Podcast « Entre deux ID »

Lors de mon passage à Paris le mois dernier, j’ai eu la chance de rencontrer la fabuleuse Assmaa, créatrice du podcast « Entre deux ID » où elle décortique le concept de la double identité avec ses invités.
Assmaa m’a proposé de clôturer la première saison de son podcast afin de discuter de mon parcours et de mon rapport à mon identité en tant que femme expatriée dans le monde arabe depuis des années.
C’était également l’occasion de parler d’un pays qui nous est cher à toutes les deux puisque Assmaa est d’origine syrienne.
J’ai été extrêmement touchée de la demande d’Assmaa et ce fut vraiment un privilège d’avoir ce moment de parole pour parler de la Syrie.
Comme toujours j’essaie de trouver les mots justes sur la situation et mon expérience si particulière dans ce pays. Avec Assmaa nous voulions être claires sur le fait que cet épisode n’a pas pour but de décrédibiliser un discours ou d’invisibiliser la guerre et ses victimes. C’est comme toujours simplement mon expérience et mon point de vue personnels.
J’espère que l’épisode vous plaira et je vous invite à découvrir les autres !
Pour écouter, ça se passe ici <3

Lecture 23 #Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants

Après les lectures de Boussole, Rue des voleurs et désormais Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, je pense pouvoir dire que je suis fan de Mathias Enard.

Dans cet ouvrage, l’auteur nous emmène à Constantinople en 1506 au côté de Michel-Ange, celui-ci ayant reçu une invitation de la part du Sultan afin de dessiner un futur pont pour la ville.

Le roman nous entraîne dans la Turquie ottomane du XVIe siècle, dans la rencontre entre l’artiste italien face à une culture qui lui évoquera tour à tour passion et dégoût, fascination et incompréhension.

Une belle aventure qui a pour point de départ un fait historique. Et pour le reste, c’est la magie du roman.

Lecture #22 Un hiver au Proche-Orient

#22 Un hiver au Proche-Orient, Annemarie Schwarzenbach

Annemarie Schwarzenbach fait partie de ces exploratrices qui me fascine. Morte dans un accident de vélo à 33 ans, elle a pourtant eu le temps de parcourir le monde avant de le quitter.
Dans ce livre, elle raconte un hiver passé au Proche-Orient où elle s’est rendue avec des compagnons de voyage entre autres pour quelques missions archéologiques.
Son voyage ne relève que de peu d’intérêt mais ce qui vaut le coup dans cet ouvrage est son témoignage sur la région. Nous sommes en 1933 et nos explorateurs se promènent librement d’Istanbul à Beyrouth puis Jérusalem, Damas, Alep, Baghdad. Un jour qu’elle se trouve à Damas, elle reçoit un télégramme la demandant d’urgence à Baghdad où elle se rendra en une journée. Il n’est alors question ni de visa, ni de frontière, ni de guerre. Il ne reste malheureusement que quelques années à ce visage du Moyen-Orient puisqu’en coulisse se trame la plus grande trahison du siècle qui catapultera la région dans la situation que nous connaissons aujourd’hui.

J’espère qu’un jour tous pourront parcourir cette région aussi librement, à commencer par ses habitants, et que je pourrai faire ce roadtrip dont je rêve pour rejoindre Baghdad, Damas, Jérusalem et les autres aussi facilement qu’Annemarie Schwarzenbach le faisait en 1933.

Lectures #18 #19 #20 et #21

Petit résumé de certaines lectures de ces derniers mois :

#18 Le piano oriental, Zeina Abirached

J’ai relu récemment Le piano oriental de Zeina Abirached. J’avais peur d’être déçue car j’avais été extrêmement touchée la première fois que je l’avais lu il y a quelques années. Mais une fois encore la magie a opéré et j’ai refermé ce roman graphique des larmes pleins les yeux.

C’est l’histoire d’un homme passionné, rêveur et créatif qui inventera un piano capable de jouer des mélodies occidentales et orientales.

C’est l’histoire d’une jeune femme qui tisse son identité entre son Liban natal et sa France d’adoption.

Zeina Abirached nous raconte sa propre histoire et celle de son arrière arrière grand-père. Elle explore la notion d’identité, de langues, de double culture, le rapport à son chez-soi et à soi-même, le lien inébranlable qui lie en elle, comme en son arrière arrière grand-père, l’Europe et le Moyen-Orient.
Le livre a encore plus résonné en moi depuis que je vis en Syrie et les références au dialecte syro-libanais m’ont bien plus parlé.

Bref, vous l’aurez compris, je vous en conjure, ouvrez cette pépite et laissez-vous capturer par cette magnifique histoire des deux côtés de la Méditerranée

#19 Rue des voleurs, Mathias Enard

C’est l’histoire de Lakhdar, un jeune marocain de Tanger, qui rêve, comme de nombreux jeunes de son âge et de sa région, d’une vie meilleure. Et son paradis, il pense qu’il le trouvera de l’autre côté de la Méditerranée.

C’est l’histoire de tous ces jeunes qui partent en quête d’un quotidien plus doux et qui se retrouvent face aux pires difficultés pour accéder à leurs rêves et à la réalité d’une société occidentale loin d’être idéale.

Percutant.

#20 Le double, Dostoïevski

Ce fut une lecture en pointillés que celle du Double de Dostoïevski.

C’est l’histoire d’un homme tout à fait sans histoire, soigné et obséquieux, qui, un soir en rentrant du travail, va se retrouver nez à nez en pleine rue avec une silhouette étrangement familière : son propre double ! Cet homme en tout point similaire à notre héros semble de prime abord aussi innocent et ingénu que notre Monsieur Goliadkine, mais il va en réalité bien vite se révéler loin d’être angélique et va tourner la vie de notre personnage principal en véritable enfer.

J’ai tout de suite adoré l’intrigue et le côté totalement absurde du texte, jusque dans les dialogues. J’ai aimé le caractère lunaire voire déboussolé du personnage principal, et je suis vite tombée dans son l’histoire. Pourtant, au bout du moment, on patine. On ne comprend pas le sens de cette histoire. Est-ce une critique sociale ? Goliadkine est-il fou ? Quelle est la part de vrai, quelle est la part de faux ? Quel est le message de l’auteur derrière cette histoire rocambolesque ?
Ces questions ne sont malheureusement pas élucidées et la fin nous laisse (totalement) sur notre faim !

Le point positif c’est que ce livre m’a donné envie de retourner en Russie, de refaire un tour dans Saint-Pétersbourg, de longer la Néva et d’admirer encore une fois l’architecture incroyable de cette ville

#21 La nuit de noces de Si Béchir, Habib Selmi

Plusieurs années après son mariage, la nuit de noces de Béchir faire l’objet de viles rumeurs. Ayant du mal à effectuer sa tâche, c’est son ami et l’homme qu’il a nommé « ministre » cette nuit-là (celui qui aide le jeune marié avec son soutien et ses conseils) qui aurait défloré la femme de Béchir et non lui-même.

Derrière cette histoire de discussions de café, de noces et de rumeurs, transparaît la vie des Tunisiens hors des villes. Une vie simple, des rapports hommes / femmes mais aussi hommes / hommes très codifiés.

Au loin, le printemps arabe, Tunis et la Révolution. Des mots nouveaux pour nos personnages tels que la « démocratie » énoncés dans une langue qu’ils ont du mal à comprendre. « J’ai compris Mustafa, la démocratie c’est quand tu peux mettre le papier de n’importe quelle couleur dans l’urne, pas seulement le papier rouge. »

Derrière une intrigue simple, c’est une partie de la population tunisienne que l’auteur met en valeur, sans jugement ni critique.
Au regard du portrait dressé par l’auteur, on peut se poser la question : quel avenir politique pour les Tunisiens ?

Transition tunisienne

Depuis quelques années, l’été est toujours un moment un peu compliqué pour moi. L’été dernier a été le plus difficile et je n’avais vraiment pas envie de revivre cette expérience. De plus, j’ai passé une année assez compliquée émotionnellement parlant et j’avais vraiment besoin de mettre en place un été qui me permette d’être dans les meilleurs conditions. J’avais donc décidé de ne pas venir en France tout de suite et de faire un passage par la Tunisie où j’allais faire un stage intensif en arabe littéraire.

La première semaine s’est très bien passée, j’ai retrouvé des amis qui étaient à Tunis pour les vacances et je découvrais la capitale tunisienne pour la première fois, c’était super. Pourtant au bout d’une semaine, les angoisses ont commencé à pointer le bout de leur nez (bien évidemment le SPM traditionnel n’a pas aidé mais je sais que ce n’était pas la seule raison) et ont fini par se transformer en grosses crises de larmes quotidiennes. Après l’euphorie de la nouveauté, les questions habituelles refaisaient surface : Qu’est-ce que je fais ici ? Pourquoi est-ce que je me sens agressée par la moindre chose ? Est-ce qu’un jour je vais trouver un équilibre ? Est-ce que je suis en train de perdre pied à ne plus pouvoir profiter lorsque je quitte le Moyen-Orient ?

Je sentais que ce qui me déstabilisait le plus, c’était d’être tout à coup coupée de ma routine. Cette année particulièrement, c’est mon quotidien qui m’a vraiment aidée à surmonter les difficultés. J’ai réellement investi mon appartement depuis septembre dernier et j’ai pris grand soin de faire attention à moi et à ce que je ressentais pendant cette année douloureuse, ce qui était bien plus facile dans mon petit cocon avec mes habitudes, mes repères dans ma ville à Damas et surtout dans mon appartement. Là, je n’avais soudainement plus rien de tout ça et pendant une semaine, voire 10 jours, je me sentais agressée par le quotidien, le bruit, la chaleur et le retour du harcèlement de rue (qui est, selon mon ressenti personnel, quasi inexistant à Damas). J’ai essayé de faire ce qui me rassure à Damas : créer un quotidien, aménager ma chambre à Tunis de manière plus fonctionnelle, me cuisiner des petites choses au quotidien, aller me promener à la recherche de la beauté de Tunis, créer une routine du soir incluant de la lecture, prendre soin de moi (vive les masques d’huile d’olive) et globalement m’écouter. Cela a fini par faire son effet et petit à petit j’ai commencé à me sentir mieux dans mon quotidien. Le trajet pour l’institut Bourguiba où je faisais mon stage intensif d’arabe littéraire devenait de plus en plus familier et je commençais à apprécier de plus en plus mes journées.

Et puis il y a eu la rencontre de deux personnes en particulier qui allaient changer mon quotidien et redonner à ce séjour le sens que j’étais venue chercher. Noé et Shanti sont devenus mes acolytes de ce séjour. Nous sommes devenus très vite très proches et avons partagé notre quotidien. C’était le début de la « Team Tunis ».

Nous étions dans le même groupe d’arabe à l’Institut, nous suivions donc les cours ensemble et profitions des après-midis pour (essayer de) réviser et surtout se baigner en face de chez Noé, mais aussi explorer les environs. Nous sommes d’ailleurs partis un week-end à Bizerte avec Noé, un véritable coup de cœur.

La dernière semaine avant les examens, j’ai proposé à mes nouveaux amis de sécher les examens (aucun de nous n’avait réellement besoin de la certification) afin de partir explorer la Tunisie. Ils ont accepté et nous sommes partis pour un petit périple d’une semaine. C’est vraiment à ce moment-là que j’ai senti que ce voyage prenait tout son sens. Ça m’a fait un bien fou de retrouver cette sensation et cet état d’esprit. Me retrouver réellement connectée au quotidien, ne penser ni au passé ni au futur, savourer le moment, se sentir en sécurité dans un quotidien que l’on a choisi et que l’on apprécie et en compagnie de personnes qui nous font également nous sentir bien.

C’est dans ces moments-là aussi que l’on se rappelle de la force de l’emprise du quotidien. Ceux qui ont voyagé pendant longtemps le savent : au début on est rattachés à tout un tas de choses, de pensées, de sentiments, etc. Et puis au bout d’un moment, sans trop savoir pourquoi, on lâche. L’important devient le moment présent, la seule chose qui nous préoccupe est de savoir où on va dormir le soir même, peut-être le lendemain, mais c’est tout.

Dans le quotidien, on est parasités par un nombre incalculable de choses qui n’ont souvent pourtant pas tellement d’importance, mais il est plus difficile de s’en détacher.

Pour ce petit roadtrip, nous sommes partis quelques jours à Djerba. J’ai été surprise de manière très positive par l’île. Dans mon esprit, Djerba était synonyme de plages et de fêtes. Il est vrai que ses plages sont incroyables et il paraît que la vie nocturne bat son plein dans certaines parties de l’île, mais personnellement c’est son caractère historique qui m’a marquée. L’île est ponctuée de plus de 400 mosquées qui ont la particularité d’être fortifiées car elles ne servaient pas uniquement de lieu de culte, mais également de point de surveillance contre les envahisseurs. Des signaux de fumée permettaient d’alerter les autres mosquées alentour et de mettre en place la défense. L’île comprend aussi une importante communauté juive qui est l’une des plus vieilles du monde arabe. On trouve la synagogue Ghirba (« L’étrangère ») qui daterait de la destruction du Temple de Salomon par Nabuchodonosor et abriterait des morceaux du temple. Cela explique l’importance du pèlerinage toujours actuel vers cette synagogue.

Notre roadtrip nous a ensuite menés vers la ville de Gabès. C’est l’oasis en plein cœur de la ville qui nous a attirés. La ville en elle-même ne présente que peu d’intérêt si ce n’est une petite partie derrière un caravansérail (malheureusement actuellement en partie détruit en raison d’un incendie) comportant des ruelles fleuries et colorées, ainsi qu’une calligraphie de l’artiste tunisien El Seed sur la mosquée Jara.

Mais à quelques pas de là s’ouvre une immense oasis. Le lieu est magnifique et nous avons pris plaisir à nous perdre dans la palmeraie. En son centre, on peut trouver un petit café niché dans le calme entre les palmiers. Nous nous y sommes posés le temps d’un jus de fraise frais et d’une conversation avec les gérants qui nous ont appris qu’il y a encore 50 ans, l’oasis regorgeait d’environ 500 sources chaudes qui alimentaient toute la palmeraie. Mais la construction d’un grand nombre d’usines à proximité a totalement déstabilisé l’environnement. Les sources d’eau ont été asséchées, et l’eau est désormais acheminée depuis l’extérieur pour les besoins de l’oasis. Le site est actuellement sur la liste d’attente afin d’être classée patrimoine de l’UNESCO.

Les anciennes sources sont totalement asséchées.

Enfin nous nous sommes dirigés vers la ville de Sousse qui a été, avec Bizerte, un véritable coup de cœur. J’ai adoré sa médina, ses petites ruelles, le fait que ce soit une ville fortifiée (comme Avignon), son ribat, ses magnifiques cafés et restaurants où traîner des heures avec la team Tunis pour discuter.

Puis c’était l’heure de rentrer à Tunis pour une dernière journée avant de faire ma valise et de m’envoler en France pour la prochaine étape de mes vacances.

Finalement cette transition tunisienne a été un parfait reflet de la vie : des doutes, des larmes, des questionnements qui semblent sans fin, mais aussi de magnifiques rencontres, de la joie, des fous rires à en pleurer, des discussions jusqu’à pas d’heures, de la sérénité et la conscience de la chance de pouvoir vivre toutes ces émotions dans une vie que j’ai choisie et que j’aime infiniment, dans les bons comme dans les mauvais moments.

Lecture #17 – Les fils de la Médina

Ouvrir un roman de Naguib Mahfouz, c’est comme faire un voyage dans le temps. C’est la promesse de se retrouver plongé dans une autre époque où tout vous parvient. Les sons, les détails des décorations, les odeurs du marché, la beauté des costumes, mais aussi les mentalités et les caractères propres à l’époque donnée.

Au pied de la montagne de Muqqatam du Caire se dresse un quartier. Dans la Grande Maison se trouve Gabalawi, l’Ancêtre du quartier, qui vit cloîtré dans sa demeure et que l’on n’a pas apperçu depuis bien longtemps. Pendant plusieurs générations, l’auteur nous fait suivre l’histoire de ce quartier. Chaque génération y trouve ses bons et ses méchants citoyens, mais également son personnage clé, celui qui va marquer son temps et qui prendra place dans les histoires des conteurs.

Le génie de Mahfouz, c’est de s’inspirer de l’histoire des 3 grandes religions monothéistes et chaque personnage central en est son Prophète.
Par la puissance de l’auteur, c’est toute l’histoire des religions monothéistes qui nous est contée bien que remaniée et réinventée.

A l’époque, cela n’a pas plu à tout le monde et Naguib Mahfouz a essuyé une tentative d’assassinat de la part d’extrémistes religieux peu sensibles au génie littéraire de ce monstre de la littérature égyptienne.

Personnellement, ce livre s’est hissé dans le top 10 de mes livres préférés de tous les temps ❤️

Retour à Alep

Depuis mon premier séjour à Alep en novembre 2020, j’y suis retournée plusieurs fois. Quelque chose m’attire dans cette ville que je ne peux pas vraiment expliquer.

J’aime les villes qui ont une âme, les villes qu’il faut prendre le temps de découvrir, qui mettent du temps à abandonner leurs secrets, qu’il faut explorer, comprendre. Et à Alep, la plus vieille ville du monde, il y en a des couches à soulever pour tenter d’effleurer un peu de son histoire. J’aime son histoire millénaire, sa diversité et son architecture si différente de celle de Damas.

J’ai également l’impression qu’Alep est le concentré du cocktail de mes émotions au sujet de la Syrie. Elle fait partie des villes qui ont le plus été touchées par la guerre. Alors que Damas a été relativement épargnée, Alep, elle, porte encore aujourd’hui les stigmates du conflit. Les destructions défigurent la ville, parfois un quartier, parfois une rue ou encore un bâtiment. Et en même temps, puisqu’il le faut, la vie continue. Chacun poursuit son quotidien, les cafés, les restaurants et les boutiques sont ouverts, jouxtant un immeuble détruit. Au milieu des décombres la vie reprend ses droits, les piétons se baladent et achètent des sucreries face à la Citadelle fièrement dressée face à la désolation des bâtiments ravagés.

À force de séjours là-bas, j’ai créé une relation particulière avec cette ville. J’aime y retourner régulièrement pour continuer de l’explorer. J’y retrouve certains lieux favoris ainsi que des amis désormais.

Petit récit des mes dernières pérégrinations.

Trip n°2 – Juin 2021

L’année dernière au mois de juin, je décide de retourner à Alep et j’embarque avec moi Maher et son ami Adeeb qui n’a pas revu Alep depuis la guerre, mon collègue Grégory et mon amie et collègue Soulafa.

Nous partons tôt le matin tous ensemble en bus depuis la gare routière qui se trouve dans le quartier de Douma, en périphérie de Damas, ravagé par la guerre. La gare routière se situe littéralement au milieu des ruines.

Il nous faut environ 4 heures et demie à cinq heures pour rejoindre Alep, le trajet étant ponctué d’une pause d’une demi-heure dans la gare routière de Homs et de plusieurs checkpoints militaires.

Nous arrivons en début d’après-midi et après avoir déposé nos affaires à l’hôtel et pris possession de nos chambres, nous nous dirigeons vers le lieu de notre déjeuner. Mon amie Mylène, qui vit à Alep et à qui j’étais venue rendre visite l’année dernière, nous fait le plaisir de se joindre à nous pour un café. Puis c’est au tour d’un ami de Maher, Waseem, un photographe alépin, de nous rejoindre. Waseem va d’ailleurs au cours de ce séjour devenir un très bon ami à moi, et je le verrai à chacun de mes séjours ici. Je découvre grâce à lui une autre facette de la ville et de nombreux lieux cachés.

Nous nous dirigeons ensuite vers l’ancien centre historique gravement touché par les bombardements pendant la gare. Quelques reconstructions ont commencé mais comme d’habitude, les moyens manquent. Un peu plus loin, de magnifiques anciennes bâtisses en bois mériteraient elles aussi quelques rénovations.

Nous rejoignons à pied l’esplanade de la Citadelle d’Alep au beau milieu de la golden hour. La lumière orangée baigne le lieu et lui donne une atmosphère particulière. La place est bondée, les familles ou les amis se réunissent pour passer un moment à marcher autour de la Citadelle, manger du maïs ou de la barbe à papa.

Tout autour, c’est la désolation. Pourtant, cela ne semble plus perturber personne. La vie doit continuer, coûte que coûte. Les destructions font partie de l’histoire de la ville et les Alépins aspirent désormais à un retour à la normale selon leurs mots.

 

Nous continuons notre promenade en direction des souks qui entourent la mosquée des Omeyades.

Je peux alors voir les progrès des rénovations depuis la dernière fois que je suis venue en novembre l’année précédente. De nouvelles boutiques ont ouvert dans la partie reconstruite, et les rénovations avancent, particulièrement dans le « souk des femmes » ainsi que la rénovation de la mosquée. Cela va devenir au fil de mes séjours à Alep, un véritable rituel que de venir voir les rénovations de ce quartier et de me poser admirer celles de la mosquée des Omeyades d’Alep.

 

Le lendemain, nous commençons notre promenade par la visite de deux lieux que j’aime beaucoup et que j’avais déjà visités la première fois : un magnifique caravansérail et l’institut de formation au tourisme qu’a monté mon amie Mylène et qu’elle m’a fait visiter la dernière fois. Le lieu n’est habituellement pas ouvert à la visite mais Mylène a passé un coup de téléphone à la directrice pour nous permettre d’y entrer.

La cour du Khan

 

La cour de l’Institut de tourisme.

 

Puis nous vient la meilleure idée de l’année : visiter la Citadelle à 13 heures en plein mois de juin sous 40 degrés. Cela vaudra d’ailleurs une insolation à Soulafa qui ne se joindre malheureusement pas à nous pour goûter les boulettes de viande à la sauce cerise, célèbre spécialité alépine, du fameux restaurant « Qortoba ». Il lui faudra attendre l’année suivante et un autre séjour à Alep pour pouvoir enfin les goûter. Même si les conditions de la visite furent un peu éprouvantes au vue de la chaleur, cela en valait largement la peine.

On a continué la série « Mais où est Salah el Din ? »

 

Après un repos bien mérité à l’hôtel, nous continuons notre journée et allons contempler le coucher du soleil près d’un café en haut de la porte d’Antakya.

Puis nous allons visiter la mosquée que je rêvais de visiter et avec laquelle je saoulais tout le monde depuis notre arrivée. L’atmosphère est unique dans cette mosquée aux airs de mille et une nuits. Quasiment à l’abandon, des fidèles se pressent tout de même pour prier lorsque nous arrivons au moment de la prière du maghreb (coucher de soleil). Nous passons un long moment à déambuler dans son immense cour.

 

Le soir nous dégustons un dernier repas entre amis puis le lendemain, il est déjà l’heure de nous séparer car Soulafa et moi nous levons tôt pour partir vers la côte pour le reste de notre road-trip. Mais ça, c’est une autre aventure !

 

Trip n°3 – Novembre 2021

En début d’année scolaire, Alep me manque (comme toujours) et je décide d’y emmener ma collègue Hayat pour lui faire découvrir la ville.

Nous devions partir en bus le jeudi après-midi après l’école mais j’avais un peu peur d’arriver en retard car nous devions dormir chez les sœurs et nous avions un couvre-feu (j’expliquerai plus tard). Comme on ne sait jamais trop combien de temps peut prendre le trajet en bus (surtout que je n’avais pas réservé), je n’étais pas sûre d’arriver à l’heure. Hayat me rejoint chez moi aux environs de 14h et nous trouvons un taxi en bas de chez moi qui doit nous emmener à la gare routière. Nous montons et en voyant nos sacs, le chauffeur nous demande où nous voyageons, je lui réponds que nous partons à Alep. Par chance, le chauffeur part sur la côte et nous propose de nous déposer à mi-chemin à Homs pour une somme intéressante. Cela nous arrange beaucoup : au lieu d’aller jusqu’à la gare routière, d’attendre de trouver un bus, qu’il parte, etc., nous nous mettons directement en route grâce au premier taxi trouvé en bas de chez moi. Deux heures plus tard, nous voilà à Homs. À la gare routière de Homs nous sommes chaleureusement accueillies par un soldat qui n’en revient pas de m’entendre parler arabe. Il nous aidera alors pour tout : l’achat des billets pour Alep, il nous installera au chaud dans un de ses bureaux (nous sommes un soir de novembre, il commence à faire frais) puis reviendra nous chercher pour nous conduire au bus à son arrivée. Deux heures plus tard, nous sommes à Alep, Waseem est venu nous chercher accompagné de Maher qui est déjà là depuis quelques jours. Nous n’avons pas beaucoup de temps avant le couvre-feu donc les garçons nous déposent directement au couvent !

Voici donc la raison pour laquelle nous dormons chez les sœurs. Dans les hôtels en Syrie, il y a deux prix : celui pour les étrangers (en devises) et celui pour les Syriens ou les résidents. Pour pouvoir dormir dans un hôtel et payer le prix local en étant étranger, il faut donc posséder une carte de résidence (ce qui est le cas des étrangers travaillant à l’école française par exemple mais pas celui d’autres étrangers notamment ceux qui travaillent en ONG, cela s’explique selon moi par le fait que nos salaires n’ont absolument rien à voir : les salaires de l’école se rapprochant beaucoup plus des salaires locaux, cela nous donne ainsi quelques avantages). Malheureusement, la carte de résidence d’Hayat n’était pas encore prête et si nous ne voulions pas payer une chambre d’hôtel à un prix étranger largement éloigné de nos salaires, il nous restait une solution : le couvent.

J’avais rencontré Sœur Antoinette lors de mon premier séjour à Alep. J’avais été très touchée par l’histoire de cette femme, sa force et son sourire communicatif. Avec son petit accent qui roule les « R », elle me rappelait les sœurs de l’école dans laquelle j’ai travaillé pendant deux ans en Égypte avant de venir en Syrie.

Le couvent demande une petite contribution en échange du gîte, et nous étions heureuses de pouvoir contribuer un peu au travail des sœurs.

Et nous étions en plus bien installées ! Les chambres et la salle de bain n’étaient pas aussi sommaires que ce que je pensais, nous avions même de l’eau chaude et le wifi.

 

Le lendemain matin, les garçons viennent nous chercher et Waseem nous emmène déjeuner dans un magnifique endroit Dar Halabia, une petite maison alépine rénovée après la guerre nichée dans les ruelles du vieux Alep près de la porte d’Antakya.

Nous petit-déjeunons tous ensemble au son de Fayrouz, puis explorons la maison du sol au plafond et rencontrons même le propriétaire heureux de nous faire découvrir les lieux.

Nous nous dirigeons ensuite vers le centre pour aller visiter le musée national d’Alep qui vient tout juste de rouvrir ses portes. Seul 10% des pièces sont actuellement présentées. Le musée avait été fermé pendant la guerre et de nombreuses pièces ont été déplacées notamment à Damas. Mais petit à petit, les choses se remettent en place comme ici avec la réouverture progressive du musée (il était interdit de prendre des photos à l’intérieur et j’ai, pour une fois, respecté cette règle).

Ensuite nous sommes allés visiter un lieu qu’il me tenait à cœur de voir depuis longtemps : le célébrissime hôtel Baron. Cet hôtel est un véritable monument historique puisque c’est ici qu’ont séjourné des personnalités telles que Agatha Christie et Annemarie Schwarzenbach (parmi mes voyageuses préférées) mais c’est aussi ici que le président égyptien Abd el Nasser a fait son discours au moment de l’unification des deux pays, et au même endroit que Hafez Al Assad fera symboliquement son discours quelques années plus tard au moment de l’indépendance de la Syrie, pour ne citer qu’eux.

L’endroit ressemble d’ailleurs à un véritable musée, une bulle temporelle vers une époque révolue.

Nous continuons notre visite de la ville avant d’aller déguster un repas maison dans la famille de Waseem puis de rentrer chez les Sœurs pour le couvre-feu.

Ma tête quand je vois de la nourriture syrienne & homemade <3

 

Le lendemain, nous passons un moment avec Sœur Antoinette. La discussion tourne rapidement autour de la situation à Alep mais aussi les souvenirs de la guerre. Elle nous raconte l’arrivée de Daech, les bombardements, cette femme dont la sœur et tous ses enfants sont morts dans les bombardements, ne s’est jamais remise.

« On est retournés 1000 ans en arrière. Chaque famille est complètement déchirée. » Cela fait deux ans qu’elle n’est pas retournée à Homs pour voir sa famille. Elle n’en a pas le courage et il y a beaucoup à faire à Alep pour le moment.

Nous rejoignons ensuite les garçons, car c’est déjà le moment de profiter des dernières heures en ville puisque plusieurs heures en bus nous attendent avant de rentrer à Damas. Nous terminons donc par la traditionnelle balade dans le quartier des souks autour de la mosquée des Omeyades avant de nous mettre en route vers la capitale syrienne.

Trip n°4 – mars 2022

Le mois dernier, nous avons décidé avec mes deux copines Soulafa et Samia de nous faire un petit road-trip entre filles à Alep.

Nous nous sommes donné rendez-vous en bas de chez moi à 7h du matin puis nous sommes dirigés vers la gare routière. Nous avons malheureusement raté le bus pour lequel nous avions fait la réservation car quelqu’un était en retard (je ne vais pas balancer mais Samia c’est la dernière fois). Nous avons donc dû attendre 9h pour partir. Le trajet s’est facilement fait jusqu’à Alep en environ 4 heures avec une pause d’une demi-heure à Homs. À notre arrivée à Alep en début d’après-midi, Waseem nous attendait, ainsi que la pluie. Nous sommes allées déposer nos affaires à l’hôtel. Soulafa et moi partagions la même chambre comme toujours, et Samia avait décidé de prendre une chambre seule pour profiter au maximum de son indépendance pendant ce week-end. Un peu plus tard, nous avons rejoint Waseem et nous avons passé la majeure partie de la journée à manger dans différents lieux en raison de la pluie qui ne s’arrêtait pas. Le soir, nous avons été rejoints par mon amie Mia, une Australienne d’origine syrienne venue s’installer en Syrie depuis quelques mois et que j’ai rencontrée sur Instagram car nous partageons la même passion pour le pays. La feeling est bien passée avec les filles ainsi qu’avec Waseem et Mia nous a ainsi accompagnés tout le week-end.

 

Le lendemain matin, après un copieux petit-déjeuner face à la Citadelle, nous sommes une fois de plus allées nous promener dans ce quartier. J’aime beaucoup les scènes de vie autour de la Citadelle. Et j’aime voir un même lieu sous différentes couleurs, c’est la raison pour laquelle je ne me lasse jamais de revenir dans un même lieu. Chaque fois la lumière est différente, les gens qui peuplent l’endroit le sont ainsi, et l’atmosphère ne cesse de changer pour offrir une nouvelle palette de sensations.

Autour de la Citadelle, c’est toujours le même spectacle : des gens qui viennent profiter de la vue de la Citadelle qui a revêtu son manteau vert à l’occasion du printemps, les vendeurs de sucreries ou de popcorn, tout cela entouré des destructions qui font désormais partie du paysage.

Nous continuons notre visite rituelle, quasiment un pèlerinage au point où nous en sommes, vers le quartier des souks qui jouxte la mosquée des Omeyades. Nous rencontrons un homme qui décide de nous faire visiter les lieux. Je reste un peu avec lui mais j’ai du mal à le comprendre et je n’ai pas envie que les filles aient à traduire donc je pars un peu de mon côté pour contempler la mosquée justement. Les filles me rejoignent un peu plus tard puis nous nous promenons ensuite dans les souks, entre rénovations et chaos.

Nous décidons ensuite de nous rendre à un événement soufi qui se situe un peu plus loin dans le centre historique. Ce sera l’occasion de découvrir une partie de la ville que je n’avais jamais visitée et qui comprend nombre de ruelles aux décorations heureuses.

J’aime tout particulièrement les maisons arborant des dessins de la Mecque, informant les autres habitants que le pèlerinage a été effectué et que le propriétaire peut désormais être appelé « Hajj » (« celui qui a effectué le pèlerinage à la Mecque »), bien que ce terme puisse être traditionnellement utilisé avec des personnes ayant atteint un certain âge même s’ils n’ont pas effectué le pèlerinage. On peut parfois trouver de véritables fresques représentant les différentes étapes du pèlerinage.

Nous nous dirigeons ensuite vers le petit café coloré que nous avions déjà visité avec Soulafa l’année précédente et qui se trouve non loin d’ici afin d’y admirer le coucher de soleil.

Nous finirons bien évidemment la soirée autour d’un bon repas avant d’aller reprendre des forces pour les explorations du lendemain.

Le samedi pour le dernier jour, nous décidons d’aller visiter la Citadelle car Samia et Mia ne l’ont jamais visitée et cela reste un endroit magnifique où il y a toujours un détail à découvrir.

<3

Nous faisons ensuite un petit shopping traditionnel : j’ai besoin de refaire mon stock de savons d’Alep et de zaatar. Puis nous passons par chez Waseem pour dire bonjour à sa famille et voir les plus beaux chats de la Terre (après les miens à Avignon bien sûr).

Sur le chemin en voiture, j’ai un flash. Les ruelles, les immeubles, les sons, tout me propulse tout à coup à Alexandrie. Lorsque je vivais au Caire, j’allais très souvent à Alexandrie passer le week-end. Un de mes meilleurs amis y vivait et j’allais régulièrement lui rendre visite. Je me rends compte alors qu’Alep est un peu mon Alexandrie syrienne : la ville où j’aime me rendre pour m’échapper un peu de mon quotidien (que j’aime) et dont j’aime explorer chaque recoin.

 

Un peu plus tard, il est déjà l’heure de nous remettre en route. Je dis de nouveau au revoir à Alep mais je sais que je reviendrai vite découvrir de nouveaux détails.

Inshallah.

La sortie du brouillard

Ce qui est difficile avec le changement, c’est que c’est nécessaire et douloureux. Il m’aura fallu six mois pour poser ici les mots pour exprimer ce que j’ai ressenti pendant cette traversée du brouillard. Comme toujours, j’ai besoin d’en sortir pour pouvoir en parler.

J’ai traversé une crise existentielle comme je n’en avais pas vécu depuis un moment.

L’été dernier en rentrant en France, je me suis sentie extrêmement mal. J’ai passé les premières semaines à beaucoup pleurer, à ne pas réussir à profiter, à penser à tout ce que j’avais vu et entendu pendant mon année en Syrie, à me sentir coupable de pouvoir prendre la poudre d’escampette pour l’été grâce à mon passeport. Je ne trouvais plus ma place, ne savais plus ce que je faisais là et n’arrivais pas à profiter de mes proches. J’ai fini par me sentir mieux au bout de quelques semaines mais j’ai tout de même décidé de repartir bien plus tôt, pour passer une partie de mes vacances au Liban pour découvrir le pays. Et ça m’a fait du bien… le temps des vacances.

À mon retour en Syrie, j’étais d’abord heureuse de retrouver mon pays d’adoption, ses couleurs, mes amis, mes habitudes, mon chez-moi, l’école, mes collègues, mes élèves, bref ma vie. Mais une petite pointe au cœur commençait à poindre doucement le bout de son nez. C’était au début une petite douleur sourde, mais qui a rapidement pris plus d’ampleur pour finalement exploser fin septembre. J’étais face à mes choix de vie et à ses conséquences : mon célibat. Et au-delà du célibat, la sensation que la personne que j’aimais depuis plusieurs années et avec qui je vivais une relation en pointillées, était en train de se détacher définitivement de moi et de nous.

Même si j’avais toujours eu conscience que cette relation ne pourrait jamais aboutir à un engagement sérieux au vu de nos trop grandes différences, lorsque la sensation s’est finalement confirmée, la panique s’est emparée de moi et j’ai failli faire la pire des bêtises : rentrer en France. Face à l’angoisse de cette séparation qui pourtant ne pouvait pas en être autrement. J’ai failli fuir. J’ai presque tout quitté. J’ai eu peur, eu le cœur serré, je pensais en être certaine mais c’est la peur de la solitude, celle que je n’attendais pas, qui m’a rattrapée au détour d’une rue. Ainsi, une nuit la décision fut prise. Pour lui, je « rentre ». Mais comment parler de retour lorsque mon chez moi est ici. Depuis longtemps j’ai changé les mots. Je parle de « passage » en France et de « retour » au Moyen-Orient. Heureusement, le destin en avait décidé autrement et je rangeais mes valises dans le débarras de mon appartement à Damas.

À partir de cette nuit-là et pour les six mois suivants, je fus seule face à moi-même avec pour compagnons une rupture et un célibat. Je ne voyais plus la beauté de ma vie, je ne savourais plus mon quotidien.

Il y a dix ans, après une grosse rupture douloureuse justement, je me suis fait la promesse que je deviendrais ma priorité absolue. Je voulais me débarrasser de ce sentiment que mon bonheur était conditionné par la présence d’un homme dans ma vie, par le couple, par le regard et l’amour de l’autre. Comme j’ai été harcelée au collège, j’ai toujours eu un gros manque de confiance en moi, particulièrement en ce qui concerne les relations, et lorsque j’étais jeune adulte, j’avais vraiment ce besoin de l’autre, je me nourrissais de fantasmes de prince charmant qui allait me sauver et rendre ma vie incroyable. Une épiphanie plus tard, je décidais de brûler ces inepties, d’apprendre à vivre avec moi-même et à m’aimer, et de rendre moi-même ma vie incroyable.

Commença alors la plus belle des aventures : la quête de mon identité et de mon indépendance. Je quittais mon petit-ami de l’époque, la ville où nous vivions, Marseille, pour revenir vivre à Avignon et reprendre les études qui m’avaient toujours fait rêver afin de devenir professeure de français pour les étrangers, je prenais mon premier appartement seule (surnommé « l’appart de la libération ») et j’apprenais à vivre toute seule, à apprécier les moments de solitude, à calmer les angoisses et enfin à mettre en place mes projets. À partir de ce moment-là, il ne fut plus question pour moi de faire des choix en fonction d’une personne et encore moins d’un homme. Je ne savais pas encore que de nombreuses aventures m’attendaient : le Maroc, la Russie, l’Égypte, la Palestine et enfin la Syrie.

Jamais, jusqu’à ce jour, je n’avais remis en question cette promesse faite dix ans plus tôt. Je crois que c’est ce qui a rendu cette remise en question aussi violente. Je ne m’y attendais pas. Pourtant il fallait que je l’admette, pour la première fois depuis dix ans, j’avais envie d’être en couple et de partager ma vie avec quelqu’un. Au-delà de la douleur de la séparation, qui devait arriver un jour ou l’autre j’en avais toujours été consciente, ce qui était en réalité le plus dur à gérer, c’était de réaliser que pour la première fois depuis dix ans, j’avais envie d’autre chose dans ma vie. Cette vie de célibataire ultra-indépendante qui fait tout toute seule ne me convenait plus, et j’aspirais à partager mon quotidien avec quelqu’un. Et tout à coup, alors qu’auparavant j’angoissais de rencontrer quelqu’un car cela me forcerait à changer mes plans, je remplaçais cette angoisse par une nouvelle, celle de ne jamais rencontrer quelqu’un justement. Pendant quelques jours je remettais même en question mes choix de vie et me demandais si je n’étais pas responsable de ce qui m’arrivait. Le pire, c’est que je venais de faire l’apologie de l’indépendance dans cet article et voilà que soudain je me sentais comme un imposteur à avoir envie de partager ma vie avec quelqu’un. Mais j’avais tendance à confondre indépendance et insensibilité. Avoir des sentiments ne fait pas de moi quelqu’un de faible ou de moins féministe, vouloir partager ma vie avec quelqu’un et avoir des projets différents de ceux que j’avais il y a quelques années non plus. Pourtant j’avais du mal à me faire à cette idée, l’approche de mes 34 ans me remplissait d’angoisse et j’ai effectivement passé le pire anniversaire de toute ma vie. J’ai pleuré toutes les larmes de mon cœur pendant cette journée et cette soirée à me dire que je finirais seule et que je ne surpasserais jamais cette crise. À partir de ce jour, je me suis dit que je devais simplement vivre avec l’idée que la vie amoureuse n’était pas faite pour moi, que je devrais réapprendre à apprécier les autres choses dans ma vie, que cette tristesse ne me quitterait jamais mais que j’allais apprendre à vivre avec.

J’ai accepté de laisser place à la douleur. J’ai accepté de la laisser s’exprimer, de pleurer plusieurs fois dans la journée, de m’affaler sur le canapé et de m’abrutir de films et de séries qui me feraient oublier un peu le temps. Je l’ai laissée m’envahir à chaque vue de couple, à chaque pensée que cela ne m’arriverait plus jamais. Je sentais que j’avais besoin de la laisser s’exprimer pleinement, la faire sortir, accepter, faire face, ne pas la cacher, ne pas mentir. Accepter que pendant toutes ces années, je l’avais réellement aimé lui malgré tout, que la rupture me faisait mal et que ma solitude me faisait souffrir. Faire face aux choses que je n’avais jamais eu envie de questionner.

J’ai pris soin de moi. J’ai parlé, beaucoup. J’ai dormi, énormément. J’ai voyagé, passé des week-ends avec des amis, regardé plein de films et de séries, mangé mes plats préférés, décoré mon appartement, encadré mes posters favoris, créé un petit quotidien doux, fait des masques à l’huile dans mes cheveux le jeudi soir en rentrant de soirée, passé des week-ends entiers à me reposer lorsque j’en avais besoin, ou au contraire à arpenter la vieille ville lorsque j’en avais envie. Bref, j’ai fait ce que je sais faire de mieux : je me suis écoutée.

Et puis un jour, la douleur s’est lassée. Elle en a eu assez et elle a quitté le navire. Doucement, sans faire de bruit. J’ai vu tout ce qu’elle laissait derrière elle, la douleur du questionnement mais aussi la douceur des réponses. Mon cœur s’est apaisé, et mes yeux, désormais, ont retrouvé le chemin de la beauté, celle des ruelles de Damas, des lignes élancées de ses minarets, des couleurs de son souk, des sourires de mes amis.

Cette grosse période de doute m’a permis de réaliser que je suis (presque) prête à fermer ce chapitre d’indépendance totale et que j’ai envie de laisser la place à une personne dans ma vie. Elle m’a permis également de me poser certaines questions et d’y trouver des réponses. Je sais que j’aime toujours passionnément ma vie, qu’elle est le résultat des choix que j’ai faits ces dix dernières années et que certains sacrifices sont nécessaires pour vivre ce type de vie, mais que je ne l’échangerais pour rien au monde, même après cette période troublée. Cela m’a permis de me rendre compte que je pouvais toujours compter sur moi-même et régler mes problèmes seule. Bon seule, c’est pas tout à fait vrai non plus. Plus que jamais, cette épreuve m’a montré à quel point je suis bien entourée et à quel point j’ai la chance d’avoir de telles personnes dans ma vie, qu’elles soient à Damas, à Paris, à Avignon, à Amman, à Istanbul, au Caire ou où que ce soit dans le monde. Gros cœur sur elles, elles se reconnaîtront, je vous aime <3

Du coup voilà, I’m back bitches!

 

Lecture #16 – La plus secrète mémoire des hommes

C’est l’histoire d’un livre qui raconte l’histoire… d’un livre. C’est ça mais c’est aussi beaucoup plus que ça. C’est l’histoire d’une famille, de ses secrets, de ses blessures, de ses traumatismes transgénérationnels. C’est l’histoire de la littérature et de son pouvoir intemporel. C’est l’histoire d’un écrivain en quête d’un homme, mais aussi en quête de lui-même.

C’est l’histoire du Sénégal, de la France, de la colonisation, de sa violence, de ses conséquences. C’est l’histoire de ces étrangers que la France a récupérés pour les rendre un peu comme eux, mais pas trop non plus, juste assez pour qu’ils lui servent et la servent.

Ce livre et l’histoire du livre qu’elle raconte, est présentée par différents narrateurs qui vont, tour à tour, livrer leur version et leurs secrets pour donner un peu plus d’indices sur le livre, l’homme, l’histoire et nous offrir un regard de plus en plus large sur ce puzzle.

Certains seront déroutés par la pluralité des narrateurs, la variété des registres de langue, tantôt familier voire cru, tantôt particulièrement soutenu, les réflexions du narrateur principal, les aller-retour dans le temps et l’espace.

J’ai, pour ma part, était complètement transportée par l’histoire, l’Histoire et les histoires, et je ne peux que chaudement vous recommander cet énorme coup de cœur.

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Lecture #15 – La reine de Saba

J’avais hâte de lire « La reine de Saba » de Marek Halter, recommandé par plusieurs personnes.
Ce sera personnellement un bilan mitigé.
J’ai eu beaucoup de mal à rentrer dans le roman : premièrement j’ai détesté le langage beaucoup trop mielleux des (nombreux) passages présentant les personnages et les relations entre eux. Le côté trop stéréotypé (les femmes douces et suaves, les hommes virils et valeureux) m’a également bien agacée, et j’ai trouvé que le roman mettait trop longtemps à se mettre en place.
Cependant, à partir de la deuxième moitié du livre, lorsque l’action commence réellement et que les mièvreries se calment légèrement, j’ai pu plonger un peu plus dans l’histoire et me laisser porter par l’intrigue.
Je suis malgré tout restée sur ma faim avec l’épilogue, un peu bâclé à mon goût, et dont les phrases courtes et le présent de narration m’auront laissée un goût d’inachevé.

Cela aura tout de même eu l’avantage de me donner envie d’en savoir plus sur cette reine de Saba, Salomon et toute cette région à cette époque-là.
Je ne pense pas lire d’autres livres de cet auteur car, outre le peu d’intérêt et de plaisir que j’ai eu à la lecture de ce livre, de nombreuses critiques m’ont été rapportées concernant l’auteur et ses écrits approximatifs voire mensongers.

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