Chronique syrienne #13 – La belle Hama

À peine une semaine après le retour de mon petit voyage sur la côte syrienne (ici et ), je reprends la route pour un nouveau périple et ma première destination est Hama.

Pour le départ, on m’avait dit que je pouvais prendre le bus à la gare routière de Qaboon (là où j’étais arrivée au retour de Lattaquié, au milieu des ruines). Je rejoins donc mon collègue Grégory avec qui je vais passer ce long week-end, place des Omeyyades vers 8h30 puis nous prenons le taxi qui nous y emmène. Une fois arrivée, je me dirige vers le guichet de la compagnie de bus qui est censée partir à Hama. Il y a bien un bus mais à 12h30 et il est 9h… Je fais le tour des autres guichets, pas de bus. Un homme me confirme que la seule compagnie qui part aujourd’hui pour Hama est celle où j’ai demandé en premier. Je me dirige donc vers le soldat qui est à l’entrée de la gare routière pour voir s’il a des infos sur un minibus ou un van qui partirait d’ici pour Hama. Il me dit qu’ici il n’y en a pas mais que je peux tenter d’aller à « Karaj el Abaseen » et qu’il y en a certainement là-bas. Comme nous avons le temps d’aller voir et au pire de faire l’aller-retour, on décide de tenter le coup. Nous prenons un taxi qui nous y emmène rapidement, c’est en réalité à deux pas. Là-bas, je demande à une sorte de guichet qui me dirige vers un minibus, mais celui-ci est plein. Le chauffeur me dirige alors vers un autre chauffeur, d’un van cette fois-ci. Il part bien à Hama, il faut maintenant attendre que le van se remplisse. Nous attendons 10 minutes puis le chauffeur du van revient vers nous pour nous envoyer vers un minibus qui vient d’arriver et où il reste quelques places pour Hama. Nous voici donc (enfin) installés et quelques minutes plus tard le minibus part, il est 10h30.

C’est un vieux minibus, tout coloré, sans clim avec des fauteuils peu confortables mais le voyage se passe bien.

Il nous faudra 3 heures pour rejoindre Hama. Le minibus nous descend près du centre-ville, j’ai repéré l’hôtel sur Maps, nous sommes à 20 minutes de marche. Arrivés à l’hôtel, nous sommes agréablement surpris. L’hôtel avait l’air très sympa sur les photos Google mais on ne sait jamais ce que l’on va réellement trouver. Nous sommes accueillis par le gérant, très heureux de voir des étrangers débarquer dans son hôtel. Il nous raconte les heures de gloire de l’hôtel, cette autre époque où la Syrie regorgeait d’étrangers venus découvrir ses merveilles. C’est une phrase que j’entends tout le temps, évidemment, « avant la guerre » ou « avant les évènements », « avant la crise ». Les yeux des personnes qui prononcent cette phrase se voilent un peu et ils se plongent alors dans leurs souvenirs. C’était le temps où la Syrie connaissait un véritable essor touristique et économique, où les étrangers venaient visiter le pays ou étudier l’arabe à Damas. Aujourd’hui les étrangers sont partis, une partie du pays est en ruine, l’économie s’effondre chaque jour un peu plus avec les sanctions et tout est compliqué.

Le patio de l’hôtel où nous avons pris le petit-déjeuner le lendemain.
Ma chambre.

Nous prenons possession de nos chambres, le temps de poser nos affaires, de se rafraichir un peu, puis nous repartons en direction de la veille ville. J’ai hâte. J’attendais ce voyage quasiment depuis mon arrivée à Damas en septembre dernier. Je ne sais pas pourquoi mais j’avais une irrésistible envie de me rendre à Hama. Nous marchons une dizaine de minutes puis arrivons enfin à la vieille ville et apercevons enfin les premières norias : ces énormes roues qui tournent et qui servaient autrefois à approvisionner toute la ville en eau. C’est le week-end de l’Eid, tout le monde semble s’être donné rendez-vous sur l’esplanade ou dans les rues. La vieille ville est bondée. Les familles se promènent, mangent une glace, prennent des photos, des jeunes se baignent dans l’Oronte, faisant des sauts depuis la balustrade, d’autres pêchent tranquillement.

Nous sommes émerveillés par ce spectacle. Les gens, l’activité, le jardin, les norias… et leur bruit ! Je ne m’attendais pas à ça ! Ça fait un boucan dingue. Aussi hypnotisant que leur mouvement infini.

Alors oui, c’est beau mais moi, j’ai faim. Il est près de 15h et je n’ai rien mangé depuis le petit-déjeuner à 7h30. Je repère un petit restaurant non loin de là qui a l’air pas mal. Effectivement il est très beau, bondé lui aussi par les familles qui se réunissent pour célébrer l’Eid. Le lieu est très beau, la nourriture délicieuse et nous passons un très bon moment. Nous sommes accueillis comme des rois et on nous offre les cafés et le dessert. Enfin rassasiés, nous sommes prêts à repartir à la découverte de la ville. Nous découvrons les petites rues, les pierres de couleur claire, les beaux bâtiments et les petits jardins aménagés qui longent l’Oronte.

Puis nous nous dirigeons vers « la citadelle ». Enfin, c’est ce que je croyais. La citadelle est censée se trouver en haut d’une colline près de la vieille ville, nous nous y dirigeons donc et montons en son sommet. Une fois arrivés, le lieu n’est pas très grand et je cherche des yeux la fameuse citadelle, en vain. Jusqu’à ce que Grégory s’écrie « Ah voilà le fameux cratère ! ».  La citadelle est en fait un petit amas de pierre au fond d’un cratère. Une citadelle avait été retrouvée et des fouilles entreprises avant d’être abandonnées ce qui explique l’état du site. Je suis tellement déçue et désintéressée que je n’en ai même pas pris une photo. Je préfère faire le tour de cette colline et observer la ville d’en haut.

Nous descendons ensuite de cette petite colline et nous promenons dans la vieille ville jusqu’à un restaurant donnant sur d’autres norias. Nous profitons de notre boisson citron/menthe et admirons la vue. Le temps est parfait, c’est la golden hour et la ville resplendit sous ce rayon doré.

Nous reprenons la promenade, dans l’autre sens pour nous rediriger vers l’esplanade du départ. Il y a encore plus de gens que tout à l’heure dans les rues. Il fait meilleur, les gens sortent pour profiter début de soirée. Tout le monde nous regarde et la curiosité l’emporte chez un groupe d’adolescents fascinés par l’appareil photo de Grégory. Ils lui tapent gentiment sur l’épaule et désigne l’appareil photo, ils veulent regarder. Puis ils posent des questions à Grégory « Tu es russe ? ». Cette question, c’est LA question que les quelques étrangers présents en Syrie entendent constamment. Cela est dû évidemment à la présence russe dans le pays. C’est drôle parce qu’en réalité, on ne les voit pas. Il y a à priori une grosse communauté russe en Syrie, on me l’a confirmé de source sûre, mais je n’en ai jamais croisé aucun. Ça fait un drôle d’effet, une présence mystérieuse, fantomatique.

Une fois que Grégory a épuisé ce qu’il connait en arabe, il me passe le relais. Je continue la discussion avec le groupe d’adolescents. Ils veulent savoir d’où nous venons, ce qu’on fait ici, si on est mariés, ce que je pense du pays, si j’aime, comment ça se fait que je parle arabe, question à laquelle je réponds que j’ai habité 3 ans en Égypte et que j’y ai appris l’arabe là-bas, et à laquelle il me pose ainsi l’éternelle question suite à ma réponse : « Alors c’est quoi le mieux ? L’Égypte ou la Syrie ? ». Ce à quoi je réponds toujours que « c’est simplement différent » ce qui ne satisfait généralement pas mes interlocuteurs et qui me vaut d’autres questions.

Les garçons sont adorables, simplement curieux et heureux de voir d’autres personnes. Après quelques photos, on se dit au revoir. Puis nous continuons notre promenade et de nombreuses personnes viendront nous aborder pour nous demander « Vous êtes russes ? ». Après une bonne promenade, un gros bain de foule et des dizaines de photos (surtout pour Grégory, les gens osent moins m’aborder, certainement parce que je suis une femme et que nous voyant ensemble ils doivent penser que nous sommes mariés et il ne serait alors pas très respectueux de venir m’aborder), nous finissons par prendre le chemin pour retourner à l’hôtel et je m’endors tôt épuisée.

Le lendemain matin, Grégory et moi nous retrouvons dans le hall de l’hôtel. Nous avons décidé de prendre le petit-déjeuner ici puis d’aller nous promener dans la vieille ville et d’essayer de visiter la mosquée Nour al-din et le palais Azem. L’endroit où nous prenons le petit-déjeuner dans l’hôtel est très beau mais nous attendrons plus d’une heure pour pouvoir déguster notre pain avec du beurre et de la confiture, et nos œufs brouillés. Pourtant ils sont cinq ce matin-là et semblent s’affairer… dans le vide. Une fois le petit-déjeuner dégusté, nous partons en direction du palais Azem. Il était fermé la veille et en Syrie actuellement on ne sait jamais si les lieux seront ouverts, beaucoup étant fermés en raison : de la guerre, de rénovations, ou bien du covid.

Par chance, le palais Azem est ouvert et notre visite ne nous décevra pas.

Nous visitons ensuite la petite mosquée Nour Al-Din. Il faut attendre l’heure de la prière pour pénétrer dans son enceinte, elle reste fermée le reste du temps.

Après une nouvelle balade, nous voulons à nouveau profiter de la vue du restaurant dans lequel nous avions bu une limonade la veille. Cette fois-ci nous sommes à l’intérieur mais la vue en vaut également complètement la peine. Hama est décidément un coup de cœur.

Nous faisons ensuite nos adieux aux norias et à la vieille ville avant de nous diriger vers l’hôtel où nous avons laissé nos sacs. Nous y croisons le gérant qui nous indique comment nous rendre à la gare routière pour prendre le bus en direction de notre prochaine destination : Homs.

Chronique syrienne #12 – Lattaquié

Après mon séjour à Tartous, je me dirige maintenant vers Lattaquié, toujours en compagnie de mon ami Maher. Nous quittons Tartous très tôt ce matin-là. Au départ, le plan est de prendre le train de 6h30 pour rejoindre Lattaquié en longeant la côte. Il y a seulement un train par jour et il paraît que la vue est imprenable sur la côte. Mais la gare est fermée, probablement à cause du Ramadan et des fêtes de Pâques. Nous nous dirigeons donc vers la gare routière. Le bus de 7h ne partira finalement qu’à 8h, il n’y a pas assez de passagers pour le premier et avec la crise du carburant qui touche le pays depuis des mois, on ne gaspille pas. Nous partons enfin et faisons le trajet jusqu’à Lattaquié entre mer et montagnes.

Au checkpoint à l’entrée de la ville, on me demande de descendre pour répondre à quelques questions. C’est normal, un contrôle de routine. Il y a très peu d’étranger actuellement en Syrie et encore mois d’étrangers qui peuvent voyager. Par exemple, toutes les personnes qui travaillent en ONG (et ils représentent 98% des étrangers en Syrie) doivent avoir une autorisation du ministre des Affaires étrangères pour voyager. Dans mon cas, je n’ai besoin d’aucune autorisation et je peux me promener à peu près partout. Du coup, j’en profite ! Mais cela explique bien évidemment l’étonnement des soldats et leur curiosité. On me demande donc mon nom, celui de ma mère et de mon père, ma nationalité, les raisons de ma venue à Lattaquié et dans quel hôtel je vais rester. Nous indiquons deux noms car je n’ai pas pu faire de réservation par téléphone. Les renseignements donnés, nous pouvons entrer dans la ville.

En arrivant au premier hôtel, qui disposait pourtant de chambres disponibles lorsque j’ai appelé la veille, celui-ci est tout à coup complet et en travaux. L’homme semble irrité par ma venue et pressé de me voir partir. J’ai beau lui expliquer que j’ai appelé la veille, que j’ai une carte de résidence, rien n’y fait, pas de chambre. Je comprendrai la raison le soir-même. Je me dirige donc vers le deuxième hôtel. Cette fois-ci, on me laisse prendre une chambre. L’hôtel n’est pas dans le meilleur des états, la douche n’a de l’eau chaude que quelques heures par jour (je vous avais dit que c’était un indicateur !) et la chambre donnant sur la rue est assez bruyante, mais je n’y serai que pour dormir, ça ira très bien.

Après avoir déposé nos affaires, nous prenons un taxi pour rejoindre un restaurant avec une vue imprenable sur la côte et la mer afin d’y prendre notre petit-déjeuner.

Après le petit-déjeuner, j’ai rendez-vous avec Ghaith et son ami Yazan qui vont nous emmener sur le site archéologique d’Ugarit. Je suis en contact avec Ghaith sur Instagram depuis plusieurs mois, il me partage souvent des photos des excursions et randonnées auxquelles il participe dans la région de Lattaquié. D’ailleurs, le lendemain nous avons tous prévu de participer à une randonnée dans les montagnes à Slunfeh. Mais pour l’heure, les garçons nous récupèrent en voiture devant le restaurant et nous partons tous ensemble pour Ugarit qui se situe à 15 minutes en voiture seulement du centre-ville.

Le site est complètement à l’abandon. C’est plus une visite d’une jungle que la visite d’un site archéologique.

Pour le moment, ce n’est pas la priorité du pays de prendre soin des sites archéologiques. Le pays fait face à une énorme crise économique et doit penser à la reconstruction du pays. Le petit site d’Ugarit n’est donc pas sur la liste des priorités.

Les garçons nous emmènent ensuite faire un petit tour sur la côte, admirer la vue puis visiter le (minuscule) centre-ville historique. Nous en profitons pour acheter des sucreries en cadeau à une amie de Maher à qui nous allons rendre visite. Après cela, nous rentrons nous reposer un peu à l’hôtel, le réveil à 5h ce matin commence à se faire sentir.

Après une bonne sieste, nous nous rejoignons dans le hall de l’hôtel avec Maher et nous retrouvons des amis à lui qui vivent à Lattaquié : Ghadeer et Salim. Au programme, nous allons nous promener en ville et en particulier dans la rue américaine où l’on peut trouver cette superbe maison qui est maintenant un magasin d’antiquités et de décoration.

Nous allons manger un bon burger puis je retrouve mon amie Shahd. Nous allons boire un café dans le café « Friends » qui reprend le décor de la célèbre série télé. L’ambiance y est un peu glauque. Je ne saurais expliquer pourquoi, la luminosité désagréable, un truc dans l’air, je ne sais pas. Shahd n’est pas très bien. On décide d’aller se promener sur la Corniche. Elle m’emmène vers un point célèbre de la Corniche, il fait nuit noire, nous sommes à peine éclairées par les basses lumières de la rue, les vagues frappent fort et nous nous perdons dans cette éternité. Shahd se confie. La nuit dernière, Israël a lourdement bombardé la campagne de Lattaquié. Ce n’est malheureusement pas inhabituel, Israël bombarde régulièrement Damas, principalement la région de l’aéroport, des bases et des entrepôts militaires ainsi que certains quartiers stratégiques. L’attaque d’Israël  l’a mise dans un état de nervosité intense. Elle n’en peut plus de ce climat, 10 ans de guerre, les attaques constantes des « voisins » comme on les appelle ici, la situation économique actuelle, le peu de perspectives. Elle veut partir, mais elle ne sait pas où pour le moment.

Nous passons un moment à discuter puis je rentrerai à l’hôtel après m’être battue avec Shahd pour payer le taxi. Peine perdue.

Le lendemain, le réveil sonne aussi de bonne heure. Nous avons rendez-vous avec Ghaith, Yazan et un (grand) groupe de personnes pour partir faire une randonnée à Slunfeh, dans les montagnes. Je ne suis pas très fan des excursions en grand nombre, surtout une randonnée car il faut suivre le rythme des uns et des autres, mais c’est aussi un bon moyen de rencontrer des gens mais aussi de pouvoir faire des activités qu’on ne ferait pas tout seul autrement.

Nous partons dons à 4 vans en direction de Slunfeh. La route est magnifique. Nous passons près du château de Salah el Din que je n’aurai pas l’occasion de visiter cette fois-ci.

Nous arrivons à destination pour le début de la randonnée. L’un des vans a été stoppé à un checkpoint et nous devons donc l’attendre pendant plus d’une heure. L’occasion de discuter avec les autres et de faire des rencontres, notamment avec Abir, une Syrienne qui a vécu longtemps en France et qui parle donc très bien français. Le feeling passe tout de suite et nous discutons un long moment. Une fois le dernier van arrivé, nous commençons la randonnée pour nous arrêter seulement une demi-heure plus tard : c’est déjà l’heure de la pause déjeuner… Ah ! Au Moyen-Orient, on ne plaisante pas avec les pauses. On sort les immenses théières que l’on placera sur un feu, les sandwichs, les incontournables chips et bien sûr… les chichas et la musique !! Si vous étiez venus pour un moment de tranquillité dans les montagnes, oubliez !

Après plus d’une heure de pause, nous repartons et nous découvrons ce lieu magnifique. Nous ferons au final 9 kilomètres dans ces montagnes sublimes. Au bout d’un moment je dépasse le groupe pour pouvoir me retrouver un peu seule, j’ai du mal à être avec trop de monde pendant un long moment, surtout dans la nature. Je profite de ces moments de tranquillité loin de tout.

Après la randonnée, nous rentrons à Lattaquié. Je dis au revoir à Maher qui rentre à Damas et je me fais un petit diner au resto solo après cette grosse journée. C’est la bonne fatigue de la randonnée, je mange ma salade et mon humus, lis quelques pages de mon livre puis je m’endors quasi instantanément.

Le lendemain, j’ai décidé d’aller faire un petit tour dans le centre-ville de Lattaquié. Il y a quelques églises que j’ai envie de voir. Il n’y a pas grand monde dans les rues, il faut chaud mais il y a un petit vent frais. Je déambule et découvre de belles petites rues puis visite la magnifique église latine.

Ensuite je continue mon tour de la ville avant de rejoindre Shahd pour un dernier café ensemble. Elle m’accompagne à la gare routière puis c’est le départ pour Damas.

Dans le bus, je sens bien que la personne à ma gauche de l’autre côté de l’allée a envie de me parler mais je ne le sens pas trop. C’est une jeune femme très bruyante assez blingbling et constamment au téléphone. Elle finit par m’adresser la parole pour me demander ce que je fais là, si je suis touriste ou non, d’où je viens. Quand je lui dis que je vis ici, elle me demande alors d’un ton dédaigneux « Mais comment ça se fait que tu ne parles pas arabe ? », ce à quoi je lui réponds en arabe que si, je parle arabe.

Sans que je lui demande, elle commence ensuite à me raconter sa vie. Qu’elle est syrienne mais qu’elle vit aux États-Unis depuis longtemps car elle s’est mariée avec un Américain. Elle me demande mon métier et si je gagne bien ma vie. Je lui réponds donc que je suis enseignante et que non, mon salaire est modeste. Elle me répond donc d’un air trèèèèèèès américain et encore une fois sans que je lui demande quoi que ce soit « Well, I’m a lawyer… So… » (avec un vocal fry digne de sa région d’adoption la Californie). Je tente désespérément de me sortir de cette conversation qui m’ennuie terriblement. Seuls mes écouteurs me sauveront de ce vide abyssal.

J’adore les trajets. En voiture, en bus ou en train, je ne m’en lasse pas. J’adore regarder les paysages défilés, mes musiques préférées dans les oreilles et laisser vagabonder mon esprit. C’est comme un long moment de méditation, je fais le point, je réfléchis, je contemple. C’est souvent un moment où j’avance dans mes réflexions, mon bloc-notes sur mon portable va ainsi se remplir de tout un tas de notes et de pensées. Une fois n’est pas coutume donc, pendant mon trajet retour vers Damas, je laisse mes pensées divaguer.

Et puis il y a ce sentiment de sérénité qui m’accompagne. Après quelques jours de bonheur à voyager et découvrir de nouvelles villes, de nouveaux paysages et de nouvelles personnes, je rentre à Damas, chez moi.

C’est la première fois que je rentre en bus à Damas. La gare routière est située en périphérie de la ville, à Douma, et cette partie de la ville a été complètement détruite pendant la guerre. La gare routière se trouve pourtant là, en plein milieu des ruines. Même si l’on sait que cette réalité existe bien évidemment dans différents endroits en Syrie, c’est toujours un choc intense de s’y retrouver confronté.

Mon américaine reloue finit par me donner son numéro (avec le nom de son mari américain you know) parce qu’on doit ABSOLUMENT aller danser ensemble. Heureusement elle ne m’a jamais appelée.

Pour pouvoir rejoindre le centre-ville, il faut prendre un taxi. Nous arrivons pile au moment de l’appel à la prière marquant la rupture du jeûne. Les chauffeurs de taxi sont donc en train de manger dans leur voiture. Je rencontre quelques personnes qui partent dans la même direction que moi et nous décidons de partager un taxi. Sur le trajet jusqu’à la maison, la différence avec la côte est saisissante : alors que dans les villes de Tartous et Lattaquié les rues étaient bondées à n’importe quelle heure de la journée sans exception, à Damas pendant le crépuscule, pas un chat dans les rues. Toutes les voitures sont arrêtées et tout le monde semble chez soi pour l’iftar.

Mon retour à Damas n’est que temporaire, la semaine prochaine je pars pour mon coup de cœur de ces derniers mois : Hama ! <3

Chronique syrienne #11 – Départ pour la côte syrienne

Près de trois mois que je n’ai pas écrit. Non pas parce que je n’en avais pas envie, mais tout simplement parce que je n’en ai pas eu le temps. Les derniers mois ont été bien chargés, tant au niveau personnel qu’au niveau professionnel. Le mois dernier particulièrement, j’avais planifié quelques escapades dans le pays. Récit.

Cela faisait un moment que j’avais envie de repartir à la découverte de nouveaux endroits en Syrie, mais mes plans avaient été à chaque fois contrariés : j’ai eu le covid en février pendant 3 semaines et une fois que j’ai été guérie, j’ai été extrêmement fatiguée tout le mois de mars. En avril, j’allais enfin mieux, mais une grave crise de carburant a littéralement immobilisé le pays : des gens se sont retrouvés coincés dans des villes, les transports entre villes étaient devenus hors de prix ainsi qu’à l’intérieur de Damas. Il y avait beaucoup moins de taxis que d’habitude et le peu qui circulaient avaient doublé leur prix. Ce n’était donc pas le moment de planifier un road trip, j’ai donc pris la fuite en Égypte pour les vacances de Pâques.

Finalement début mai, malgré le Ramadan, je décide de me lancer et de partir en voyage sur la côte syrienne dont j’entends parler depuis mon arrivée ici. Je devais au départ partir avec deux collègues qui ont toutes les deux annulé au dernier moment. Qu’à cela ne tienne, je partirai toute seule. La veille de mon départ, mon amie Nour me contacte pour me proposer d’aller boire un café avec un ami à elle qui est justement de Tartous, la première ville que je m’apprête à visiter. Il pourra ainsi me donner tout un tas de conseils et d’adresses. Nous nous rencontrons tous les trois dans un petit café d’Abo Romaneh que j’aime beaucoup : El café de casa. C’est le café où je passais mes matinées pendant les vacances de Noël. Je venais y prendre mon petit-déjeuner et écrire. Il y a de grandes baies vitrées qui donnent sur le parc d’en face. Je rencontre ainsi Maher. C’est un personnage haut en couleurs. Il est syrien, très fier de son pays et il vit mille aventures. Il adore voyager, découvrir de nouveaux endroits et rencontrer de nouvelles personnes, particulièrement des étrangers avec lesquels il pourra pratiquer toutes les langues étrangères qu’il connait ou apprend. Nous discutons, échangeons, rions. Il me donne des adresses d’endroits à visiter ainsi que des petites informations à savoir sur Tartous. Vers la fin de la soirée, il me demande avec qui je pars en voyage, je lui réponds donc que je pars seule. Il s’exclame alors que c’est réglé, il m’accompagne ! Me voici donc avec un nouveau compagnon de voyage que je connais à peine… Pourquoi pas ?

Le lendemain, j’embarque dans la voiture de mon collègue Louay qui part justement passer quelques jours au bord de la mer avec sa famille. Nous passons quelques heures ensemble le temps du trajet. J’en profite pour rencontrer son frère qui est en Syrie pour un mois, et ses parents avec qui je parlerai moins pendant le trajet mais que je prendrai le temps de connaitre plus tard. Sur le chemin, quelque chose me frappe. De Damas jusqu’à Homs, comme toujours, on traverse des zones désertiques, des zones rocheuses. Puis, une fois arrivés près de Homs, lorsque l’on bifurque à gauche pour rejoindre la côte, le paysage change radicalement : verdure, forêts… On est embarqués dans un tourbillon de vert, en quelques minutes à peine.

Nous nous rapprochons de Tartous, notre destination, et Louay me dépose devant mon hôtel avant de continuer sa route vers le sien. Je suis étonnée par la qualité de l’hôtel. Avec la guerre bien évidemment le tourisme a bien ralenti, même si certains Syriens continuent de voyager à l’intérieur du pays, et de nombreux hôtels sont tombés en décrépitude. Celui-ci n’est pas très cher mais est bien entretenu. Il y a une vue sur la Corniche, le mobilier est en bon état et la douche fonctionne ! (C’est souvent l’indicateur de l’état général d’un endroit !). Je pose mes affaires, m’installe rapidement, je somnole trente minutes sur le grand lit puis j’appelle Maher qui est lui aussi arrivé à Tartous pour lui proposer de se rejoindre au restaurant que l’on m’a conseillé : Galaxy. Il me dit qu’il est en fait près de l’hôtel et qu’il me rejoint pour qu’on y aille ensemble. Nous nous retrouvons donc dans le hall puis marchons sur la Corniche pour aller au restaurant qui se trouve à dix minutes de là. Nous nous installons sur la terrasse, au bord de la mer. Nous mangeons de la nourriture syrienne traditionnelle, très bonne, et nous passons un bon moment à discuter et admirer la vue.

Un peu plus tard, Maher nous a organisé une petite excursion. Son ami Ghadeer vient nous chercher en voiture et nous emmène sur un petit site archéologique : Amrit. Maher rêve d’y aller depuis longtemps et il m’embarque dans son aventure. Ghadeer arrive donc devant l’hôtel et nous partons vers le sud de Tartous. Le site n’est pas très loin mais il va nous falloir plusieurs aller-retours et questionnements aux habitants avant de trouver. Le site est en fait réparti sur plusieurs endroits. Le premier que nous trouvons est la nécropole. A l’entrée du site, il y a un groupe de personnes qui font un pique-nique. L’endroit est magnifique. Tout autour, les arbres et la végétation. Mais à y bien regarder, il y a aussi l’armée, de nombreux tanks entourent en fait le lieu.

Nous nous dirigeons ensuite vers la deuxième partie du site, le temple. Nous garons la voiture juste avant la barrière et continuons ensuite à pied quelques minutes. Avant de rejoindre le site, on passe devant une petite maison et une ferme. Les chiens nous attendent patiemment et viennent nous saluer, heureux de recevoir de la visite. On ne dirait pas que juste derrière cette ferme se trouve un site archéologique vieux de plus de 2500 ans.

Nous passons un bon moment à nous promener dans le passé dans cette bulle d’histoire et de beauté puis nous retournons à notre présent. Nous retournons dans le centre-ville, les garçons ont décidé de me faire faire un petit tour de la ville en voiture. Nous passons devant les établissements scolaires respectifs des garçons, le quartier de la famille de Ghadeer, celui de la famille de Maher, les églises, les mosquées, le fleuriste le plus connu de la ville, la gare, etc. Les garçons ont ensuite envie d’un jus de fruit bien frais. C’est le Ramadan et la rupture du jeûne n’a pas eu lieu mais sur la côte, le Ramadan est beaucoup moins pratiqué. Les cafés et restaurants sont bondés. Personne ne se « cache » pour manger, pas même dans la rue. Ça change de Damas. Ça change aussi du Caire où j’étais au début du Ramadan. Au Caire, l’ambiance du Ramadan est beaucoup plus traditionnelle, l’ambiance change totalement. On ne peut manger ou boire que dans les cafés ou restaurants dits « modernes ». Quelques cafés traditionnels restent ouverts mais derrière de grands rideaux pour se cacher de la rue. J’observerai le même phénomène sur toute la côte pendant mon voyage concernant le Ramadan, cela s’expliquerait par le fait que la côte est peuplée majoritairement d’Alaouites, une branche de l’Islam considérée comme moins « pratiquante ». Généralement les Alaouites boivent de l’alcool et ne pratiquent pas le Ramadan par exemple.

Retour à Tartous. Après notre jus frais, nous rejoignons la Corniche pour nous promener puis profiter du spectacle exceptionnel que nous offre le ciel ce soir-là avec un coucher de soleil majestueux.

Nous passons un long moment à admirer ce ciel et les variations de ses couleurs. J’aime ces moments d’éternité face à la beauté du monde. Nous ne sommes rien face à sa puissance. Et autour de moi, c’est un autre monde. Des amoureux qui discutent, un homme qui pêche.

Je finis par m’extirper de ce théâtre une fois les couleurs disparues dans le ciel, je quitte les garçons pour faire quelques courses avant de retourner à l’hôtel. Après quelques chapitres de mon livre, je m’endors dans un sommeil profond, des images déjà plein la tête.

Le lendemain matin, j’avais prévu de prendre mon petit-déjeuner sur le balcon de ma chambre d’hôtel. La veille au soir, j’avais acheté des petits pains au chocolat (rien à voir avec ceux de France, quand on vit au Moyen-Orient, on peut faire une croix dessus) et ce matin-là, j’ai commandé un cappuccino pour accompagner mes petits pains au chocolat. J’ai profité de chaque seconde de ce moment : mes petits pains au chocolat, mon cappuccino et la vue sur la mer. De vraies vacances.

Maher et Ghadeer me rejoignent ensuite dans le hall de l’hôtel. Notre programme aujourd’hui est d’aller visiter l’île d’Arwad, à une demi-heure en bateau de Tartous. Nous nous rendons donc au port. Petit passage obligé par la cabine militaire pour prendre mon numéro de passeport et poser quelques questions (Je viens d’où ? Je fais quoi ici ? je bosse aux Nations Unies ? Ah bon professeure ? et je reste combien de temps ?).

Nous attendons un long moment sur le bateau avant de partir. A un moment-donné, une femme monte sur le bateau avec une pancarte sur lequel il est écrit quelque chose en arabe. Elle demande aux gens sur le bateau de poser avec cette pancarte, c’est en fait un appel au vote, les élections ont lieu dans quelques semaines.

Nous finissons par partir et c’est une épopée à travers les vagues qui nous attend en réalité pour cette traversée. Plusieurs fois j’ai l’impression que le bateau va se retourner tant nous sautons par-dessus les vagues et tremblons.

Nous arrivons ensuite sur l’île d’Arwad et je découvre un tout autre monde. C’est une petite île, décrite par les habitants de Tartous comme plus traditionnelle car composée majoritairement par des musulmans sunnites. En effet, ici, nous retrouvons l’aspect traditionnel du Ramadan, les cafés et restaurants sont fermés et personne ne mange dans la rue.

Le lieu est magnifique, il y a une petite ambiance grecque avec les murs peints en bleu et blanc et la chaleur qui tape sur nos têtes. Nous nous promenons dans les ruelles jusqu’à rejoindre la Citadelle.

La Citadelle surplombe toute l’île. Elle crée un beau mélange de matières et de couleurs entre le doré de ses pierres et le blanc éclatant des maisons autour.

Mais un sombre passé ressurgit. La Citadelle fut utilisée comme une prison par les Français pendant l’Occupation de la Syrie. Notre passé colonial et barbare semble entacher chaque recoin du Moyen-Orient. Il me fait si honte. C’est pour ça que j’ai une telle fascination pour Salah El Din qui s’est dressé avec une telle force contre les Occidentaux. J’aime à croire que si j’avais vécu à son époque, j’aurais aussi rejoint le camp des Arabes et, comme je pense que ce fut le cas dans une autre vie, aurait été l’une des femmes de ce grand guerrier ! Haha.

Nous nous promenons ensuite dans un autre coin de l’île : là où sont construits les nombreux bateaux de pêcheurs. L’endroit est contrasté. Il y a à la fois les couleurs éclatantes et artistiques du lieu, et, juste aux pieds de ses couleurs, la triste réalité de l’île : une pollution écœurante qui noie tout. L’île n’a pas de système de traitement des déchets et refuse, à priori, selon les habitants de Tartous, d’en mettre un en place comme l’aurait proposé le gouvernement. Du coup les déchets sont jetés par terre ou directement dans la mer.

Nous finissons par quitter l’île quelques heures plus tard et revenir à Tartous. Le trajet retour est beaucoup moins mouvementé et, comme tous les trajets retours, passe beaucoup plus vite. Ghadeer doit alors nous quitter pour aller à son cours d’allemand, et Maher et moi nous dirigeons de nouveau vers le restaurant Galaxy pour un bon repas. C’est le milieu de l’après-midi, il fait très chaud. Nous avons pour plan de visiter la vieille ville mais nous attendons qu’il fasse moins chaud. Ça tombe bien, ce sera alors la golden hour pour profiter de la vieille ville. Nous nous y rendons donc vers 17h30/18h. La vieille ville est magnifique, pleine de petits recoins, de linges pendus aux fils, d’hommes au café qui attendent l’iftar (la rupture du jeûne) et d’enfants qui jouent sur la place. Apparemment elle ressemble beaucoup à Byblos au Liban mais est beaucoup moins connue.

Après tout cela et même si je commence à sentir cette journée de visites peser dans mes jambes, une belle soirée m’attend. Je suis invitée chez la famille de Louay, mon collègue qui passe aussi ses vacances à Tartous en famille et qui m’a amenée en voiture. Grégory, mon collègue d’histoire-géographie, est arrivé à Tartous lui aussi et il est donc aussi de la partie. Louay vient nous récupérer à notre hôtel et nous nous dirigeons vers l’hôtel où lui et sa famille logent. Sa famille nous a préparé un festin : du poisson frais, du riz, de la salade, du hummus et du labneh bien sûr, et bien d’autres choses. Je profite de ce moment pour parler plus avec ses parents avec qui je n’avais pas eu l’occasion de parler dans la voiture. C’est aussi l’occasion de pratiquer mon arabe car ses parents ne parlent pas anglais. J’entame une discussion sur l’histoire du monde arabe avec le père de Louay, l’Égypte, la Syrie et la Palestine plus particulièrement. C’est un de mes sujets préférés…

Après le repas, Louay, Grégory et moi nous installons sur le balcon. Il fait bon, la mer se confond avec le ciel dans l’obscurité de la nuit. On distingue quelques étoiles. Nous passons un long moment à discuter de choses et d’autres, à rire. C’est un de ces moments suspendus dans le temps, ces moments précieux que l’on partage entre amis.

Quelques heures plus tard, Louay nous ramène à notre hôtel et nous nous disons au revoir.

En effet, le lendemain je quitterai Tartous pour aller vers le nord à Lattaquié où de nouvelles aventures m’attendent. A la semaine prochaine pour la suite de ce voyage sur la côte !

 

Lecture #10 – Abd El Kader, l’harmonie des contraires

Quelle est votre dernière lecture ratée ? La mienne, c’est celle-ci. J’attendais depuis un moment de pouvoir me plonger dans ce livre traitant comme son nom l’indique, d’Abd El Kader, haut personnage historique algérien qui a également vécu et est d’ailleurs mort à Damas.

Malheureusement, le livre n’est pas bien structuré, il n’est ni chronologique, ni vraiment thématique. On ne sait pas trop où veut en venir l’auteur qui fait des allers-retours entre différentes périodes de la vie du personnage, sans vraiment de logique – en tout cas elle ne m’est pas apparue – et manque de creuser sa personnalité et les évènements de sa vie.

Je suis donc ressortie de la lecture de ce livre avec un goût d’inachevé et ma quête d’un nouveau livre sur Abd El Kader a repris !
Si jamais vous avez un (bon) conseil…

Lecture #9 – Léon l’Africain

Cela faisait un moment que l’on me conseillait de lire « Léon l’Africain ». Pourtant férue de littérature arabe, je ne connais que peu l’œuvre d’Amin Maalouf. J’ai lu l’année dernière « Origines » où il explore son histoire familiale, mais il me semble bien que c’est le seul de ses livres que j’ai lu.

« Léon l’Africain » est une biographie romancée d’un homme au destin extraordinaire. Le vent de sa vie l’emmènera vers différents horizons géographiques, professionnels mais aussi personnels. Une vie riche d’aventures et de rencontres au Maroc, en Égypte puis en Italie.

Ce livre m’a évidemment énormément touchée. J’ai aimé suivre les pérégrinations de cet homme qui s’est laissé porter par les aléas de la vie et qui a su en tirer parti. J’ai aimé le voir évoluer, repartir de zéro plusieurs fois au cours de sa vie, délaisser le confort, dire adieu maintes fois à famille et amis.

J’y ai retrouvé un peu de ma vie. Même si je ne peux bien évidemment pas comparer mon parcours au sien, j’ai parfois l’impression d’avoir déjà eu 10 vies et j’aime cette richesse que me procurent toutes ces aventures.

Je vous le recommande donc fortement. Ouvrez ce livre et embarquez au côté de Léon l’Africain !

Lecture #8 – Chicago

Parmi les livres d’Alaa el Aswany que je n’avais pas encore lus, il restait celui-ci « Chicago ». C’est désormais chose faite depuis que je l’ai trouvé sur les rayons du CDI du collège où je suis enseignante.

Comme à son habitude, Alaa El Aswany dresse le portrait d’une série de personnages. Pourtant cette fois-ci, l’auteur nous emporte loin de son cadre habituel, l’Égypte, et plus particulièrement Le Caire, pour nous emmener dans la communauté égyptienne de Chicago.

À travers ses personnages, l’écrivain explore la problématique de l’intégration. Il y a ceux qui, pour mieux s’intégrer, dénigrent leur propre communauté et leur propre culture, ceux qui, à l’inverse, trop bousculés par la culture d’accueil, la rejettent pour se replier sur eux-mêmes, ceux qui trouvent un entre-deux, et les autres…

Tous nous plongent à travers une réflexion sur l’intégration, l’assimilation, le racisme et la perception de l’autre.

Comme toujours, la plume d’Alaa El Aswany m’a emportée dans son univers, m’a fait aimer ou détester ses personnages, m’emporter avec ou contre eux, être triste ou heureux pour eux. Et même si la bulle cairote habituelle de ses romans m’a un peu manqué, j’ai trouvé le pari d’en sortir réussi.

Je recommande donc chaudement !

Les belles personnes #3 – Sara, du Caire à la Mecque… à vélo !

En ce 8 mars 2021, journée internationale de lutte pour le droit des femmes, j’ai eu envie de vous partager le portrait d’une femme qui m’inspire.

Fin 2019, juste avant la pandémie, Sara, 32 ans, tunisienne, vivant au Caire, entreprend un voyage d’environ deux mois seule et à vélo. Elle part du Caire le 1er novembre 2019 et traverse l’Égypte, le Soudan puis prend le ferry pour l’Arabie Saoudite avant de pédaler ses derniers kilomètres pour arriver à son but final : La Mecque, le 24 décembre.

J’ai découvert Sara grâce à Instagram, et confortablement installée dans mon appartement cairote, je prenais un réel plaisir à la suivre au fur et à mesure de son avancée à travers ce voyage pas comme les autres.

Je l’ai contactée et ai découvert une personne simple, sensible et humble. J’ai eu envie de vous partager le voyage mais aussi la belle personnalité de cette voyageuse.

Nous avons fait cette petite interview à distance, j’ai envoyé mes questions puis Sarah m’a répondu par vocaux, ce qui explique parfois un petit manque de fluidité.

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Sara, j’avais 32 ans au moment du voyage, j’en ai 33 aujourd’hui. Je suis éducatrice Montessori et traductrice. En Égypte j’occupais les deux fonctions et depuis la crise Corona et depuis le voyage je ne fais que la traduction pour le moment avant de pouvoir reprendre, Inshallah, mon activité principale.

D’où t’es venue l’idée de ce voyage ?

L’idée du voyage existe depuis très longtemps, c’est un rêve, celui de pouvoir partir à pied avec un âne qui m’accompagne. Du fait de la législation de l’époque, j’attendais de me marier pour pouvoir le faire puisque l’Arabie Saoudite n’autorisait pas de voyager sans tuteur. Le tuteur est quelqu’un de ta famille, ton père, ton frère ou ton mari. Donc c‘était la condition pour un éventuel mariage mais je ne me suis pas mariée et entre temps je me suis mise aussi à faire du vélo dans mon quotidien et à chaque fois je m’imaginais « Tiens, et si j’allais plus loin que juste Le Caire ? ». Et quand il y a eu un premier appel d’offre d’une marque du Sud de la France qui a fait un appel à projet, je savais que je n’allais pas être prise car je ne correspondais à aucun critère, mais ça m’a obligée à formaliser mon projet et du coup à lui donner une idée plus concrète que ce qu’il était puisqu’avant c’était juste un rêve. Et le fait de formaliser tout ça, ça m’a motivée, ça m’a permis de voir les différentes routes que je pouvais prendre, d’étudier la question du visa pour l’Arabie Saoudite, et à ce moment-là, il y avait cette faille en fait dans le système où tu pouvais avoir un visa en tant que femme seule si tu partais pour la formule E par exemple (*c’est un visa pour les évènements sportifs et culturels). Je me suis dit je vais-je transformer en femme de formule E comme ça je vais pouvoir y aller. Ensuite il y a eu l’appel d’offre de Riverside Décathlon auquel j’ai participé et j’ai été accepté donc on m’a donné un vélo pour le temps de mon voyage. A partir de là, il n’était plus question de retourner en arrière et je suis donc passée de la formalisation à la concrétisation, à choisir un tracé particulier, à déposer des dossiers pour le visa. J’ai vraiment galéré pour l’Arabie Saoudite mais j’ai eu de la chance, un mois avant mon départ l’Arabie Saoudite a ouvert le visa touristique donc ça m’a sauvée et je n’ai pas eu de difficultés en amont. J’ai eu des difficultés avant ça mais à partir de là ça s’est fait très vite et sur internet sans même avoir à se déplacer.

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Etais-tu déjà une grande cycliste avant ce projet ? Avais-tu déjà fait des voyages à vélo ?

Je n’étais pas une grande cycliste du tout avant ce projet donc ce qu’il s’est passé c’est que j’avais un ami en Égypte qui est parti étudier en Allemagne et qui m’a laissé son vélo et j’ai fait de ce vélo à partir de ce moment-là un compagnon du quotidien. Ce n’était pas évident au départ du fait de la circulation au Caire, et je pense que j’étais également très attachée au regard des gens et je pense que justement le vélo m’a permis de m’en détacher. Et à partir du moment où j’ai réussi à m’imposer dans les rues du Caire face aux motos, aux voitures, aux bus, aux microbus, et une fois que j’ai accepté de me prendre toute la fumée d’un car devant moi, ça a ajouté beaucoup d’adrénaline dans ma vie et ça m’a aussi fait regarder Le Caire d’un autre œil. Je me souviens que quand j’étais dans le bus et que j’en pouvais plus des embouteillages, des fois on était bloqués pendant une heure ou deux, j’étais trop fière à vélo de pouvoir éviter tout ça. Le vélo ça m’a vraiment fait aimer encore plus Le Caire je pense.

Comment t’es-tu préparée pour ce voyage ?

Pour la préparation du voyage, c’était vraiment au niveau administratif dans un premier temps pour voir la faisabilité de mon projet, même si en ayant les visas je n’étais pas sûre de la faisabilité de mon projet, mais je partais avec l’idée en tête qu’à tout moment je pouvais m’arrêter, du fait de la situation du pays ou du fait que je suis une femme seule à vélo, ou du fait de mon corps aussi parce que je n’avais aucune idée de ce dont mon corps était capable, des distances que mon corps pouvait parcourir à vélo. Donc dans un premier temps c’était une préparation administrative, après pour la préparation de l’itinéraire, c’était plus encore une fois en terme de faisabilité, essayer d’imaginer le terrain, et de savoir de combien d’eau j’ai besoin de telle place à telle place, autant en Egypte c’était simple parce que tu as beaucoup de villes, donc tu trouves toujours où te réapprovisionner en eau, mais au Soudan c’était plus compliqué, mais aussi pour la partie désertique en Egypte entre Assouan et Abu Simbel, je me suis renseignée auprès de gens qui ont fait le voyage vers l’Afrique du Sud et qui avec qui ont partagé (les informations sur) une portion de route mais après moi je suis remontée au niveau du Soudan donc j’avais pas beaucoup d’informations. Mais en tout cas jusqu’à Khartoum (*capitale du Soudan), j’ai pu avoir des informations donc je me suis renseignée auprès de voyageurs qui l’avaient fait avant moi. Ensuite il y a aussi eu une préparation au niveau de la famille, de petit à petit annoncer la couleur de ce voyage tout en prenant mes précautions pour pas les brusquer. Au niveau du matériel aussi, j’ai eu le vélo mais il a fallu l’équiper donc j’ai vu au niveau de ce que j’avais déjà parce que je faisais de la randonnée, et j’ai aussi vu avec mon frère parce qu’il avait déjà fait un petit voyage de trois jours donc il avait les sacoches, et j’ai aussi acheté des choses. Après pour la préparation sportive, j’ai arrêté de faire de la boxe car j’avais peur de me blesser et j’ai fait ce que je n’ai jamais fait, c’est-à-dire qu’un mois avant le voyage, je me suis inscrite dans une salle de sport pour travailler mes membres inférieurs. C’était la première fois que je m’inscrivais dans une salle de sport et l’idée était vraiment de muscler mes jambes parce que je me suis dit que ce que j’allais leur demander allait être prenant. Mais au final ça n’a rien à voir, si tu fais deux heures de sport, de muscu en salle, ça n’a rien à voir avec l’effort que tu fournis en pédalant tous les jours toute la journée.

 

Quelles étaient tes appréhensions avant de partir ?

Je pense que je n’avais pas d’appréhensions mais qu’à un moment je me suis laissée absorber par la crainte des autres, de gens qui m’aiment ou qui ne m’aiment pas mais la crainte de membres de ma famille, d’amis, la crainte du bawab (*sorte de gardien d’immeuble en Égypte), quand je lui ai dit que je partais, il était dans tous ses états, je lui ai seulement dit que je partais à vélo jusqu’à Assouan et pas jusqu’à la Mecque, mais il était dans tous ses états en me disant que les gens sont mauvais, qu’il allait m’arriver plein de mauvaises choses, etc. Et je pense que du coup j’ai porté toutes ces appréhensions, surtout au moment du départ. Je pense que ça a été le moment le plus dur psychologiquement lorsque j’ai dû sortir de chez moi et laisser les clés, laisser l’appartement dans lequel j’ai vécu toutes ces années et laisser le connu et le confort pour aller vers l’inconnu. A partir de là, à partir du moment où je prends la route par contre il n’y a plus d’appréhensions. Mais à chaque fois que je rencontrais quelqu’un, ils me disaient « Non mais tant que tu es là ça va, mais après tu vas voir » et ils mettaient tous leurs à priori qu’ils pouvaient avoir sur les peuples qui arrivent après eux. Mais une fois que je suis sur la route et que le mouvement s’installe, tout disparait.

La plus grande appréhension, je pense que ça a été de me dire que je n’allais pas pouvoir entrer en Arabie Saoudite à vélo puis à la Mecque à vélo. Mais en vrai, plus j’avançais, plus je me disais que c’était possible et que même si c’était pas possible, tout ce qui avait été parcouru me suffisait, en terme de tout ce que j’ai pu apprendre, en terme spirituel aussi ce voyage m’a beaucoup apporté.

Qu’est-ce qui t’a surprise pendant le voyage ?

Ce qui m’a surprise pendant le voyage, c’est que justement je n’ai pas retrouvé les préjugés que je pouvais entendre avant de partir. C’était « Les gens ne vont pas accepter qu’une femme seule voyage », c’est vrai que je connais l’Égypte et que je savais que les gens allaient accepter, mais je ne savais pas du tout ce que ça allait donner avec le vélo. « Sara la culture du vélo les gens ne vont pas comprendre. Là ça va t’es au Caire mais à partir du moment où tu vas arriver dans le Saïd, les gens ne vont pas comprendre ». Bref, des idées de ce type. Du coup j’ai été surprise du fait que, même si tout le monde ne comprenait pas ce que je faisais, en passant du temps avec eux ils se rendaient compte que j’étais une personne normale, c’est juste que j’étais à vélo (rires). Mais moi ce qui m’a surprise, c’est pas ça, c’est de rencontrer plein de cyclistes tout au long du voyage dans les trois pays donc l’Égypte, le Soudan et l’Arabie Saoudite, et des filles cyclistes dans ces trois pays. Et ce qui m’a surprise c’est que j’ai eu aucune difficulté à faire du vélo seule en Arabie Saoudite. La seule difficulté que j’ai eue, ça a été pour faire rentrer le vélo (en Arabie Saoudite) car j’étais le premier cas de figure de personne qui entrait en Arabie Saoudite par le Soudan avec un visa touristique et en plus avec un vélo. Donc c’était plus un souci administratif. Et après ça en Arabie Saoudite, j’ai été confrontée dès le départ à rouler de nuit, j’appréhendais mais ça s’est très bien passé. Après il y a eu le voyage vers la Mecque, j’appréhendais beaucoup et j’attendais à tout moment de me faire arrêter, et je me suis fait arrêter mais une fois que j’ai dit d’où je venais, j’ai été accueillie avec les plus beaux mots qu’une personne puisse espérer et pour moi c’était vraiment de l’ordre de l’inattendu en fait.

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Qu’as-tu ressenti quand tu es arrivée à la Mecque ?

En arrivant à la Mecque… Quand je disais que c’est de l’ordre de l’inattendu… Alors vingt kilomètres avant d’arriver à la Mecque, tu as le checkpoint qui permet de laisser rentrer les musulmans et d’inviter les non-musulmans à prendre une autre route (*l’accès à la Mecque est interdit aux non-musulmans), moi j’étais persuadées que j’allais être arrêtée et que le voyage allait se terminer là. Je me demandais juste comment ça allait se passer une fois qu’ils allaient me demander de descendre de vélo. Par contre, ce qu’il s’est passé c’est que le policier m’arrête et il me dit « Wesh » et je lui ai dit « Wesh », il m’a dit « Wesh », je lui ai dit « Wesh », bref on a fait le ping-pong de wesh jusqu’à ce qu’il me demande où je vais donc je lui dis « A la Mecque », il me dit « Comme ça ? » en montrant mon vélo, je lui dis « Oui comme ça » du coup il me demande d’où je viens, et là pour la première fois je lui dis où je vais vraiment parce que jusqu’à présent je disais la ville d’où je venais juste avant et la ville où j’allais juste après mais je ne disais pas forcément ma destination finale ni d’où je venais. Donc je lui dit « Le Caire » et là il dit à son collègue « Tu peux pas l’arrêter », donc son collègue rentre à l’intérieur et là je me dis que c’est foutu, qu’il va appeler les flics, le grand patron et c’est fini. Sauf qu’il sort avec des bouteilles d’eau et qu’il me dit « Tu as illuminé la ville de la Mecque » et ce qu’il s’est passé c’est qu’après sur les vingt kilomètres qu’il restait, je me suis fait arrêter de nouveau et à chaque fois que je me faisais arrêter, j’avais trop peur que ce soit la fin, donc à chaque fois on me demandait de m’arrêter, il y avait des voitures qui arrivaient et je me disais « Ca y est, le grand boss est au courant et ils viennent pour m’arrêter ». Moi je voulais seulement gagner des kilomètres, je me disais « Allez tu es à 12 kilomètres de la Mecque, 10 kilomètres de la Mecque… » et à chaque fois ils bloquaient le passage pour que je m’arrête mais au contraire, c’était pour me donner de l’eau, des sandwichs. Et je suis arrivée à la Mecque avec plein d’eau et à la fin quand je suis arrivée dans la ville de la Mecque, vu que c’était le vendredi, la ville était vide et il n’y avait que la police qui tournait. Et à un moment, la police s’arrête et ils me disent « T’as l’air perdue. » et je leur dis « Oui en fait je ne sais pas comment rejoindre l’hôtel. » dont ils me disent « On ne peut pas t’aider, est-ce que tu sais s’il y a un endroit à côté ? », j’ai dit « je ne pourrais y aller que depuis l’esplanade en fait, la grande esplanade qui donne accès à la Ka’ba. » Et il me dit « ben vas-y » donc je lui demande si je peux y aller comme ça et il me dit que oui. Et moi je ne m’imaginais même pas en fait, pour moi j’allais aller à la Mecque, j’allais arriver à l’hôtel et après j’allais continuer à pied. Je ne m’imaginais pas arriver sur l’esplanade avec mon vélo, c’était juste inimaginable. Du coup il m’a dit « Oui tu peux y aller comme ça, c’est ta ville, cette ville est la tienne. » Donc je continue à faire du vélo et là il y a la sortie de la prière, donc t’as tous les pèlerins et les gens qui faisaient la prière qui sortent. Donc petit à petit je me rends compte que je ne peux plus pédaler donc je descends de mon vélo et je pousse le vélo et je sens que je me rapproche en fait, je me mets à voir toutes les images que j’avais vues de la Mecque avec tous ces pèlerins et j’étais dans cette foule mais avec mon vélo qui m’avait accompagné pendant ces deux mois et du coup j’avais du mal à y croire. Et plus j’approchais du centre, plus mon cœur se centrait. Et quand je suis arrivée à l’esplanade, sûrement que j’étais émue, mais j’étais pas émue d’être arrivée, je pensais à tous ces gens qui ont fait que ce voyage était possible et je me rendais compte qu’en fait je n’ai rien fait, en vrai j’ai rien fait, c’est Dieu qui m’a accompagnée jusqu’à cet endroit parce que mes membres n’auraient jamais pu le faire et c’est toutes ces personnes rencontrées qui ont fait que mon cœur a tenu et que mon cœur s’est rempli et qu’il a grandi pour arriver en fait. Donc ce que j’ai ressenti c’était beaucoup de gratitude envers Allah et énormément de gratitude envers toutes ces personnes qui ont été mises sur mon chemin et que j’avais l’impression d’avoir avec moi dans mon cœur sur l’esplanade à ce moment-là et du coup je me sentais plusieurs, je ne me sentais pas seule et c’était ça souvent aussi pendant le voyage. Mais à ce moment-là c’est un moment que j’ai vécu seule mais j’avais l’impression d’être accompagnée par tous ces gens qui m’ont demandé de faire des dou’as (*prières) une fois arrivée sur place.

A-t-il été difficile d’entrer à la Mecque en étant une femme seule ?

Je pense que ça a été difficile du fait de mes appréhensions mais dans les faits ça n’a pas été difficile, au contraire, ça a été vraiment facilité. Le seul détail que j’ai oublié de mentionner c’est que quand je lui dis que je viens du Caire et que je suis passée par le Soudan, il me dit « Mais ça fait combien de temps que tu es sur la route ? » donc là je lui dis que ça fait un peu moins de deux mois, et c’est là que son collègue lui dit « Cette femme tu ne peux pas l’arrêter. »

Un moment particulier (ou plusieurs !) qui t’a / t’ont marquée ? (J’imagine qu’il y en a beaucoup !)

Les moments qui m’ont marquée, alors il y a ce passage par le checkpoint, pas l’entrée dans la ville mais surtout le passage au checkpoint donc ce moment inattendu. Y a eu je pense le départ avec le bawab qui me bloque le passage et moi qui force le passage et je m’en suis voulue pendant tout le voyage, et lui qui m’appelle tous les jours jusqu’à ce que j’arrive à Assouan, non d’ailleurs à Assouan il ne m’a pas appelée, il m’a appelé tous les jours mais quand je suis arrivée à Assouan, c’est moi qui l’ai appelé pour lui dire « C’est bon tu peux dormir sur tes deux oreilles, je suis arrivée à Assouan » parce que lui croyait que je terminais mon voyage à Assouan. Mais oui je m’en suis beaucoup voulue d’avoir forcé le passage et c’est une image qui revenait souvent pendant le voyage. Après les moments qui m’ont marquée c’est par exemple, après Khartoum je suis remontée dans le Nord et je n’avais aucune information et aussi tu n’as pas de point d’eau comme depuis l’Egypte jusqu’à Khartoum et surtout il y a beaucoup de montées et moi je ne suis pas une grande sportive du coup le trajet que je pensais faire en 4 jours a pris deux semaines, à peu près ou je crois que c’est 10 jours, mais du coup j’ai manqué en eau. Et en fait, quand j’ai manqué en eau, un camion passe et m’envoie une bouteille d’eau. Quand j’ai manqué en nourriture, je me suis arrêtée dans un poste de police et en partant le monsieur va me donner une pastèque, un ambulancier va s’arrêter en plein milieu de (rires) de la montagne et me donner des dattes.

Ces moments m’ont marquée, après y a aussi des personnes qui m’ont marquée, y a notamment quand je suis tombée malade, et que j’étais vraiment au sol et que ça y est c’était la fin de ma vie, y a un homme qui vient accompagné de femmes mais j’arrive pas à voir qui c’est en fait je suis tellement évanouie, dans les vapes, et ils me proposent de partir avec eux dans leur village et du coup je dis « Non, non, non » car je ne voulais pas abuser de l’hospitalité des gens, je sais pas quel est leur niveau de vie, j’ai vraiment pas envie de leur manger le bout de banane qu’ils vont manger. Bref, sauf qu’ils sont revenus plusieurs fois et la dernière fois il m’a dit « Là c’est la troisième fois qu’on vient », parce que moi je disais « Je vais avancer, je vais avancer ! Je vais repartir, je vais repartir ! ». Il m’a dit « Tu vas aller nulle part, tu te lèves et tu nous suis. », sauf que j’étais incapable de les suivre, enfin j’ai commencé à rouler mais j’étais dans les vapes, c’était une catastrophe. L’homme en question a vu ça depuis son rétroviseur, il est descendu, il m’a dit « Tiens, toi tu conduis. » et du coup il a roulé à vélo devant moi et en fait, j’étais pliée de douleur, j’avais mal, j’étais dans les vapes, mais je me sentais l’obligation de (rires) d’être vivante dans la voiture en accompagnant, du coup j’étais avec les femmes, et je me rappelle je sais même pas ce que je racontais, je parlais juste pour parler, pour essayer d’exprimer ma gratitude et en même temps dans ma tête je voyais l’homme que je suivais, donc d’un côté je voyais rien parce que j’étais fatiguée et que j’étais pas bien et d’un côté je voyais tout (rires) et j’étais là « Wow subhanallah », parfois sur ton chemin tu as vraiment les personnes qu’il faut au bon moment. Y a ça, y a aussi cette femme, donc je voulais faire mes grandes ablutions et j’avais vraiment besoin de me doucher à ce moment-là, mon cycle menstruel a été complètement déréglé pendant le voyage et je me suis retrouvée à avoir mes règles deux fois par mois et vu que j’ai des règles douloureuses et que ça me prend énormément d’énergie, j’essayais de faire en sorte d’être dans une ville les deux premiers jours, sauf qu’avec cette surprise de deux fois mes règles par mois, ça me prenait au hasard et donc dans ce trajet de 10 jours qui s’est étendu je les ai eues de nouveau, c’était pas prévu et sauf que j’étais au milieu de nulle part et du coup je me rappelle je me suis dit qu’il me fallait absolument une cafeteria, je savais très bien que ça allait être des hommes qui allaient être dans la cafeteria et j’ai dit « Sara, tu prends ton courage à deux mains, tu leur expliques la situation et tu leur dis que tu veux juste un seau d’eau. » Et faut savoir que moi (rires) pendant longtemps c’était ma sœur qui m’achetait mes protections hygiéniques parce que je n’assumais pas. Du coup j’essayais de faire un travail sur moi-même parce que… j’espérais déjà voir une cafeteria parce que ça faisait 3 jours que j’avais pas vu de cafeteria, que j’avais rien vu du tout mais j’espérais et du coup je me disais « Voilà, tu vas te préparer à expliquer la situation à l’homme en question. ». Et là ça a duré un moment (rires) genre sur les coups de midi y a une cafeteria qui sort de nulle part. En fait y a une sorte de maison, et je m’approche, je rentre et là y a une femme donc je me dis très bien, ça doit être la femme qui fait le thé ou quoi et avant que le gérant arrive je vais aller lui dire en cachette. Sauf qu’en fait cette femme était la gérante et au milieu de nulle part, elle gérait toute une cafeteria seule et pour moi c’était une grande bénédiction de la rencontrer (rires). Donc je lui ai expliqué la situation, elle m’a chauffé de l’eau, elle m’a ramené un grand plateau où on sert la nourriture dans lequel je me suis douchée. Je crois que c’est la douche qui m’a le plus marquée dans ma vie et en fait je me rappelle je me douchais et je pleurais, je pleurais, je lavais mon corps et je lavais tout (rires), tout mon cœur, tout, tout, tout. Et cette femme, après je suis restée avec elle parce que je me suis attachée à elle et, je te passe les détails, mais en repartant, donc on s’était échangées nos numéros, et je l’appelais et elle ne répondait pas, enfin je tombais directement sur messagerie et du coup je me suis dit « Dans un premier temps réessaye. » et en fait, je me rappelle un soir je me suis endormie et je me suis dit « Sara, stop, arrête de l’appeler. Peut-être que cette femme a existé et on s’est peut-être trompées dans l’échange des numéros. Peut-être que cette femme n’a pas existé et que, je me suis même dit si ça se trouve c’était le fruit de mon imagination, mais bref, c’est bien que ce soit arrivé et c’est terminé en fait. Arrête de t’attacher à ça. » Et le lendemain il y a un homme qui crie mon nom, un camionneur, au début je l’ignore parce que c’était une montée et je me suis dit que c’était encore un de ces hommes que j’ai rencontrés dans une cafeteria et j’ai pas envie de parler, j’étais fatiguée, j’en pouvais plus, c’était la route des 10 jours, c’était horrible. Et finalement il s’arrête donc je m’arrête et il me dit « Oum Salima » donc c’est la femme en question chez qui je m’étais douchée, « elle t’envoie de l’eau et des dattes parce qu’elle sait qu’il n’y a rien sur la route et elle sait que (rires) tu vas avoir des difficultés dans la montagne ». Donc ça aussi c’étaient des moments qui m’ont marquée.

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Un mot pour résumer l’Égypte ?

Alors un mot pour résumer l’Égypte… Ca va être très difficile (rires). L’Égypte c’est une grande histoire d’amour, l’Égypte c’est (rires) 12 ans de « je t’aime, moi non plus » mais qui se terminent avec un grand je t’aime (rires). Donc tu peux choisir le mot « je t’aime » mais… En fait l’Égypte m’a vue à plusieurs phases de ma vie. L’Égypte m’a vue grandir. Je suis arrivée en Égypte la première fois pleine de colère et au fil des années j’ai pu exprimer cette colère là-bas (rires), c’était un terrain propice. Mais l’Égypte m’a aussi vue m’apaiser, me calmer et trouver un équilibre. Et du coup, en un mot, l’Égypte c’est ma mère (rires), avec tout le respect que je dois à ma mère. C’est pour ça qu’en fait je ne peux pas résumer l’Égypte à ce voyage parce que c’est une longue relation (rires), ce n’est pas terminé. Mais du coup oui, l’Égypte m’a vue grandir et évoluer, elle m’a vue prendre des coups de poing, des claques, elle m’a donné beaucoup d’amour, elle m’a beaucoup appris. Du coup, je ne sais pas si ça a du sens pour toi mais je choisirais le mot « mère » (rires).

 

Un mot pour résumer le Soudan ?

Pour résumer le Soudan, ça a été mon éducateur. Je pense que le Soudan c’est ce qui m’a le plus préparée à mon pèlerinage, mon petit pèlerinage ma ‘Oumra (*le « petit pèlerinage » fait en dehors de la période de l’Eid qui constitut le grand pèlerinage, le Hajj), à la Mecque. J’ai beaucoup appris spirituellement du fait de mon isolement, du fait aussi des personnes que je rencontrais. Je me sentais très très proche du Créateur, je me sens toujours proche du Créateur mais je pense que le gros déclic il a été au Soudan. En fait, déjà en Égypte, il y a une préparation qui s’est faite au niveau de mon cœur je pense sur la route du fait des personnes rencontrées, du fait de plein d’épisodes, mais je pense qu’il y a vraiment eu une expansion (rires) au niveau de mon cœur au Soudan. J’ai compris beaucoup de principes comme Tawakal, ça veut dire « se remettre à Dieu », je l’ai vraiment compris au Soudan, je l’ai vécu, je l’ai expérimenté et du coup c’est quelque chose qui fait partie de moi maintenant, qui faisait surement partie avant mais l’expérimenter à ce point-là, ça a été réformateur je pense. Ça a été une grande préparation spirituelle, une éducation, c’est mon éducateur le Soudan (rires).

 

Un mot pour résumer l’Arabie Saoudite ?

Et l’Arabie Saoudite, on va dire « Surprise ». Pour moi l’Arabie Saoudite ça a été vraiment la surprise de ce voyage. Parce que j’ai découvert un pays avec beaucoup de richesses, que ce soit en termes de nature, mais aussi en termes de rencontres mais également pour écrabouiller tous les préjugés que je pouvais avoir.

 

As-tu d’autres projets de voyage en tête pour le post pandémie ?

Alors j’avais beaucoup de projets de voyage en tête. Déjà je devais faire un voyage en Arabie Saoudite mais il y a eu le Corona, donc ce voyage est peut-être remis à plus tard mais tout dépend de combien de temps va durer la période pandémie avant qu’on passe à une période post-pandémie. Ensuite il y a un projet qui me tient vraiment à cœur c’est de faire le retour et prendre le temps, faire un espèce de voyage de la gratitude où je prends le temps et de passer remercier les gens. De préférence j’aimerais bien faire ce retour par un autre chemin tout en passant voir les gens, mais en essayant de rendre ce chemin plus court, parce que du coup j’ai été contactée par beaucoup de gens qui veulent faire ce voyage et qui veulent faire un copié-collé de mon parcours alors que concrètement ce n’est pas du tout le plus rapide. Mais pour eux, ç a du sens parce que je l’ai expérimenté. Donc je voudrais faire le parcours plus court, ça me permettrait de ne pas refaire exactement le même chemin et d’expérimenter le chemin plus court pour qu’éventuellement ce soit un modèle reproductible.

As-tu un blog / site où tu parles de tes projets ? Je mettrai le lien vers ta vidéo et vers ton IG mais si tu veux rajouter autre chose dis-moi.

J’ai ma page Instagram qui est répliquée sur Facebook. Donc la page Facebook c’est exactement la même chose qu’Instagram mais c’est que le voyage à la Mecque. Donc la page Instagram c’est « Sara.rahala » donc là c’est ma page Instagram perso et sur Facebook c’est « Cycling to Mecca » et c’est une page où tout ce qui concerne le voyage « Cycling to Mecca » sur Instagram est transféré automatiquement.

Et y a la vidéo qu’on retrouve sur Youtube, qui résume dans de grandes lignes le voyage, c’est pas une vidéo de grande qualité mais c’était une manière pour moi de pouvoir rendre hommage à toutes ces personnes rencontrées qui ont facilité ce voyage, même si j’ai pas pu tous les mettre par souci de cacher leur visage pour certains ou tout simplement parce que j’ai pas d’image parce que mon but n’était pas du tout de documenter ce voyage mais en fait au fur et à mesure des rencontres, je me suis dit que c’était dommage de ne pas garder un souvenir de ça et donc je faisais des petites séquences très courtes pour me rappeler.

En fait ma plus grande crainte à un moment dans le voyage, c’était d’oublier. Et maintenant après un an, je me dis que parfois j’oublie, surtout quand on me pose des questions, je raconte et puis quand je rentre chez moi, je me dis « Ah mais je n’ai pas parlé de ça, j’ai oublié ! » ? Mais en fait quand je me connecte au plus profond de moi-même, même si ma langue n’arrive pas à mettre en mots plein de choses, même si des fois j’oublie des histoires, je sais que mon cœur n’a pas oublié parce que je vais retrouver un objet, je vais retrouver une image qui va arriver en moi et ça va raviver plein de souvenirs qui sont là en fait.

Du coup la vidéo est sur le compte Youtube, c’est Sara Rahala. Ce n’est pas une chaîne Youtube en soi mais c’est où j’ai pu poster la vidéo pour pouvoir la partager avec les gens qui le demandaient. Ça fait un moment que je l’avais faite en fait cette vidéo, j’arrivais pas à la regarder, déjà de la faire ça a été très difficile et quand ça y est j’ai réussi à la regarder juste avec un sourire et sans pleurs , sans cœur qui se serre, sans rien, à ce moment-là j’ai dit c’est bon, c’est le moment de le partager avec d’autres personnes parce que quand j’ai réussi à la voir juste avec amour, j’ai commencé à la montrer à ma famille, à des amis et j’ai vu l’effet que ça pouvait avoir sur eux donc j’ai dit pourquoi pas la rendre publique.

Retrouvez donc Sara sur sa page Instagram « Sara.rahala » ici :

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Et sur sa page Facebook « Cycling to Mecca » :

Et la vidéo se trouve juste ICI !

Chronique syrienne #10 – Le ton juste

Il est difficile de trouver le ton juste pour (vous) raconter la Syrie. Je me pose souvent la question de ce que mes écrits, mes articles ici, mes petits posts sur Instagram, mes stories et mes photos sur les réseaux sociaux peuvent retranscrire. J’ai parfois peur d’être à côté de la plaque, de ne pas être juste, objective, neutre. Je ne suis pas journaliste. Je suis professeure, voyageuse et profondément amoureuse du Moyen-Orient depuis 8 ans. Ce que j’ai envie de montrer, c’est ce que je vois. Et ce que je vois, c’est l’autre côté du miroir. C’est la vie.

Être ici, c’est un mélange fort de nombreuses émotions diverses. Il y a une réelle volonté des gens ici de vivre, de surmonter la guerre et ses conséquences. Sur Instagram, je suis de nombreux comptes de photographie de Syriens qui prennent en photo leur ville : Damas, Alep, Homs, etc. Aucun ne renie la guerre mais ils ont aussi envie de passer à autre chose, de montrer une autre image. La Syrie, ce n’est pas seulement la guerre, les destructions, même si cela fait partie de l’histoire de ces dix dernières années, mais c’est aussi la vie, l’espoir, la reconstruction.

C’est ce que j’ai envie de partager, dans l’espoir de ne pas occulter non plus la souffrance, car les conséquences sont bien là malgré tout.

Le texte d’une amie syrienne avait, il y a quelques semaines, beaucoup résonné en moi. Voici ce qu’elle disait :

« Je pourrais vous raconter cette hideuse guerre urbaine qui a fait pleuvoir la mort sur ceux qui n’ont rien choisi, les édifices écroulés par les orages d’acier et les carcasses de voitures incendiées. Je pourrais vous parler de cette terre criblée de cicatrices et de balles et de tous ces destins brisés sous les bombes, de la sombre réalité de ces parents aux yeux noyés de douleur, de cette enfance privée d’insouciance et de toutes ces vies fauchées. De ces amoureux de la vie, flirtant malgré eux avec la mort.

Je pourrais témoigner de cette peur qui commande quand les tirs déchirent les airs mais qui peu à peu leur a appris à regarder la guerre dans les yeux. De cette peur de ne plus avoir peur. De mon pays devenu l’un de ceux où marcher peut tuer et de ce Monde en train de devenir fou.

Mais je voudrais simplement vous dire que la Syrie n’est pas le tombeau de l’Humanité, au milieu de l’obscurité elle continue à briller, elle lutte pour la vie, car la seule histoire qui vaille la peine d’être racontée en temps de guerre est la quête d’une éclaircie dans un ciel de brume. »

C’est également la discussion que j’ai eue avec mes élèves il y a deux mois, peu avant Noël je crois. Ils me disaient à quel point c’était dur pour eux l’image que l’on donnait d’eux et de leur pays dans les médias occidentaux. Ils ont envie de montrer autre chose. Pour autant ils sont conscients de ce qui se passe. Je me rappelle qu’un élève a dit à un moment donné que la Syrie ce n’est pas ça, la guerre, les bombardements, les réfugiés. Mais l’une d’entre eux a pris la parole pour dire que malgré tout, c’est aussi ça. Qu’il y a bien eu la guerre, des explosions et que des milliers de personnes vivent encore dans des camps de réfugiés.

Je ne savais pas à quoi m’attendre quand je suis venue travailler ici. Je ne savais pas comment j’allais trouver ces adolescents qui ont vécu une grande partie de leur vie à travers la guerre. Tous ont évidemment un parcours différent. Certains sont restés en Syrie tout le temps de la guerre, d’autres sont parties à l’étranger pendant quelques années. Mais tous ont une histoire qui les relie à ces dix années de souffrance de leur pays.

A la fin de mon premier cours avec les 4èmes en septembre dernier, je me rappelle qu’une bonne partie de la classe était venue me trouver pour me raconter leur histoire. La fois où les bombardements avaient atterri près de leur maison, la fois où leurs parents avaient décidé de quitter la Syrie, le nombre d’années où ils avaient dû partir, ou bien pour l’une, l’été dernier lorsque sa famille avait décidé de passer l’été à Beyrouth et s’était retrouvée à vivre l’explosion sur le port. Quelle vie.

Et encore, ces enfants, pour la plupart, font partie des « privilégiés ». Bien sûr que des histoires, il y en a des bien pires. Mais je trouve que c’est déjà inacceptable.

Depuis quelques semaines, je reçois des messages de Syriens ou de personnes d’origine syrienne qui m’écrivent pour me remercier de partager mes photos de la Syrie, de donner une image positive, de permettre à un autre point de vue d’exister sur les réseaux sociaux. Et ces messages-là me rassurent et m’encouragent en plus de tout ce que j’entends ici.  C’est cela que je veux transmettre, sans aucune connotation politique, mais tout simplement parce que, et c’est ce que j’ai appris ici encore plus qu’ailleurs et je l’ai déjà dit, derrière la guerre et la souffrance, la vie est plus forte que tout.

Lorsque j’ai mis les pieds dans le Monde Arabe pour la première fois il y 8 ans, je ne savais pas ce que j’allais trouver. Je ne savais pas que j’allais rencontrer des gens aussi fabuleux, une histoire aussi intéressante et des cultures aussi riches que les cultures arabes. Je ne savais pas que j’allais en réalité à la rencontre d’une partie de moi-même. Je ne vais pas m’étendre, j’ai déjà crié tout mon amour pour le Monde Arabe ici.

Alors lorsque je vois la situation en France, le racisme qui n’en finit pas de monter et les stéréotypes qui se propagent, je ne peux m’empêcher d’enrager. Quand ouvrirons-nous les yeux sur la beauté du Monde Arabe et des Arabes ? Quand cesserons-nous d’avoir peur de ce que nous ne connaissons pas ? Quand ces ignorants cesseront-ils de diviser les Français à travers leurs discours de haine et sur des sujets qu’ils ne maîtrisent pas ? Quand arrêterons-nous de faire circuler de fausses images et de prêter tant d’incivilité et de barbarie aux Arabes tout entier ?

Je n’ai qu’un souhait, à travers mes écrits et mes photographies, faire le lien, être ce petit pont entre deux mondes, entre deux cultures. Que quelqu’un qui lit mon blog ou voit mes stories sur Instagram se dise « Tiens, ça ressemble à ça la Syrie ? Je ne pensais pas que les Égyptiens étaient si drôles ? Le Maroc a l’air bien plus varié que ce que je ne l’imaginais ! La Palestine est si belle que ça ? » et ait envie de faire ce pas lui aussi. Vers ce fabuleux Monde Arabe et ses habitants qui ont tant à nous apprendre.

Lecture #7 – Une mort éphémère

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Quand je vis quelque part, j’aime bien m’intéresser à la littérature du pays. À mon arrivée en Syrie, j’ai donc interrogé la documentaliste du collège où je travailler au sujet des auteurs syriens et elle m’a dirigée vers Saadallah Wannous. La première œuvre que j’ai lue de lui est celle-ci « Une mort éphémère« , l’histoire d’un homme qui, sur son lit de mort, imagine des sortes de scénettes, certaines drôles, d’autres absurdes, mais toutes philosophiques. J’ai eu un peu de mal à rentrer dans le thème je dois l’avouer.

Je me suis ensuite tournée vers deux pièces de théâtre qu’il a écrites et j’ai beaucoup aimé. La première « Miniatures » met en scène des personnages historiques à l’approche de l’invasion mongole de la Syrie. Il est question de l’attitude de chacun face au danger imminent, de ceux qui, mine de rien, se révèlent les plus courageux, ceux qui, derrière de beaux discours, n’ont que leurs intérêts en tête, et les autres face à toutes les facettes de l’humanité.
Dans la deuxième « Rituel pour une métamorphose« , un scandale sexuel, qui n’a en réalité pour explication qu’une sombre histoire de pouvoir, va mettre sens dessus dessous toutes les relations qu’elles soient entre hommes et femmes ou entre les hiérarchies.

Deux pièces de théâtre qui m’ont rappelé à quel point j’aime, justement, j’aime lire le théâtre. C’était l’une de mes lectures préférées lorsque j’étais au lycée où je dévorais principalement Shakespeare et Ionesco.

Lettre d’amour à moi-même

Il m’en a fallu du temps pour m’aimer. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu du mal avec ma propre personne.

Mon hypersensibilité était mal perçue par les autres enfants, je fus de plus en plus harcelée à l’école, j’étais mise de côté, moquée, détestée. Et je les croyais. Je me détestais aussi. Je me trouvais horrible, moche, inintéressante et faible. Je ne disais rien, j’ai menti à mes parents pendant des années, je leur faisais croire que j’avais des amis et que des garçons étaient amoureux de moi. Parce que j’étais persuadée que s’ils apprenaient la vérité, ils seraient déçus et me verraient comme les autres.

Mon arrivée au lycée a tout changé. Je quittais enfin les critères étriqués de ce que voulait dire être quelqu’un de « cool » pour entrer dans une nouvelle ère. J’ai eu la chance d’aller dans un lycée où être différent était particulièrement apprécié. J’ai commencé à me laisser aller. Une explosion de couleurs ! Les jupes par-dessus les pantalons, les atébas en laine dans les cheveux, les t-shirts à l’effigie de mes groupes préférés. Sous des couches et des couches de vêtements lentement je pansais mes blessures, j’apprenais à être moi-même, j’expérimentais. Les moqueries étaient loin. A part le douloureux chemin du retour à la maison le soir après les cours où j’étais insultée par les gens de l’endroit où j’habitais, je rentrais vite chez moi pour me retrouver dans mon espace à moi, ma chambre, mon antre.

L’université a été un nouveau choc pour moi. Un changement radical de style de vie loin du cocon du lycée où l’on se connaissait presque tous. L’anonymat dans cette masse me faisait peur et tout à coup je perdais tous les repères que j’avais réussi à construire. Je devais tout recommencer mais je n’en avais pas la force. Je devais changer, devenir une jeune femme mais j’étais tellement loin de tout ça. J’ai fait beaucoup de mauvais choix. Mais j’ai pourtant fait un choix important juste à ce moment-là, qui pourtant à l’époque semblait complètement irrationnel et m’a d’ailleurs mise par terre : je me suis choisie. J’ai renoncé au couple de rêve parce que je savais que ce n’était pas ce que je voulais vivre. Et je savais déjà à ce moment-là, que ce que je voulais c’était une vie de passion, et que, aussi banal que cela puisse sonner, je devais d’abord commencer la quête la plus importante : me trouver.

J’avais 18 ans, et les 15 années qui ont suivi ont été mouvementées, passionnées, fragiles, merveilleuses, torturées, fantastiques… vivantes.

A 33 ans, je n’ai aucun regret sur les choix que j’ai faits quand j’avais 18 ans, ni tous les autres d’ailleurs. Ils n’ont pas tous été bons mais ils m’ont tous forgés. Le chemin n’a pas toujours été facile mais il m’a menée dans de merveilleux endroits et surtout à la rencontre de personnes fabuleuses.

Je ne m’aime pas tous les jours. Il y a encore des matins où je me réveille avec l’envie de ne pas croiser ma tête dans le miroir. Pas physiquement mais mentalement, parce que je réfléchis trop, que je me pose 1000 questions, est-ce que je suis assez bien ? Est-ce que ce que je fais a du sens ? Est-ce que j’apporte une quelconque pierre à l’édifice ? Qu’est-ce que je change réellement dans ce monde ?

Aujourd’hui en ce 14 février 2021, je viens de réaliser que j’avais passé la journée avec moi-même à m’occuper de moi sans m’en rendre compte. Je me suis fait un petit repas, j’ai mis de l’huile dans mes cheveux, fait mes ongles et regardé Grey’s Anatomy sous ma petite couverture dans mon appartement damascène. Et j’étais bien. La seule présence dont j’avais réellement besoin, la seule chose qui pouvait me permettre de faire le point après ces quelques semaines intenses de travail où j’ai fini épuisée.

J’avais une amie qui me disait que j’étais toujours « trop ». C’est vrai que je suis souvent dans l’excès. Je ne sais pas prendre de demi-décision, aimer modérément, je pleure pour des pubs, je m’enthousiasme pour beaucoup de choses, j’ai toujours 100 passions et 1000 projets, je suis souvent trop contente et j’ai trop hâte de la suite.

Mais est-ce qu’on peut vraiment être trop ? Je préfère trop vivre que de mourir en ayant trop de remords, ça serait bien trop triste.

Puisque, et même si je suis très bien entourée, la seule personne avec qui je vivrai toute ma vie, ce sera toi Carlota, sache que je t’aime, avec toutes tes imperfections, tes excès, tes sautes d’humeur, tous tes projets inachevés, mais aussi tous ceux que tu as achevés, la vie que tu as choisie d’avoir et que tu t’es construite, ton cœur plein d’amour et d’espoir dans ce monde qui te fait pourtant bien souvent trembler.

On continue notre route ensemble, toi et moi, et pour toujours <3