attirés. La ville en elle-même ne présente que peu d’intérêt si ce n’est une petite partie derrière un caravansérail (malheureusement actuellement en partie détruit en raison d’un incendie) comportant des ruelles fleuries et colorées, ainsi qu’une calligraphie de l’artiste tunisien El Seed sur la mosquée Jara.

Mais à quelques pas de là s’ouvre une immense oasis. Le lieu est magnifique et nous avons pris plaisir à nous perdre dans la palmeraie. En son centre, on peut trouver un petit café niché dans le calme entre les palmiers. Nous nous y sommes posés le temps d’un jus de fraise frais et d’une conversation avec les gérants qui nous ont appris qu’il y a encore 50 ans, l’oasis regorgeait d’environ 500 sources chaudes qui alimentaient toute la palmeraie. Mais la construction d’un grand nombre d’usines à proximité a totalement déstabilisé l’environnement. Les sources d’eau ont été asséchées, et l’eau est désormais acheminée depuis l’extérieur pour les besoins de l’oasis. Le site est actuellement sur la liste d’attente afin d’être classée patrimoine de l’UNESCO.

Les anciennes sources sont totalement asséchées.

Enfin nous nous sommes dirigés vers la ville de Sousse qui a été, avec Bizerte, un véritable coup de cœur. J’ai adoré sa médina, ses petites ruelles, le fait que ce soit une ville fortifiée (comme Avignon), son ribat, ses magnifiques cafés et restaurants où traîner des heures avec la team Tunis pour discuter.

Puis c’était l’heure de rentrer à Tunis pour une dernière journée avant de faire ma valise et de m’envoler en France pour la prochaine étape de mes vacances.

Finalement cette transition tunisienne a été un parfait reflet de la vie : des doutes, des larmes, des questionnements qui semblent sans fin, mais aussi de magnifiques rencontres, de la joie, des fous rires à en pleurer, des discussions jusqu’à pas d’heures, de la sérénité et la conscience de la chance de pouvoir vivre toutes ces émotions dans une vie que j’ai choisie et que j’aime infiniment, dans les bons comme dans les mauvais moments.

Transition tunisienne