Chronique syrienne #9 – Escapade enneigée à Bludan

Vendredi matin, quelques collègues et moi – la petite équipe qui est en train de devenir habituelle : Grégory et sa fille Tara, ainsi que Louay – nous sommes mis en route en direction de Bludan.

Bludan est un petit village à 50 kilomètres de Damas et qui se situe à 1500 mètres d’altitude. Depuis quelques semaines il y neige et les Damascènes se ruent sur ce village pour profiter du grand manteau blanc. Pour éviter la foule, nous avons décidé de partir tôt. C’est donc à 8h du matin que Louay, Grégory et Tara me récupèrent place des Omeyyades. Il pleut beaucoup et nous ne sommes à ce moment-là absolument pas sûrs de trouver de la neige à seulement 50 kilomètres d’ici. Nous partons avec peu d’espoir.

Sur la route, comme prévu, il n’y a personne. Nous roulons donc tranquillement et d’autant plus doucement avec ce temps. A la sortie de Damas, nous voyons apparaître des tas de bidons remplis d’un liquide entre le jaune et le vert sur le bas-côté. Ce sont des bidons d’essence vendus à la sauvette. La crise frappe toujours fort le pays, les files d’attente aux stations-essence sont toujours impressionnantes et il y a toujours peu de transports en commun. Les prix des taxis, eux, fluctuent quasiment quotidiennement selon le prix de l’essence.

Au fur et à mesure que l’on avance, le temps se dégrade de plus en plus, la pluie est de plus en plus drue et notre espoir de trouver de la neige, quant à lui, diminue. Pourtant après une petite montée, le paysage change et nous pouvons enfin apercevoir les fameux flocons : la pluie s’est transformée en neige et le paysage commence enfin à se recouvrir légèrement de blanc. Après quelques kilomètres, la neige est de plus en plus forte et le sol de plus en plus recouvert. Tara pousse des cris de joie et ne sait plus où donner de la tête.

Évidemment, plus nous montons, plus nous trouvons de la neige. Nous avançons la voiture jusqu’au point qui nous satisfait. Nous chaussons écharpes, bonnets et gants et nous lançons à l’assaut de la magie blanche.

Batailles de neige et création de mini bonhommes de neige rapidement écrabouillés par Tara, nous profitons de ce climat si surprenant ici en Syrie. Je réalise que c’est la première fois que je vois la neige au Moyen-Orient. Je l’ai vue rapidement au Maroc une fois en traversant le col du Tichka pour rejoindre Marrakech depuis Ouarzazate, mais cela m’avait surtout causé la frayeur de ma vie lorsque les bus devaient se croiser et se retrouvaient au bord du précipice et que je me remémorais toutes les histoires sur les accidents mortels de bus sur cette partie du royaume. Mais là, c’est la première fois que je me retrouve dans une telle carte postale enneigée avec des mosquées sous la neige.

Après avoir bien profité de ce moment, nous redescendons par une autre partie du village et arrivons sur la place de l’église où nous tombons tous instantanément amoureux de l’endroit. Nous décidons de nous arrêter pour profiter de la vue et prendre quelques photos.

En me rapprochant de l’église, je vois un grand attroupement et comprend qu’il y a un évènement important. En effet, c’est un enterrement. Je m’éloigne vers le jardin de l’église un peu en retrait pour ne pas gêner. Quelques minutes plus tard, le cortège funèbre arrive et les cris et les larmes des femmes retentissent. C’est la première fois que j’entends ces cris, caractéristiques des images que l’on se fait des enterrement dans cette région du monde. C’est tout un autre rapport à la mort qui se met en scène, loin de notre pudeur occidentale. Mon cœur se serre d’entendre si clairement le désespoir face à la perte d’un proche.

Nous laissons les gens à leur recueillement et repartons discrètement. Il est l’heure pour nous d’aller prendre un petit-déjeuner dans l’un des restaurants du village. Celui que nous avons choisi a une belle vue sur la campagne et les montagnes.

Nous savourons notre hummus, nos œufs, nos manaqishs, notre labneh et des frites pour Tara. Nous discutons et commençons déjà à planifier nos prochaines excursions dans la région. Pourtant, celle-ci n’est pas encore terminée !

Après le petit-déjeuner, nous nous remettons en route et nous prenons le chemin du retour. Mais un peu avant Damas se trouve le tombeau d’Abel, le fils d’Adam et le frère de Caïn. La mosquée qui abrite son immense tombeau (les personnes de l’époque d’Abel et Caïn sont supposées avoir été beaucoup plus grandes que nous), possède également un plafond magnifique.

La route menant à ce tombeau est également somptueuse : les vallées de terre rouge parsemées d’arbres et les sommets enneigées nous enchantent. De plus, nous sommes seuls sur la route et comme toujours cela donne une dimension particulière à la visite de tels lieux, l’impression d’être (ce que je suis) privilégiée de me trouver dans un endroit tel que celui-ci malgré tous les évènements qui se sont déroulés dans ce pays. Comme toujours, je mesure ma chance et essaie de profiter de chaque instant.

Nous repartons ensuite en direction de Damas après une journée qui nous aura donné l’impression d’un voyage de quelques jours. Je prends réellement goût à ces excursions hors de Damas qui me promènent dans l’histoire, me font découvrir de nouveaux paysages et m’enrichissent toujours un peu plus.

Nous planifions déjà notre prochaine escapade qui nous emmènera cette fois-ci normalement dans un monastère au milieu du désert…

Les belles personnes #2 – Andrew, rêveur et voyageur

L’année dernière, il y a pile un an, je partais pour une escale d’une semaine à Istanbul, avant de rentrer chez moi au Caire. Ce fut l’occasion de revoyager à nouveau toute seule et dans un endroit que je ne connaissais pas. Ce fut aussi l’occasion de rencontrer de belles personnes. Cette semaine j’ai eu envie de partager ce coup de cœur et le récit que j’en avais fait alors :

« Ce que j’aime le plus en voyage, ce sont les gens. Mettre les pieds hors de chez soi, c’est la promesse de rencontrer des personnes au destin et au mode de vie souvent atypiques.

J’ai rencontré Andrew dans l’auberge de jeunesse où je séjournais à Istanbul. J’ai vite remarqué ce visage respirant la bonté et ce sourire rassurant.
Andrew a 70 ans et est américain. Il y a cinq ans, il a tout quitté pour voyage. Il n’a jamais eu beaucoup d’argent dans sa vie, il a beaucoup travaillé les dernières années pour pouvoir mettre un peu d’argent de côté et partir. Ses économies et sa petite retraite lui permettent de voyager. Il dort dans les auberges de jeunesse ou chez les gens qu’il rencontre. Il aime discuter, poser des questions et échanger, parler de philosophie et de spiritualité et réciter les poèmes qu’il écrit lui-même quelques fois.


Cette rencontre m’a beaucoup marquée, déjà parce qu’Andrew est une personne lumineuse avec qui j’ai créé un lien très fort en l’espace de quelques jours, mais aussi parce qu’il représente cette idée que la vie ne s’arrête pas à la retraite, que lorsqu’on veut changer de vie, on le peut, et à n’importe quel moment, et qu’il suffit de mettre un pied dehors pour voir à quel point le monde est incroyable et ne cessera jamais de nous surprendre.

A tous les Andrew qui ont décidé que peu importe leur âge, le monde était à eux ❤️ »

Lectures 2020 – TOP 10 !

Avant de commencer les lectures 2021, j’ai eu envie de revenir sur les meilleures lectures de 2020. Mon challenge de 2020 était de lire 30 livres et/ou romans graphiques. J’ai atteint mon record de 33 lectures. J’en ai finalement sélectionné 10 que j’ai réellement adorés, les voici :

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  1. Islam et femmes

Cet essai revient sur les « questions qui fâchent » concernant l’Islam et les femmes. Obligation de porter le voile, polygamie, héritage, l’autrice analyse à travers les prismes historique et linguistique la manière dont le texte sacré serait manipulé par des exégètes afin de faire ressortir des interprétations très bénéfiques pour les hommes. Un éclairage très intéressant.

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  1. Amours

Marion Touboul a voyagé en Égypte pour poser cette simple question aux Égyptiens : « Qu’est-ce que c’est que l’amour pour vous ? ». Voyage dans le cœur des Égyptiens, la poésie, l’espoir mais aussi la désillusion ou la perte de repères. Marion Touboul a retranscrit la complexité du rapport des Égyptiens à l’Amour et dressé le portrait d’une Égypte actuelle entre traditions et modernité.

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  1. Si je t’oublie Alexandrie

Jérémie Dres raconte dans ce roman graphique sa quête familiale. A la mort de sa grand-mère, Jérémie se rend compte qu’il ne connait presque rien de l’histoire de ses grands-parents, Juifs expulsés d’Égypte à l’époque de Nasser. Il décide alors de retourner sur leur trace dans un voyage qui le mènera au cœur de ses racines. Un bel ouvrage sur l’histoire familiale, l’identité et la transmission.

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  1. Sarkozy Kadhafi, des billets et des bombes

Dans cet autre roman graphique, écrit par 5 journalistes, les auteurs reviennent sur les liens étroits qu’a entretenu Nicolas Sarkozy avec Mouammar Kadhafi. Argent sale, espionnage, trahison, un récit édifiant résultat d’une recherche journalistique pointue.

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  1. After the Prophet

A la mort du Prophète, les informations sur sa succession ne sont pas claires et déboucheront sur la première grande scission entre les musulmans : la séparation entre les Sunnites et les Chiites. L’autrice nous emmène au cœur de l’histoire, aux côtés des grands personnages de l’Islam qui l’ont faite et nous permet de comprendre un peu mieux le chemin vers cette fraction dont les répercutions sont encore vives aujourd’hui.

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  1. La part de l’autre

Et si Adolf Hitler avait été accepté aux Beaux-Arts où il avait postulé ? L’Histoire aurait-elle connu le même destin ? Serait-il devenu le Hitler que le monde a connu ? Eric-Emmanuel Schmidt raconte tour à tour l’Histoire que nous connaissons, puis l’Histoire telle qu’elle aurait pu être si Hitler avait suivi sa formation aux Beaux-Arts. Une Histoire alternative fascinante.

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  1. Le mariage de plaisir

Cette saga familiale nous mène à la rencontre d’Amir, un marchand marocain qui voyage chaque année au Sénégal où il contracte un « mariage de plaisir », une sorte de mariage intérimaire, avec une belle Sénégalaise dont il finira par tomber amoureux et par épouser pour de bon. De cet amour naitront des jumeaux, l’un blanc, l’autre noir. Chacun vivra des expériences complètement différentes au fil de sa vie, l’un préservé, l’autre victime de racisme. Une plongée passionnante dans la face sombre du Maroc.

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  1. Soufi mon amour

L’histoire de la rencontre du grand poète Rumi et du derviche Shams de Tabriz qui engendrera la naissance du soufisme. Une histoire d’amitié, de spiritualité, un voyage dans la foi, l’amour et le cheminement personnel. Une pépite.

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  1. J’ai toujours vécu demain

Paul-Emile Victor fait partie de ces personnes que j’adule. Je suis tombée un jour sur un vieux livre qui présentait ses expéditions polaires. J’ai eu un coup de foudre en le voyant le regard au loin dans sa petite veste en cuir (#cœurdartichaut). Je suis un jour tombée sur sa biographie écrite par sa fille, Daphné Victor, et Stéphane Dugast, le secrétaire général de la société des explorateurs français. J’aime ces livres qui vous emportent, vous font voyager et vous donnent envie, comme Paul-Emile Victor, d’être passionné et de vous surpasser.

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  1. Aïcha, la bien-aimée du Prophète

« Saladin », de la même autrice, fut mon livre préféré en 2019, celui-ci fut mon livre préféré de 2020. Geneviève Chauvel, journaliste, grand reporter, spécialiste du Moyen-Orient, offre dans ce magnifique livre, l’histoire d’Aïcha, une des femmes du Prophète, devenue après sa mort l’une des références en matière d’Islam.

Il n’est pas toujours facile d’abandonner son regard occidental quand il s’agit de l’Islam ou du Moyen-Orient, mais c’est ce qui m’éblouit chez Geneviève Chauvel, sa capacité à enlever ces lunettes de femme française chrétienne pour apprécier à sa juste valeur la beauté de l’Islam et du Moyen-Orient.

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A bientôt pour les premières lectures de 2021 !

Lecture #6 – Bon vent, Bonaparte !

Fin 2020, je suis retournée en Palestine. Malheureusement pas physiquement, mais simplement le temps de la lecture de « Bon vent, Bonaparte ! » de Ala Hlehel.

J’ai tout de suite eu envie de le lire lorsque je suis tombée dessus cet été : l’histoire (romancée) du siège de la ville de Saint-Jean-d’Acre par Napoléon Bonaparte. Même si je ne connaissais pas cet auteur, je fais aveuglément confiance aux éditions Actes Sud. Il a donc fait partie des 8 kg de livres que j’avais décidé d’emmener dans ma valise lors de mon déménagement en Syrie en septembre dernier.

L’histoire prend donc place en Palestine à Saint-Jean-d’Acre en 1799. S’affrontent le sanguinaire Jazzâr Pacha et l’orgueilleux Napoléon Bonaparte. Dans un récit (très) romancé, crû et même violent, de cet épisode de l’histoire, Ala Hlehel nous replonge dans le Moyen-Orient du 18è siècle, dans son histoire et dans la folie de ses gouverneurs.

Son thème m’a fait repenser à l’un de mes livres préférés, que j’avais découvert il y a deux ans en Égypte le superbe « Turbans et chapeaux » de Sonnallah Ibrahim : l’histoire de l’occupation française en Égypte, qui même si elle n’aura duré que 3 ans, aura semé violence et désordre.

Plongez dans l’histoire et préparez-vous à rire à grimacer de dégoût, voire d’horreur grâce à la lecture de ce roman divertissant.

 

Chronique syrienne #8 – Maaloula et Sednaya

J’avais au départ planifié d’aller passer mes vacances en Egypte pour Noël mais avec la situation actuelle, les déplacements sont compliqués et chers, alors j’ai finalement décidé de passer mes vacances et les fêtes de fin d’année à Damas. Et je ne suis pas déçue !

J’ai passé mes vacances à flâner dans Damas, à voir mes amis, à lire, à prendre des cours d’arabe, à écrire, à travailler tranquillement pour le collège, à me reposer et parfois même à ne rien faire.

J’avais aussi organisé une excursion avec des collègues du collège : une journée dans les villages chrétiens de Maaloula et Sednaya. C’était mon but pour le mois de décembre, je voulais absolument faire cette excursion et finir l’année sur un petit road-trip.

C’est ce que nous avons fait le 29 décembre. A 8h30 du matin, mes collègues passent me prendre en voiture place des Omeyyades devant la Librairie. Il y a Louay, mon collègue de mathématiques, Grégory, mon collègue d’histoire-géographie, et sa fille Tara, que j’ai déjà mentionnés ici puisque nous sommes arrivés à Damas en même temps en septembre, Soulafa, ma collègue d’arts plastiques avec qui je suis partie en excursion en novembre au Krak des Chevaliers et Marmarita, et sa sœur Arwa, qui habite à Los Angeles mais qui était en visite en Syrie pour les fêtes de fin d’année. Tout ce beau petit monde, réparti dans deux voitures, est prêt à profiter de cette belle journée. Enfin « belle », une épaisse brume a décidé de nous accompagner pour l’occasion, mais elle donnera finalement une ambiance très particulière, quasi mystique, aux lieux que nous visiterons.

Maaloula se situe à seulement 44 kilomètres de Damas. Une petite heure de route ponctuée des habituels checkpoints militaires (4 ou 5 quand même sur cette si petite distance) et vous arrivez dans ce petit village chrétien. Le charme tient aux maisons pastel qui descendent de la montagne et aux différents monastères et églises.

Le premier monastère que nous avons visité est Mar Takla, Saint Thècle. Il se situe en hauteur du village et a été taillé directement dans la montagne. Tout en haut se trouve une petite salle de prière magnifique et juste avant, un grand arbre a été préservé et a continué de grandir jusqu’à ce que ses branches s’épanouissent à l’extérieur. Il est habité par des sœurs de culte grec orthodoxe.

En 2013, des terroristes du Front Al Nosra, affilié à Al Qaïda, ont attaqué et occupé le village pendant plusieurs mois. Les monastères ont été pillés et gravement endommagés. Ils avaient mis le feu à une des églises. Tout a été rénové mais la peinture du plafond de cette église garde les traces du feu. Lorsque la sœur nous raconte brièvement ces quelques mois de terreur, l’émotion est bien entendu toujours palpable.

Après la visite du monastère Mar Takla, nous avons marché dans le wadi (canyon) avant de remonter vers le haut du village pour rejoindre le second monastère : Mar Sarkis, Saint Serge. La vue d’en haut est très belle lorsque l’on surplombe le wadi et le monastère Mar Talka.

Le monastère de Mar Sarkis aurait été fondé à l’époque de Constantin, y a pas trop trop longtemps quoi ! Il a lui aussi été attaqué et grandement détruit par les terroristes. L’hôtel Safir, ancien hôtel de luxe, situé juste à côté du monastère et qui n’a, lui, pas été rénové, témoigne de la violence des combats.

Après la visite de Mar Sarkis, nous faisons le chemin inverse pour rejoindre la voiture et nous diriger vers un autre village majoritairement chrétien, celui de Sednaya, qui se trouve sur le chemin du retour à 26 km de Damas. Le village en lui-même est moins charmant que celui de Maaloula. Le monastère principal est celui de Notre-Dame de Sednaya, niché sur une colline, il a des airs de forteresse, ce qui explique certainement pourquoi, à l’inverse de Maaloula, les terroristes n’ont pas réussi à l’attaquer. Un soldat nous a également fièrement expliqué que les attaques avaient repoussé par l’armée et le monastère ainsi protégé.

Ce monastère immense est également occupé par des sœurs de culte grec orthodoxe. L’architecture est bien plus moderne, notamment grâce à son immense escalier principal menant à l’entrée du monastère mais aussi dans les églises.

Nous avons assisté à une scène particulièrement émouvante. Il y a une petite pièce dans un coin reculé du monastère où l’on peut demander aux sœurs de prononcer des prières de toutes sortes : des souhaits de guérison ou bien des prières pour les morts. Cette pièce toute sombre, seulement légèrement illuminée de quelques bougies, remplie d’ex-votos de toutes formes, semblait contenir tous les espoirs mais aussi toutes les souffrances du monde. C’est comme une bulle hors du temps et de l’espace, où l’on peut se laisser aller à pleurer, accompagné d’une sœur et de ses paroles. C’était le cas pour une dame présente à ce moment-là, la sœur à ses côtés qui murmuraient des prières. Elle pleurait mais semblait aussi trouver quelque réconfort dans les paroles de la religieuse.

Nous avons continué notre tour de cet immense monastère, finissant par cette vue panoramique sur le village. Je ne sais pas pourquoi mais cette vue m’a fait penser à Jérusalem avec tous ces dômes, le mélange de mosquées et d’églises plus important que d’habitude.

Avant de rentrer, nous avons déjeuné (à l’heure syrienne, il était 16h !) dans un restaurant très connu dans la région, qui était, à priori, avant la guerre un point de rendez-vous le weekend particulièrement, et qui s’appelle « Jana Sednaya », c’est-à-dire le Paradis de Sednaya. Une nouvelle crèche nous attendait ainsi qu’un excellent repas après le plaisir et la richesse de toutes ces belles découvertes de la journée.

 

Good bye 2020 !

2020, c’est la fin !

Même si je ne pense pas que l’année 2021 va miraculeusement tout changer, que le Corona ne va pas se volatiliser par enchantement après les douze coups de minuit et que de nombreux combats restent et resteront toujours à mener, j’aime ces moments où l’on peut prendre le temps de regarder en arrière et de voir le chemin parcouru en une année.

J’ai eu la chance de ne pas être personnellement impactée par le Covid au niveau de ma santé, mais il aura certainement chamboulé ma vie !

Retour sur une année riche en rebondissements.

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JANVIER

L’année commence par un mois de janvier sous le signe du voyage. J’étais de retour en France pour les fêtes de fin d’année et j’en ai profité pour aller faire un tour à Paris où j’ai des amis et où vit mon frère, ainsi que dans le Nord de la France où vit tout le reste de ma famille.

Ensuite, je suis partie pour un petit voyage de quelques jours au Maroc, une mission d’une grande importance placée sous le signe de l’amour. Une belle manière de commencer 2020 et un séjour qui aura changé à tout jamais la vie d’une amie <3

Ensuite, avant de rentrer au Caire, j’ai décidé de faire une escale d’une semaine à Istanbul. C’est la première fois depuis longtemps que je pars solo dans un pays que je ne connais pas. Je passe une belle semaine, pleine de découvertes et de rencontres, et je tombe amoureuse de la sublime Istanbul.

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FÉVRIER

Je passe quasiment tous mes WE dans l’oasis de Fayoum. Un ami y a un camp et j’aime ces moments de sérénité et de quiétude dans le désert, hors du temps. C’est ce qui me manque le plus ici en Syrie, la possibilité d’aller passer le WE sous les étoiles et de voir Etman, mon bédouin préféré à se raconter des conneries au coin du feu.

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MARS

Cette fois-ci le Corona est bien là et vient bouleverser tous mes plans. Mi-mars contre toute attente, je déménage et quitte le Caire en 24 heures. Je pars me confiner chez mes parents dans le Sud de la France. Je retrouve ma famille et mes chats d’amour. Même si c’est le choc de devoir quitter l’Égypte de cette manière, en plein milieu de l’année scolaire, sans pouvoir dire au revoir ni à mes amis ni à mes élèves, j’ai la chance de pouvoir retourner chez mes parents en toute sécurité.

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AVRIL

Je profite du confinement que j’ai la chance de vivre tranquillement. Je lis beaucoup, je dors beaucoup, je mange beaucoup, et chaque jour pendant l’heure de sortie autorisée, je pars explorer les alentours. Mes parents habitent à la campagne près d’Avignon et vivent dans une région magnifique. Juste à côté de chez eux, ce sont les champs, les vignes et les chevaux. C’est un vrai bol d’air qui me fait énormément de bien et cette promenade quotidienne m’aide petit à petit à digérer tout ce qui s’est passé ces dernières années pour de bon et à passer à autre chose.

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MAI

Nous sommes déconfinés. Même si je ne ressors pas tout de suite de ma bulle, je finis par profiter de mon Sud petit à petit avec des petites excursions à droite à gauche.

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JUIN

En juin, j’en profite pour me balader, revoir enfin mes amis, et surtout je prépare un gros déménagement. Je quitte pour de bon « la maison du bonheur », l’appartement que je louais à Avignon depuis 4 ans et que je n’arrivais pas à quitter mais qui créait de grosses préoccupations en sous-location. Il était temps de dire adieu à ce lieu que j’ai beaucoup aimé pour faire de la place à la suite.

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JUILLET

J’ai envie d’aller explorer la France et passer voir mes amis éparpillés un peu partout sur le territoire. Je commence avec un WE entre copines à Sète, puis je pars à Paris voir des amis et mon frère, ensuite ma famille qui vit dans le Nord de la France.

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AOUT

Le roadtrip continue, je pars pour Poitiers, Limoges, La Rochelle, la côte Atlantique, Bordeaux puis Toulouse. A chaque arrêt, je retrouve des amis, certains que je n’ai pas vus depuis très longtemps. Ce tour me fait du bien, je découvre des coins que je ne connaissais pas et réalise encore une fois à quel point la France est belle.

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SEPTEMBRE

Le départ approche, je profite encore un peu de mon Sud avec une journée dans le magnifique village de Gordes par exemple, puis c’est l’heure du grand départ ! Je déménage en Syrie ! Un périple rempli de péripéties m’attend puis j’arrive enfin dans ma nouvelle ville : Damas. Quelques semaines dans la sublime maison d’un collègue dans le centre historique, puis je m’installe dans mon chez-moi où les rebondissements ne sont jamais bien loin.

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OCTOBRE

Je suis installée et je passe mes WE à explorer cette ville magnifique. Je découvre une nouvelle culture, je me familiarise avec la langue, j’essaie de m’orienter dans mon nouveau quotidien. J’ai repris l’école et je m’y sens bien. Je prends possession des lieux et je me sens déjà chez moi.

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NOVEMBRE

Je profite du mois de novembre pour commencer à explorer le pays. Début novembre pendant mes premières vacances, je pars pour le WE avec un groupe (les étudiants de ma collègue d’espagnol) pour découvrir le Krak des chevaliers, le monastère de Marmarita et la région de Meshta el Helwu. Cela fait aussi deux mois que je vis ici et j’en suis heureuse !

Fin novembre, je me rends à Alep chez une amie. Je découvre une ville meurtrie par la guerre mais une volonté de fer des habitants de reconstruire la ville et de continuer à vivre coûte que coûte.

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DÉCEMBRE

Le mois de décembre a été riche en découvertes à Damas, de belles rencontres et beaucoup de visites dans la ville. A partir de mi-décembre, je suis en vacances et j’en profite pour faire un maximum d’activités. Je me balade, je vois mes amis, j’étudie l’arabe et j’organise une petite sortie avec des collègues dans les villages de Maaloula et Sednaya.

Je passe les fêtes à Damas, je suis invitée chez des amis pour Noël et le lendemain j’ai un petit repas entre amis avec les nouvelles personnes entrées dans ma vie avec qui je suis heureuse de passer mon quotidien et maintenant les fêtes.

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Ainsi s’achève 2020. Même si le covid a bouleversé mes plans, ce ne fut que pour le meilleur et je suis chanceuse de ne pas avoir été impactée de manière négative par cette maladie.

Pour 2021, je ne souhaite qu’une chose : continuer de vivre cette vie que j’aime, faite de rencontres fortes, de voyages et de découvertes.

Et je vous souhaite la même chose : une vie riche, entouré des gens que vous aimez, à vivre la vie que vous aimez, que ce soit au coin du feu à lire un bon livre ou sous le ciel étoilé du désert, à profiter de votre famille, de vos amis.

PEU IMPORTE COMMENT MAIS VIVEZ !

BELLE ANNÉE 2021 ! <3

Chronique syrienne #7 – Collection d’instants

Cette semaine j’avais envie de partager avec vous quelques moments qui m’ont marquée depuis mon arrivée à Damas. Certains sont drôles, d’autres incongrus, et tous sont le reflet de ma réalité ici.

*Instants bonheur

Un matin j’ai pris le petit-déjeuner sur la terrasse d’une amie. Il y avait cette belle lumière sur l’immeuble d’en face qui mettait en valeur la peinture bleue. Il y avait le café chaud et les biscuits sur la table. Les rires et les confidences échangés avec mon amie, et ce doux sentiment d’avoir déjà rencontré de belles personnes.

Dans le taxi vendredi dernier, j’ai eu un de ces moments de grâce que j’aime tant ressentir, la fenêtre ouverte, le vent sur le visage, le paysage damascène devant mes yeux et Fairuz dans mes oreilles. La douce impression d’être à ma place et heureuse.

Toutes les fois où j’entends de la musique égyptienne.

En rentrant chez moi un jour, je me suis trompée de chemin. J’ai croisé une petite fille tellement mignonne d’environ 4 ans, à qui il manquait la plupart des dents de devant, et qui m’a gratifiée de son immense sourire avant de se jeter sur moi en criant « Salaaaaam ! » pour me faire un câlin.

Tous ces moments, entourée de mes nouveaux amis dans ma nouvelle vie. Ce sentiment de bonheur d’avoir (re)trouvé ma place quelque part sur la planète.

L’autre jour, quand je suis partie travailler, il y avait ce ciel incroyable qui me souhaitait une belle journée. Le silence du matin lorsque la ville dort encore et que la plupart s’éveille à peine.

*Instants partage

Tous les gens qui offrent de la nourriture : l’homme aux cookies pour Tara, les bouteilles d’eau de la petite pâtisserie. Le vendeur de manaqish près de chez moi qui avait glissé dans ma commande un fatayer en supplément, et l’autre jour en partant il m’en a donné un pendant que j’attendais.

La fois où j’ai pris le taxi, la discussion, le basboussa, l’impression d’avoir partagé 10 ans de vie avec ces personnes. Le taxi était déjà pris par une dame installée à l’avant avec son fils, mais parfois les chauffeurs de taxi s’arrêtent prendre une personne supplémentaire si elle va dans la même direction. Je me rappelle que quand j’habitais à Ouarzazate au Maroc, c’était habituel. Le taxi prenait autant de passagers que de places possibles et même s’ils n’allaient pas forcément dans la même direction d’ailleurs. Cependant, je pense que cette femme était en réalité la femme du chauffeur de taxi avec leur fils, car il est assez rare que les femmes se mettent devant dans un taxi. Toujours est-il que cette fois-là il y avait cette dame dans le taxi. Aux premiers mots que je prononce, comme d’habitude ils reconnaissent mon accent égyptien et me posent toutes les questions d’usage « Tu viens d’où ? », « Comment ça se fait que tu parles égyptien ? », « C’est où le mieux, l’Egypte ou la Syrie ? ». Puis la femme me tend un basboussa que je refuse poliment car je sors du restaurant. Néanmoins, impossible d’insister, offrir de la nourriture dans le monde arabe, c’est sacré et on se doit d’accepter. Après quelques minutes de trajet et beaucoup de rires, je les quitte déjà avec l’impression d’avoir partagé cette petite parenthèse.

*Instants drôles

Tara qui entend l’appel à la prière et se bouche immédiatement les oreilles « Mais je déteste cette musiiiiiique ». J’ai pas encore réussi à la convertir à la beauté du muezzin.

Les petites fautes mignonnes de mes élèves :

Omar, 4e : « Il a pris une frappe de soleil »

Sami, 4e : « Le personnage est tout rayé » (au lieu de « ridé »)

Les garçons de la classe de troisième étaient censés avoir un match de football donc nous n’avions pas placé le test de fin de séquence ce samedi-là. Au retour en classe le dimanche suivant, je leur ai demandé comment s’était passé le match pour finalement apprendre qu’ils n’avaient pas joué. « Mais Madame, c’est la faute à coach Mahmoud ! »

*Instants incongrus

Le jour où je suis allée ouvrir un compte à la banque. Chacun vient avec son sac en plastique rempli d’argent pour le déposer. Un homme est là avec des dizaines d’énormes sacs remplis de billets. De grands paquets sont posés sur le guichet. Il enlève les élastiques de chaque liasse puis les jette (les élastiques) par terre. Il y en a déjà une centaine qui jonche le sol. La machine à compter les billets ne s’arrête pas de fonctionner et son bruit emplit la pièce. Trois employés sont mobilisés pour compter, recompter et organiser les liasses. On lui sert du café. Il balaye la pièce de ses yeux d’un air satisfait.

*Instants qui me rappellent où je vis

Le jour où il y a eu un gros orage et que mon ami est venu me voir pour me dire que c’était l’orage et pas une bombe…

La blague préférée des élèves quand quelqu’un éternue un peu fort « C’est Israël qui attaque Damas ! » (C’est une réalité, Israël attaque régulièrement une base militaire située juste à côté de Damas).

Le brevet blanc pas comme les autres où il y a eu deux coupures d’électricité dans l’école (ça n’arrive pas d’habitude, il y a un générateur). Les élèves ont dû faire une partie de leur épreuve de français dans la pénombre car ce jour-là il pleuvait et il y avait peu de lumière.

Toutes les fois où, tout à coup, au restaurant ou au café par exemple, tout le monde se retrouve dans le noir complet pendant quelques minutes le temps que quelqu’un aille mettre en marche le générateur car il y a une coupure de courant, et que personne ne bronche ou ne semble choqué car les coupures font partie du quotidien.

Voilà une petite sélection de moments vécus ces derniers mois. Je chéris chacun d’eux et essaie de profiter au maximum de ces petits instants quotidiens. 

Les belles personnes #1 – Joseph, une goutte d’eau dans la mer.

Comme je vous le disais il y a deux semaines dans la dernière chronique syrienne, mon voyage à Alep m’a bouleversée et m’a de nouveau montré l’importance des belles rencontres du quotidien, ce qui m’a donné envie de partager avec vous des portraits de personnes rencontrées au gré de mes pérégrinations qui ont particulièrement touché mon cœur. C’est pourquoi j’ai créé cette nouvelle rubrique intitulée « Les belles personnes » qui pointera le bout de son nez entre deux chroniques syriennes.

Je souhaitais commencer avec celui de Joseph, l’une des plus belles rencontres que j’ai faite en voyage, et de ma vie.

Il y a deux ans et demi, je prenais l’avion pour retourner m’installer en Égypte. Dans l’avion qui me menait à mon escale à Athènes, j’ai fait la connaissance de Joseph. Joseph avait 92 ans, il est né et il a vécu toute sa vie à Marseille. Il va se baigner tous les matins à la Corniche. Avant il péchait, mais il a eu une maladie et il ne voit plus d’un œil. Parfois, il va quand même pêcher des oursins pour les cuisiner ensuite pour ses copines comme Carole, l’institutrice qui râle beaucoup. Mais lui, il n’en mange pas des oursins, enfin très peu, s’il en mange un « c’est le bout du monde ! ». Il m’a raconté le Marseille « d’avant ». Celui des vieilles traditions comme la Course des garçons de café, aujourd’hui oubliées.

Mais Joseph est aussi d’origine arménienne. En 2000, il avait donc 74 ans, il s’est dit qu’avant de mourir, il devait connaitre ses origines et voir le pays de ses parents. Alors il est parti, seul, à la découverte d’Erevan. Le matin, il partait tôt dans la ville et ne rentrait que tard le soir à son hôtel. Toute la journée, il marchait à la découverte de la ville et surtout de ses habitants. A Marseille, il entraine encore aujourd’hui des jeunes au foot, « Je suis le plus ancien du club, plus vieux même que le directeur » qu’il me dit d’un air malicieux. Alors c’est tout naturellement qu’il s’est tourné vers les jeunes en Arménie. Il a fait des parties de foot avec le peu de jeunes qui avaient un ballon, et ça lui a fait de la peine tous ces jeunes qui n’avaient pas grand-chose. Alors l’année suivante et les années qui ont suivi, il a ramené une valise pleine de ballons de foot, de raquettes et de balles de tennis et de badminton pour les donner aux jeunes dans la rue. « Oh c’est pas grand-chose, une goutte d’eau dans la mer ! ». Mais quelle goutte magnifique, pleine de bonté et d’humanité. Et ça lui fait plaisir.

Ces ballons et ces raquettes, ce sont des dons des associations parce que lui-même n’a pas grand-chose. Après son divorce il a tout perdu mais il a réussi à s’en sortir parce qu’il vit simplement, qu’il trouve du cuir dans les poubelles des cordonniers et qu’il crée des sacs et des pochettes, c’est son premier métier. Ces quatre dernières années, il n’a pas pu se rendre en Arménie à cause de la maladie, mais cette année, à 92 ans et en n’y voyant que d’un œil, le revoici dans un avion avec une valise remplie de ballons et de raquettes pour les jeunes d’Arménie.

A Joseph et à toutes les gouttes d’eau dans la mer. <3

Chronique syrienne #6 – Alep

Le week-end dernier, je suis allée rendre visite à une amie et passer le week-end à Alep. Il a déjà fallu trouver comment se rendre à Alep. Il y a un système de bus mais le trajet, qui prend environ 4h30 en voiture, prend environ 8/10 heures avec ce moyen de transport. Comme je ne partais que pour le week-end, ce n’était vraiment pas rentable. L’autre solution possible était donc le taxi. Plusieurs possibilités : on peut réserver le taxi pour soi tout seul ou bien le partager avec d’autres personnes. Le taxi collectif est un moyen de transport très répandu dans le monde arabe. Souvent il y a une station de taxis où les taxis attendent que le taxi se remplisse et lorsqu’il est plein, on peut démarrer. Ça peut parfois prendre du temps et il faut généralement s’armer de patience. Il en est d’ailleurs de même avec les microbus. C’était mon moyen de transport favori entre Le Caire et Alexandrie par exemple où j’allais régulièrement passer le week-end lorsque j’habitais en Egypte.

A priori ici, les bus étaient trop longs et pas de microbus, je me suis donc rabattue sur la solution du taxi. On m’a trouvé un taxi collectif qui partait depuis le parc Tishreen dans le centre-ville. Jeudi après-midi avec les cours, Ziad et Nadia, mes collègues, m’ont donc gentiment accompagnée jusqu’au taxi. Et là, les péripéties commencent : le taxi ne démarre pas, la batterie est à plat. Le chauffeur demande donc à Ziad s’il a des pince-crocodiles et le voici donc à dépanner le taxi qui doit m’emmener à Alep… Je me pose quelques minutes la question de savoir si je veux vraiment aller à Alep et faire 4h30 de route avec un taxi qui ne démarre déjà pas de sa position de départ et risquer de me retrouver coincée et seule au beau milieu de la Syrie.

Finalement après un certain temps, le taxi démarre et je décide de faire confiance à la vie. Je monte dans le taxi et je pars donc en direction d’Alep.

Au bout d’1h30 de trajet, nous nous arrêtons pour une petite pause pipi / café. Mais au moment de repartir, c’était prévisible, impossible de faire redémarrer le taxi. Tous les passagers s’y mettent pour tour à tour regarder sous le capot, essayer de faire démarrer le taxi, mais malgré les « Bismillah » d’usage, rien n’y fait, le taxi ne redémarre pas et pas de pinces à l’horizon. Finalement au bout d’un moment, les hommes décident de pousser le taxi (je suis toujours à l’intérieur en train d’observer tout ce manège et de croiser les doigts) et, miracle !, il redémarre.

Le souci du détail : les calligraphies jusque sur les camions.

Pendant le trajet, le chauffeur parle tellement fort que je dois mettre mes écouteurs, parfois même sans écouter de musique, juste pour atténuer le son de sa voix et ne pas avoir mal à la tête. Je regarde le paysage et les hommes discutent. On parle du prix de l’essence, on fait l’inventaire des connaissances peut-être communes. « Tu connais Abu Jihad ? » demande le chauffeur de taxi. L’autre réfléchit puis répond finalement que non. « Mais si celui qui est blanc, le Kurde. » L’autre répond que oui mais j’ai plus l’impression que c’est pour se débarrasser du chauffeur de taxi un peu trop bavard qui continue pourtant : « Bon tu le connais mais tu le connais d’où ? Et Mohamed, tu le connais ? ».

Je les laisse à leur discussion et je m’en retourne à mes pensées. Je regarde parfois la vitesse sur le compteur, l’aiguille s’affole entre 120 et 140 kilomètres/heure incapable de se stabiliser. Ce n’est qu’un des nombreux problèmes du taxi. Mais au-delà de l’aspect comique de la situation, se traduit une bien triste réalité car ce chauffeur n’a certainement pas les moyens de faire réparer son taxi et encore moins de le changer. Alors il rafistole, il tient le coup. C’est le système D. En ce moment au niveau des transports en commun, en raison de la situation toujours tendue à cause du manque d’essence, il n’y a que très peu de transports en commun comme les microbus, même à l’intérieur des villes. J’ai entendu plusieurs témoignages, dont ma prof d’arabe qui me disait que son fils avait mis deux heures pour rentrer à la maison depuis l’université car il ne trouvait pas de microbus. Tout ça pour un trajet de 20 minutes. On observe facilement la cohue lorsqu’un microbus arrive, tout le monde est obligé de se ruer dessus pour espérer avoir une place. La situation économique est terrible, en raison des sanctions économiques sur le pays, la livre syrienne ne fait que chuter alors que les prix, eux, ne cessent d’augmenter. Une grande partie de la population se retrouve donc prise à la gorge.

Nous avançons sur le trajet et nous ne sommes plus très loin d’Alep. Nous avons passé environ 8 ou 9 checkpoints militaires. A chaque fois, il faut s’arrêter, montrer ses papiers (rarement les miens d’ailleurs), souvent ils vérifient l’intérieur du coffre avant de faire une tape sur le taxi pour lui signifier de repartir. Une fois ou deux le chauffeur donne un bakchich.

J’arrive finalement à Alep vers 21h et je retrouve mon amie Mylène que j’avais rencontrée au lycée français de Damas. Lorsque j’arrive chez elle, et comme ce sera le cas pendant une grande partie du WE, l’électricité est coupée. Comme à Damas, l’électricité est rationnée mais ici les coupures sont plus longues et plus régulières. Nous commençons à diner dans une ambiance tamisée avant que l’électricité ne revienne finalement un peu plus tard. Au programme du repas : de la charcuterie ! Il y a une grande communauté chrétienne et surtout arménienne à Alep, ce qui permet de trouver ce genre de nourriture. Nous nous retrouvons avec grand plaisir autour de ce bon repas et discutons quelques heures avant d’aller nous coucher. J’ai besoin de dormir après ce voyage.

Le lendemain, Mylène me fait découvrir sa ville. Nous partons en voiture dans la ville en direction de l’est de la ville. Le temps a décidé de rajouter à l’atmosphère morose de la ville : le ciel est très gris et il pleut. Très vite, de nombreux bâtiments détruits apparaissent. Nous sommes pourtant en plein cœur de la ville. Nous passons à travers divers lieux, l’ancienne rue des banques, le long de la citadelle, le centre-ville et l’hôtel Sheraton miraculeusement épargné… Tous détruits. Nous traversons ensuite l’ancienne vieille ville touristique désormais en ruine. Il n’y a qu’un chemin dégagé pour se frayer un passage au milieu des débris. A un moment-donné, j’aperçois deux personnes assises dans leur « salon » au milieu de ces ruines : une partie du toit est effondrée, il n’y a plus de fenêtre, bien sûr aucun meuble ou objet qui rappelle que ce fut un jour leur appartement.

Le choc est total. Je savais que la ville avait beaucoup souffert de la guerre et qu’une partie avait été détruite, mais je ne pensais pas que le chaos était autant « central ». A Damas, le centre-ville a été relativement préservé même si des obus et des attaques à la bombe ont éclaté ici et là (ce qui n’est déjà pas rien, soyons clair !). Mais à Alep, la guerre n’a pas seulement touché, elle a pulvérisé le cœur de la ville.

Nous garons la voiture et allons marcher un peu dans les coins moins touchés de la ville. Peu à peu, je le verrai tout au long du week-end, la vie reprend ses droits et certains bijoux sont rénovés. Nous nous rendons dans un de ces petits bijoux : l’Institut de tourisme que mon amie a monté il y a 20 ans. C’est une merveille architecturale. Le lieu a été touché 3 fois par des obus pendant la guerre et a depuis été rénové. Il accueille des étudiants en tourisme qui préparent l’équivalent d’un BTS. Autrefois l’Institut était jumelé avec un établissement similaire à Paris et de nombreux échanges étaient organisés. Aujourd’hui, même si le jumelage existe toujours, les échanges ne sont évidemment pas possibles. C’est un petit havre de paix au milieu de ce chaos. Car derrière, c’est justement la vieille ville dévastée.

Nous continuons notre visite dans une partie des souks qui a été moins endommagée, mais la plupart des boutiques sont vides. En plus des conséquences matérielles de la guerre, il y a les conséquences économiques mais également l’impact du corona qui s’ajoute à cela. Quelques rares boutiques ont tout de même ouvert leurs portes. Plus loin, nous passons près de la très belle horloge restaurée, juste à côté du Sheraton, puis devant une très belle mosquée rose avec la pierre traditionnelle d’Alep et l’hôtel Baron qui a changé de propriétaire.

Les nouveaux proprios de l’hôtel Baron sont plutôt cool.

Nous passons acheter les meilleurs sandwichs au sujuk (des sortes de saucisse) et mortadelle chez le meilleur vendeur de sujuk du coin puis nous rentrons un peu à la maison nous reposer.

Plus tard, nous nous rendons à l’école des Franciscains rendre visite aux sœurs. J’ai une petite passion pour les bonnes sœurs depuis que j’ai travaillé avec elles au Collège de la Mère de Dieu au Caire et je suis contente de rencontrer des religieuses en Syrie. Nous sommes accueillies par sœur Antoinette que mon amie connait bien. Sœur Antoinette est originaire de Homs. Elle a été missionnaire en Italie, en Tunisie et même en Égypte, et elle est désormais ici à Alep. Dans l’école des Franciscains se trouve un centre pour enfants autistes mais aussi un atelier de tricot que Sœur Antoinette a mis en place. Elle et les autres sœurs tricotent de nombreux articles : des écharpes, des bonnets, des décorations de Noël et même des vêtements. La qualité de la laine est très bonne et la technique impeccable. Je craque pour une crèche et des petites décorations pour le sapin : c’est la tradition avec ma mère, je lui ramène des décorations de Noël des pays où je voyage. Elle ne recevra pas cela avant l’année prochaine mais ce n’est pas grave, j’en profiterai en attendant.

Les ventes de ces créations servent à faire fonctionner l’école mais aussi aux réfugiés dont s’occupe Sœur Antoinette. Cette rencontre me réchauffe le cœur. Au milieu du chaos, cette lueur d’humanité me rappelle que l’important est de donner le meilleur de soi-même chaque jour pour les autres.

Je suis de plus en plus pessimiste sur l’état du monde et surtout sur tous les gouvernements. Quand je vois ce qu’il se passe en France, je me sens vraiment inquiète quant à l’avenir de notre pays. Et quand je regarde ce qu’il se passe dans le monde, j’ai du mal à avoir beaucoup d’espoir. Mais lorsque je rencontre des personnes comme sœur Antoinette, des personnes qui dédient leur vie à celle des autres, je me rappelle que les petites actions sont actuellement les actions importantes. Ce sont celles qui ont du sens. Si chacun d’entre nous était réellement bon, désintéressé et faisait le maximum pour l’autre, la vie serait plus facile pour nombre d’entre nous.

Une amie soudanaise m’a dit un jour, lorsque je lui disais que je souhaitais me réorienter vers l’humanitaire, que je ne devais pas avoir l’ambition de tout changer et que je devais accepter les petites victoires. Dans le Coran il est d’ailleurs écrit : « Sauvez une vie, c’est sauver l’humanité toute entière ». Ce n’est pas toujours facile d’accepter qu’on n’est que peu de chose, qu’on a un impact seulement limité sur le monde, mais parfois de petites rencontres nous rappellent que ce peu de chose représente en réalité beaucoup pour d’autres. Au cours de mes voyages, j’ai d’ailleurs rencontré tout un tas de belles personnes qui m’ont redonné foi en l’humanité et je souhaite vous les partager avec une nouvelle rubrique qui s’appellera « Les belles personnes ».

Samedi matin, nous avons rendez-vous à neuf heures pour une visite guidée des souks restaurés. Le rendez-vous est donné en face de la Mosquée des Omeyyades, en grande partie détruite pendant la guerre. Le minaret haut de 47 mètres a été pulvérisé et il est aujourd’hui en reconstruction. Chaque pierre à l’intérieur de la cour faisait partie du minaret et l’on essaie de le reconstruire à l’identique.

 

Tout autour de la mosquée se trouvaient de nombreux souks qui ont été détruits pendant la guerre comme la majorité des bâtiments dans ce quartier.

 

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Mais les commerçants ont décidé, de leur propre initiative, de reconstruire et rénover les souks. Cela a également été l’occasion de tout uniformiser et de rebâtir selon les traditions. Les rideaux de fer des devantures ont été remplacés par de magnifiques portes en bois par exemple. Une partie du souk est désormais rénovée mais seulement de l’extérieur : l’intérieur des rénovations sera à la charge du petit commerçant qui prendra l’échoppe.

 

Les éternels gardiens.

Après la visite des souks, et puisque le départ approche déjà et que je ne peux quitter Alep sans acheter son célèbre savon, je me rends chez Monsieur Ahmed pour en acheter un bon kilo.

Nous allons ensuite prendre un café avec Mylène et deux de ses amies présentes pendant la visite des souks. La discussion tourne vite vers les difficultés financières dans le pays et la difficulté pour tous de gérer cette vie compliquée. Beaucoup de Syriens ont une partie de leur vie au Liban, de la famille, un appartement, des affaires, un compte en banque. Mais comme la situation se dégrade également au Liban, tout devient compliqué. Ne serait-ce que pour se rendre au Liban : le taxi entre Damas/Alep et Beyrouth coûte très cher par rapport à la valeur de la livre syrienne, et avec le corona les mesures sanitaires compliquent encore plus la tâche.

Sur le chemin du retour chez Mylène, nous traversons la ville pour déposer les amies de Mylène. A chaque rue, un souvenir, une anecdote sur un temps révolu, balayé par la guerre. L’une d’entre elles dit alors : « Chacun pleure son passé », il ne reste plus que cela.

Nous quittons les amis de Mylène et rentrons chez elle pour un dernier déjeuner ensemble. Après toutes les émotions de ce week-end, nos conversations sont enflammées et il est agréable de pouvoir échanger de manière aussi riche, chacune avec son vécu, son histoire, ses expériences, et toujours l’oreille et le cœur ouverts à l’autre.

Encore une fois Mylène, merci pour tout, ton accueil, ton temps, ton énergie, ta douceur et tout ce que tu as partagé avec moi <3

Vers 14 heures, le taxi est là pour me ramener à Damas. Sur le chemin du retour, contrairement à la dernière fois, il fait jour et je vois donc le paysage. Jusqu’à Homs ce ne seront que des destructions. Des villages anéantis désertés ou bien occupés par des militaires. Elle semble bien loin ma bulle damascène.

Peu avant d’arriver à Damas, lorsque je reconnais la route puis lorsque nous entrons dans la ville, j’ai la douce sensation de rentrer « chez moi ». Je reconnais les rues, les bâtiments, les cafés, les décorations, les rues où habitent mes amis. J’ai cet agréable sentiment : ça y est, je suis réellement chez moi ici.

Mon Monde Arabe

Je me rappelle clairement ce que j’ai ressenti dans le bus depuis Marrakech pour Ouarzazate, la première fois que j’ai franchi les portes du Monde Arabe en janvier 2013. Cette sensation de découvrir un monde où tout m’était jusqu’alors inconnu. J’ai passé plusieurs mois à faire mon stage de Master à Ouarzazate, une parenthèse hors du temps, aux portes du désert, où la vie suit tranquillement son cours. J’ai passé mon temps à aller à l’école, me promener dans les rues de la ville, aller faire mes courses au marché, apprendre à cuisiner le tajine, passer des midis à rire chez ma famille d’accueil, aller boire le thé au café du coin. J’ai eu l’impression de mettre ma vie sur pause pendant quelque temps, j’ai appris à prendre le temps, à laisser couler, à ne pas m’énerver tout de suite, à profiter…

Je me rappelle que quand j’ai mis les pieds au Caire la première fois il y a six ans, j’ai su instantanément que j’allais vivre quelque chose de fort là-bas. C’était comme si cette ville m’attendait. J’ai été tout de suite fascinée par cette ville, j’ai senti son énergie m’envahir dès les premiers jours. J’y ai vécu des moments forts. J’étais supposée rester un mois mais je savais dès le départ que j’allais rester bien plus longtemps. Et c’est ce qui s’est passé. Après le supposé mois, je suis rentrée en France passer ma soutenance de mémoire, puis 10 jours plus tard, je repartais pour un temps indéterminé. S’ouvrait ainsi un chapitre passionnel long de six ans avec ce pays merveilleux. Le Caire fut pourtant une véritable claque. Vivre dans cette ville m’a complètement transformée. C’est une ville épuisante de plus de 20 millions d’habitants, très polluée, conservatrice, avec un fort taux de pauvreté. Une ville qui a été très affectée par la Révolution et qui se remet doucement, mais où les problèmes subsistent. Au fur et à mesure de mes voyages là-bas, j’ai appris à me débrouiller seule, à ne pas me faire arnaquer dans le taxi ou au marché, à négocier au souk, à me débrouiller un maximum en arabe, à déambuler dans les rues du Caire, à connaître les lieux intéressants et alternatifs de la ville… Bref à y vivre. Et cette expérience m’a beaucoup fait grandir et m’a donné confiance en moi. Mais ça a aussi, et surtout, été une grosse claque personnelle quant à ma manière de vivre. Je ne pourrai jamais décrire ce que j’ai vu dans les yeux de tous ces jeunes qui m’ont raconté leur Révolution. Ce qu’ils ont vécu et subi pendant près de 4 ans. Lorsque je suis arrivée, la Révolution venait de prendre fin et l’actuel président Sissi venait d’être élu. Tout était encore frais dans les mémoires de ces gens-là. Ils ont partagé avec moi tous leurs souvenirs et leurs émotions et j’ai réellement pris conscience à ce moment-là de mon statut de privilégiée. C’est à ce moment-là que la remise en question sur ma manière de vivre a débuté et que j’ai réellement commencé à changer ma façon de vivre et surtout de consommer. Après de nombreux voyages, j’ai finalement décidé de déménager au Caire en 2018, sans savoir réellement ce que je voulais faire exactement ni combien de temps je voulais rester. Je suis finalement restée 2 ans en travaillant comme professeure de français dans un collège tenu par des bonnes sœurs. Une expérience unique qui m’a donné un nouveau regard sur le pays. J’ai partagé le quotidien de ces adolescentes, découvert l’Égypte à travers leurs yeux, vécu des moments forts et intenses, l’amour-haine avec les Sœurs, retrouvé mes amis égyptiens, voyagé encore et toujours dans mon pays d’amour et découvert de nouvelles merveilles.

Arrivée au Caire en 2014, les traces de la Révolution sont encore là.
Première rencontre avec l’Art de Naguib.
Naguib <3
Une partie des garçons <3

 

Je me rappelle précisément de la première image que j’ai vue en Palestine, la première photo que j’ai prise dans le bus après avoir enfin passé le poste-frontière. 10 ans que j’attendais de m’y rendre. J’ai vécu 3 mois d’une intensité incroyable, pleins de doutes et de remises en question, de tristesse et de colère mais aussi de joie et de moments partagés. J’étais venue dans le but de voir ce qui se passait vraiment là-bas et de soutenir, je ne savais pas encore de quelle manière, la population. J’ai donc fait du volontariat pendant 3 mois, tu peux lire les articles à ce sujet ici et . Ça a été la seconde grosse claque de ma vie. Après l’expérience de la Palestine, le retour en France a été douloureux. J’ai réalisé que je ne voulais plus seulement changer les choses chez moi avec ma façon de consommer par exemple (même si ces valeurs me tiennent toujours à cœur), mais que je voulais prendre part au combat de manière plus concrète, plus intense et surtout sur place. Six mois après mon retour, je repartais donc « là-bas » pour m’installer au Caire quelques temps.

Je me rappelle la sensation que j’ai eue en traversant le Liban pour rejoindre la Syrie, en passant une nouvelle frontière qui m’ouvrait les portes de nouvelles aventures. Depuis deux mois, je découvre un nouveau pays arabe et cela ne fait que renforcer mon amour pour le Moyen-Orient. Alors que je disais depuis un an que j’allais faire une pause du Moyen-Orient, il m’a rattrapée sans que je n’y puisse rien car de toute manière c’est plus fort que moi (mon tattoo « Ghasb 3ani » : « C’est plus fort que moi », n’est d’ailleurs pas là par hasard). Je dois tout de même avouer que comme destination, je ne m’y attendais pas ! C’est pourtant ici à Damas que se déroule donc ma nouvelle aventure. Ma vie en Syrie m’apporte, et c’est toujours bizarre de dire cela vu le contexte de sortie de guerre du pays, une grande sérénité, mais elle me confronte aussi à une autre réalité que je n’avais jusque-là jamais vécue : les conséquences et les restes d’un pays en sortie de guerre, et me donne encore une fois la volonté de m’engager pour apporter ne serait-ce qu’un soupçon d’aide d’une manière ou d’une autre.

On me pose souvent la question « Pourquoi le Monde Arabe ? ». C’est vrai qu’il y a de quoi être étonné quand on voit ma tête de rouquemoute tatouée. Jamais je n’aurais pensé que ma vie prendrait cette tournure et que je finirais complètement happée par cette région du monde. Quand j’étais adolescente et jeune adulte, je n’avais que l’Europe du Nord en tête. Je rêvais d’être styliste à Londres, j’y passais quelques jours chaque année. Je rêvais de Grand Nord alors j’ai voyagé en Suède puis en Norvège (mon premier voyage solo). J’ai passé une année Erasmus à Berlin et voyagé à droite à gauche. Rien ne me prédestinait au Monde Arabe. Ça a été un long processus qui a lentement pris possession de toute mon âme. Ces sept dernières années j’y suis partie de plus en plus loin et de plus en plus longtemps. Et petit à petit ce monde ne me quitte plus jusqu’au point de non-retour dans lequel je me trouve actuellement où je ne me vois carrément plus vivre sans lui.

Outre le fait que je suis convaincue que dans une autre vie j’étais mariée avec Salah El Din et que mon inconscient me relie à cette partie-là de ma vie, je crois qu’il y a plusieurs raisons à cette passion.

Je crois que ce que j’aime là-bas, c’est le défi que cela représente. Le Maroc était pour moi une belle et tranquille entrée en matière avec le Monde Arabe. Certes chaque pays est (très) différent mais on peut quand même trouver des similarités culturelles à peu près tous les pays arabes. J’ai pu tranquillement me familiariser avec les codes sociaux, le rapport au temps, à la famille, à l’Occident, etc. Puis l’Égypte m’a endurcie et renforcée, m’ouvrant les yeux sur une autre réalité du monde et sur ma condition. La Palestine m’a bouleversée et a remis en question tous mes choix de vie, même ceux qui me semblaient solides, pour m’envoyer vers une autre vie. La Syrie me porte doucement vers une autre direction, plus loin dans l’engagement. J’aime ce que le Monde Arabe a fait de moi : une personne plus forte et plus courageuse, il m’a rendue plus extravertie, m’a appris à beaucoup relativiser et à m’engager.

Il m’offre également chaque jour ses richesses à travers ses cultures que ce soit en traditions, coutumes, livres, musiques, cinéma… J’aime le cinéma de Nabil Ayouch, Youssef Chahine, ou Lyes Salem, les romans d’Alaa El Aswany, Naguib Mahfouz et Tahar Ben Jelloun, les BD de Zeina Abiracheb ou Riad Sattouf et beaucoup d’autres. J’ai d’ailleurs sur ce blog une page où je note les références des œuvres littéraires et cinématographiques que j’ai lues/regardées. Quand on commence à s’intéresser au Monde Arabe, la richesse de son histoire et de ses cultures est un puits sans fin.

Mais la raison majeure qui m’a fait aimer le Monde Arabe, ce sont les gens. On peut adorer une ville, un pays, on ne reste que si l’on a rencontré de belles personnes. Et dans ce Monde Arabe, j’en ai rencontré à la pelle des gens fabuleux. Ça a d’ailleurs commencé loin du Monde Arabe, en France. Tout d’abord avec mes élèves issus de l’immigration, et ils ont été nombreux, qui ont permis d’éveiller en moi deux passions : le Monde Arabe et l’enseignement. Puis avec des amis proches. Les deux personnes qui m’ont le plus marquée et qui m’ont doucement amenée vers ce destin-là, sont mes amies Meriem et Amina.

Meriem est une ancienne collègue avec qui j’ai travaillé comme surveillante en 2011-2012. Le coup de foudre amical a été immédiat et nous n’avons jamais quitté la vie de l’autre depuis. Elle est la personne qui a réellement commencé à m’ouvrir les yeux sur le Monde Arabe, les gens et la beauté de la religion musulmane. Elle m’a ouvert les portes de sa vie et de sa famille et m’a permis plus tard de partir en stage au Maroc, accueillie par une partie de sa famille qui m’a, à son tour, fait entrer dans leur vie, leur culture et leur intimité. Aujourd’hui mon amitié avec cette femme, d’une bonté et d’une douceur infinies, est intacte, près de dix ans après notre rencontre et malgré les kilomètres. Elle est mon alter égo en terme de sensibilité et nos moments partagés sont toujours intenses en émotion.

Amina est également une ancienne collègue avec qui j’ai travaillé en 2014 dans un autre établissement scolaire. Ici aussi, le coup de foudre amical a été immédiat. Outre les fous rires quand nous rentrions de la piscine à deux sur mon vélo, nous avons partagé six mois très forts en discussions et en échanges. Elle a continué mon éducation en culture arabe, langue et religion. C’est d’ailleurs elle qui m’a conseillé l’un de mes livres préférés « Aïcha, la bien-aimée du Prophète ». J’ai eu la chance de la rencontrer et de passer ces quelques mois avec elle, avant que chacun ne prenne son propre chemin. Je sais que notre rencontre m’a marquée à jamais et que notre amitié perdure également malgré le temps et les kilomètres.

Une fois arrivée dans le Monde Arabe, les rencontres fabuleuses ne se sont pas taries, loin de là. Dès mon premier jour au Maroc, alors que j’étais à la gare routière de Marrakech et que j’attendais le bus qui me conduirait à Ouarzazate. Dans la salle d’attente, j’étais assise à côté d’une dame et son petit garçon alors âgé d’environ 8 ans. Je vois du coin de l’œil la femme indiquer à son fils de me proposer un des biscuits qu’il était en train de manger. J’accepte. Commence alors une belle amitié avec ma chère amie Houda que je revois à chacun de mes voyages au Maroc.

En Égypte, de nombreuses rencontres m’ont marquée à jamais. Bien entendu, il y a le seul et unique Naguib, mon Égyptien préféré, celui qui a changé ma vie et que je ne pourrai jamais remercier assez de m’avoir ouvert la porte de l’Égypte. Tous ses amis, Boda, Mahmoud, Abdu, Islam, Tuni, Mustafa, ceux que j’appelle « Les garçons » et qui sont mes plus proches amis au Caire. Ils m’ont complètement intégrée, m’ont montré comment survivre dans cette ville folle, m’ont appris des rudiments d’arabe et ont partagé avec moi leurs souvenirs, leurs espoirs, leurs doutes.

Alors oui le Monde Arabe, ce n’est pas tout rose. Il y a des problèmes, plein de choses qui ne vont pas, de grands changements nécessaires et des gens mauvais comme partout. Mais pour ma part, je crois réellement qu’il a fait ressortir le meilleur de moi-même et c’est pour cela que j’essaye de lui donner moi aussi en retour le meilleur de moi-même.

À tous mes amis, anciens, nouveaux, en France, au Maghreb ou au Moyen-Orient. Aux potes, aux frères, aux sœurs, aux collègues, aux passants. Aux Marocains, aux Algériens, aux Égyptiens, aux Palestiniens, aux Syriens.

Je vous aime, merci pour tout <3