Les belles personnes #3 – Sara, du Caire à la Mecque… à vélo !

En ce 8 mars 2021, journée internationale de lutte pour le droit des femmes, j’ai eu envie de vous partager le portrait d’une femme qui m’inspire.

Fin 2019, juste avant la pandémie, Sara, 32 ans, tunisienne, vivant au Caire, entreprend un voyage d’environ deux mois seule et à vélo. Elle part du Caire le 1er novembre 2019 et traverse l’Égypte, le Soudan puis prend le ferry pour l’Arabie Saoudite avant de pédaler ses derniers kilomètres pour arriver à son but final : La Mecque, le 24 décembre.

J’ai découvert Sara grâce à Instagram, et confortablement installée dans mon appartement cairote, je prenais un réel plaisir à la suivre au fur et à mesure de son avancée à travers ce voyage pas comme les autres.

Je l’ai contactée et ai découvert une personne simple, sensible et humble. J’ai eu envie de vous partager le voyage mais aussi la belle personnalité de cette voyageuse.

Nous avons fait cette petite interview à distance, j’ai envoyé mes questions puis Sarah m’a répondu par vocaux, ce qui explique parfois un petit manque de fluidité.

Peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Sara, j’avais 32 ans au moment du voyage, j’en ai 33 aujourd’hui. Je suis éducatrice Montessori et traductrice. En Égypte j’occupais les deux fonctions et depuis la crise Corona et depuis le voyage je ne fais que la traduction pour le moment avant de pouvoir reprendre, Inshallah, mon activité principale.

D’où t’es venue l’idée de ce voyage ?

L’idée du voyage existe depuis très longtemps, c’est un rêve, celui de pouvoir partir à pied avec un âne qui m’accompagne. Du fait de la législation de l’époque, j’attendais de me marier pour pouvoir le faire puisque l’Arabie Saoudite n’autorisait pas de voyager sans tuteur. Le tuteur est quelqu’un de ta famille, ton père, ton frère ou ton mari. Donc c‘était la condition pour un éventuel mariage mais je ne me suis pas mariée et entre temps je me suis mise aussi à faire du vélo dans mon quotidien et à chaque fois je m’imaginais « Tiens, et si j’allais plus loin que juste Le Caire ? ». Et quand il y a eu un premier appel d’offre d’une marque du Sud de la France qui a fait un appel à projet, je savais que je n’allais pas être prise car je ne correspondais à aucun critère, mais ça m’a obligée à formaliser mon projet et du coup à lui donner une idée plus concrète que ce qu’il était puisqu’avant c’était juste un rêve. Et le fait de formaliser tout ça, ça m’a motivée, ça m’a permis de voir les différentes routes que je pouvais prendre, d’étudier la question du visa pour l’Arabie Saoudite, et à ce moment-là, il y avait cette faille en fait dans le système où tu pouvais avoir un visa en tant que femme seule si tu partais pour la formule E par exemple (*c’est un visa pour les évènements sportifs et culturels). Je me suis dit je vais-je transformer en femme de formule E comme ça je vais pouvoir y aller. Ensuite il y a eu l’appel d’offre de Riverside Décathlon auquel j’ai participé et j’ai été accepté donc on m’a donné un vélo pour le temps de mon voyage. A partir de là, il n’était plus question de retourner en arrière et je suis donc passée de la formalisation à la concrétisation, à choisir un tracé particulier, à déposer des dossiers pour le visa. J’ai vraiment galéré pour l’Arabie Saoudite mais j’ai eu de la chance, un mois avant mon départ l’Arabie Saoudite a ouvert le visa touristique donc ça m’a sauvée et je n’ai pas eu de difficultés en amont. J’ai eu des difficultés avant ça mais à partir de là ça s’est fait très vite et sur internet sans même avoir à se déplacer.

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Etais-tu déjà une grande cycliste avant ce projet ? Avais-tu déjà fait des voyages à vélo ?

Je n’étais pas une grande cycliste du tout avant ce projet donc ce qu’il s’est passé c’est que j’avais un ami en Égypte qui est parti étudier en Allemagne et qui m’a laissé son vélo et j’ai fait de ce vélo à partir de ce moment-là un compagnon du quotidien. Ce n’était pas évident au départ du fait de la circulation au Caire, et je pense que j’étais également très attachée au regard des gens et je pense que justement le vélo m’a permis de m’en détacher. Et à partir du moment où j’ai réussi à m’imposer dans les rues du Caire face aux motos, aux voitures, aux bus, aux microbus, et une fois que j’ai accepté de me prendre toute la fumée d’un car devant moi, ça a ajouté beaucoup d’adrénaline dans ma vie et ça m’a aussi fait regarder Le Caire d’un autre œil. Je me souviens que quand j’étais dans le bus et que j’en pouvais plus des embouteillages, des fois on était bloqués pendant une heure ou deux, j’étais trop fière à vélo de pouvoir éviter tout ça. Le vélo ça m’a vraiment fait aimer encore plus Le Caire je pense.

Comment t’es-tu préparée pour ce voyage ?

Pour la préparation du voyage, c’était vraiment au niveau administratif dans un premier temps pour voir la faisabilité de mon projet, même si en ayant les visas je n’étais pas sûre de la faisabilité de mon projet, mais je partais avec l’idée en tête qu’à tout moment je pouvais m’arrêter, du fait de la situation du pays ou du fait que je suis une femme seule à vélo, ou du fait de mon corps aussi parce que je n’avais aucune idée de ce dont mon corps était capable, des distances que mon corps pouvait parcourir à vélo. Donc dans un premier temps c’était une préparation administrative, après pour la préparation de l’itinéraire, c’était plus encore une fois en terme de faisabilité, essayer d’imaginer le terrain, et de savoir de combien d’eau j’ai besoin de telle place à telle place, autant en Egypte c’était simple parce que tu as beaucoup de villes, donc tu trouves toujours où te réapprovisionner en eau, mais au Soudan c’était plus compliqué, mais aussi pour la partie désertique en Egypte entre Assouan et Abu Simbel, je me suis renseignée auprès de gens qui ont fait le voyage vers l’Afrique du Sud et qui avec qui ont partagé (les informations sur) une portion de route mais après moi je suis remontée au niveau du Soudan donc j’avais pas beaucoup d’informations. Mais en tout cas jusqu’à Khartoum (*capitale du Soudan), j’ai pu avoir des informations donc je me suis renseignée auprès de voyageurs qui l’avaient fait avant moi. Ensuite il y a aussi eu une préparation au niveau de la famille, de petit à petit annoncer la couleur de ce voyage tout en prenant mes précautions pour pas les brusquer. Au niveau du matériel aussi, j’ai eu le vélo mais il a fallu l’équiper donc j’ai vu au niveau de ce que j’avais déjà parce que je faisais de la randonnée, et j’ai aussi vu avec mon frère parce qu’il avait déjà fait un petit voyage de trois jours donc il avait les sacoches, et j’ai aussi acheté des choses. Après pour la préparation sportive, j’ai arrêté de faire de la boxe car j’avais peur de me blesser et j’ai fait ce que je n’ai jamais fait, c’est-à-dire qu’un mois avant le voyage, je me suis inscrite dans une salle de sport pour travailler mes membres inférieurs. C’était la première fois que je m’inscrivais dans une salle de sport et l’idée était vraiment de muscler mes jambes parce que je me suis dit que ce que j’allais leur demander allait être prenant. Mais au final ça n’a rien à voir, si tu fais deux heures de sport, de muscu en salle, ça n’a rien à voir avec l’effort que tu fournis en pédalant tous les jours toute la journée.

 

Quelles étaient tes appréhensions avant de partir ?

Je pense que je n’avais pas d’appréhensions mais qu’à un moment je me suis laissée absorber par la crainte des autres, de gens qui m’aiment ou qui ne m’aiment pas mais la crainte de membres de ma famille, d’amis, la crainte du bawab (*sorte de gardien d’immeuble en Égypte), quand je lui ai dit que je partais, il était dans tous ses états, je lui ai seulement dit que je partais à vélo jusqu’à Assouan et pas jusqu’à la Mecque, mais il était dans tous ses états en me disant que les gens sont mauvais, qu’il allait m’arriver plein de mauvaises choses, etc. Et je pense que du coup j’ai porté toutes ces appréhensions, surtout au moment du départ. Je pense que ça a été le moment le plus dur psychologiquement lorsque j’ai dû sortir de chez moi et laisser les clés, laisser l’appartement dans lequel j’ai vécu toutes ces années et laisser le connu et le confort pour aller vers l’inconnu. A partir de là, à partir du moment où je prends la route par contre il n’y a plus d’appréhensions. Mais à chaque fois que je rencontrais quelqu’un, ils me disaient « Non mais tant que tu es là ça va, mais après tu vas voir » et ils mettaient tous leurs à priori qu’ils pouvaient avoir sur les peuples qui arrivent après eux. Mais une fois que je suis sur la route et que le mouvement s’installe, tout disparait.

La plus grande appréhension, je pense que ça a été de me dire que je n’allais pas pouvoir entrer en Arabie Saoudite à vélo puis à la Mecque à vélo. Mais en vrai, plus j’avançais, plus je me disais que c’était possible et que même si c’était pas possible, tout ce qui avait été parcouru me suffisait, en terme de tout ce que j’ai pu apprendre, en terme spirituel aussi ce voyage m’a beaucoup apporté.

Qu’est-ce qui t’a surprise pendant le voyage ?

Ce qui m’a surprise pendant le voyage, c’est que justement je n’ai pas retrouvé les préjugés que je pouvais entendre avant de partir. C’était « Les gens ne vont pas accepter qu’une femme seule voyage », c’est vrai que je connais l’Égypte et que je savais que les gens allaient accepter, mais je ne savais pas du tout ce que ça allait donner avec le vélo. « Sara la culture du vélo les gens ne vont pas comprendre. Là ça va t’es au Caire mais à partir du moment où tu vas arriver dans le Saïd, les gens ne vont pas comprendre ». Bref, des idées de ce type. Du coup j’ai été surprise du fait que, même si tout le monde ne comprenait pas ce que je faisais, en passant du temps avec eux ils se rendaient compte que j’étais une personne normale, c’est juste que j’étais à vélo (rires). Mais moi ce qui m’a surprise, c’est pas ça, c’est de rencontrer plein de cyclistes tout au long du voyage dans les trois pays donc l’Égypte, le Soudan et l’Arabie Saoudite, et des filles cyclistes dans ces trois pays. Et ce qui m’a surprise c’est que j’ai eu aucune difficulté à faire du vélo seule en Arabie Saoudite. La seule difficulté que j’ai eue, ça a été pour faire rentrer le vélo (en Arabie Saoudite) car j’étais le premier cas de figure de personne qui entrait en Arabie Saoudite par le Soudan avec un visa touristique et en plus avec un vélo. Donc c’était plus un souci administratif. Et après ça en Arabie Saoudite, j’ai été confrontée dès le départ à rouler de nuit, j’appréhendais mais ça s’est très bien passé. Après il y a eu le voyage vers la Mecque, j’appréhendais beaucoup et j’attendais à tout moment de me faire arrêter, et je me suis fait arrêter mais une fois que j’ai dit d’où je venais, j’ai été accueillie avec les plus beaux mots qu’une personne puisse espérer et pour moi c’était vraiment de l’ordre de l’inattendu en fait.

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Qu’as-tu ressenti quand tu es arrivée à la Mecque ?

En arrivant à la Mecque… Quand je disais que c’est de l’ordre de l’inattendu… Alors vingt kilomètres avant d’arriver à la Mecque, tu as le checkpoint qui permet de laisser rentrer les musulmans et d’inviter les non-musulmans à prendre une autre route (*l’accès à la Mecque est interdit aux non-musulmans), moi j’étais persuadées que j’allais être arrêtée et que le voyage allait se terminer là. Je me demandais juste comment ça allait se passer une fois qu’ils allaient me demander de descendre de vélo. Par contre, ce qu’il s’est passé c’est que le policier m’arrête et il me dit « Wesh » et je lui ai dit « Wesh », il m’a dit « Wesh », je lui ai dit « Wesh », bref on a fait le ping-pong de wesh jusqu’à ce qu’il me demande où je vais donc je lui dis « A la Mecque », il me dit « Comme ça ? » en montrant mon vélo, je lui dis « Oui comme ça » du coup il me demande d’où je viens, et là pour la première fois je lui dis où je vais vraiment parce que jusqu’à présent je disais la ville d’où je venais juste avant et la ville où j’allais juste après mais je ne disais pas forcément ma destination finale ni d’où je venais. Donc je lui dit « Le Caire » et là il dit à son collègue « Tu peux pas l’arrêter », donc son collègue rentre à l’intérieur et là je me dis que c’est foutu, qu’il va appeler les flics, le grand patron et c’est fini. Sauf qu’il sort avec des bouteilles d’eau et qu’il me dit « Tu as illuminé la ville de la Mecque » et ce qu’il s’est passé c’est qu’après sur les vingt kilomètres qu’il restait, je me suis fait arrêter de nouveau et à chaque fois que je me faisais arrêter, j’avais trop peur que ce soit la fin, donc à chaque fois on me demandait de m’arrêter, il y avait des voitures qui arrivaient et je me disais « Ca y est, le grand boss est au courant et ils viennent pour m’arrêter ». Moi je voulais seulement gagner des kilomètres, je me disais « Allez tu es à 12 kilomètres de la Mecque, 10 kilomètres de la Mecque… » et à chaque fois ils bloquaient le passage pour que je m’arrête mais au contraire, c’était pour me donner de l’eau, des sandwichs. Et je suis arrivée à la Mecque avec plein d’eau et à la fin quand je suis arrivée dans la ville de la Mecque, vu que c’était le vendredi, la ville était vide et il n’y avait que la police qui tournait. Et à un moment, la police s’arrête et ils me disent « T’as l’air perdue. » et je leur dis « Oui en fait je ne sais pas comment rejoindre l’hôtel. » dont ils me disent « On ne peut pas t’aider, est-ce que tu sais s’il y a un endroit à côté ? », j’ai dit « je ne pourrais y aller que depuis l’esplanade en fait, la grande esplanade qui donne accès à la Ka’ba. » Et il me dit « ben vas-y » donc je lui demande si je peux y aller comme ça et il me dit que oui. Et moi je ne m’imaginais même pas en fait, pour moi j’allais aller à la Mecque, j’allais arriver à l’hôtel et après j’allais continuer à pied. Je ne m’imaginais pas arriver sur l’esplanade avec mon vélo, c’était juste inimaginable. Du coup il m’a dit « Oui tu peux y aller comme ça, c’est ta ville, cette ville est la tienne. » Donc je continue à faire du vélo et là il y a la sortie de la prière, donc t’as tous les pèlerins et les gens qui faisaient la prière qui sortent. Donc petit à petit je me rends compte que je ne peux plus pédaler donc je descends de mon vélo et je pousse le vélo et je sens que je me rapproche en fait, je me mets à voir toutes les images que j’avais vues de la Mecque avec tous ces pèlerins et j’étais dans cette foule mais avec mon vélo qui m’avait accompagné pendant ces deux mois et du coup j’avais du mal à y croire. Et plus j’approchais du centre, plus mon cœur se centrait. Et quand je suis arrivée à l’esplanade, sûrement que j’étais émue, mais j’étais pas émue d’être arrivée, je pensais à tous ces gens qui ont fait que ce voyage était possible et je me rendais compte qu’en fait je n’ai rien fait, en vrai j’ai rien fait, c’est Dieu qui m’a accompagnée jusqu’à cet endroit parce que mes membres n’auraient jamais pu le faire et c’est toutes ces personnes rencontrées qui ont fait que mon cœur a tenu et que mon cœur s’est rempli et qu’il a grandi pour arriver en fait. Donc ce que j’ai ressenti c’était beaucoup de gratitude envers Allah et énormément de gratitude envers toutes ces personnes qui ont été mises sur mon chemin et que j’avais l’impression d’avoir avec moi dans mon cœur sur l’esplanade à ce moment-là et du coup je me sentais plusieurs, je ne me sentais pas seule et c’était ça souvent aussi pendant le voyage. Mais à ce moment-là c’est un moment que j’ai vécu seule mais j’avais l’impression d’être accompagnée par tous ces gens qui m’ont demandé de faire des dou’as (*prières) une fois arrivée sur place.

A-t-il été difficile d’entrer à la Mecque en étant une femme seule ?

Je pense que ça a été difficile du fait de mes appréhensions mais dans les faits ça n’a pas été difficile, au contraire, ça a été vraiment facilité. Le seul détail que j’ai oublié de mentionner c’est que quand je lui dis que je viens du Caire et que je suis passée par le Soudan, il me dit « Mais ça fait combien de temps que tu es sur la route ? » donc là je lui dis que ça fait un peu moins de deux mois, et c’est là que son collègue lui dit « Cette femme tu ne peux pas l’arrêter. »

Un moment particulier (ou plusieurs !) qui t’a / t’ont marquée ? (J’imagine qu’il y en a beaucoup !)

Les moments qui m’ont marquée, alors il y a ce passage par le checkpoint, pas l’entrée dans la ville mais surtout le passage au checkpoint donc ce moment inattendu. Y a eu je pense le départ avec le bawab qui me bloque le passage et moi qui force le passage et je m’en suis voulue pendant tout le voyage, et lui qui m’appelle tous les jours jusqu’à ce que j’arrive à Assouan, non d’ailleurs à Assouan il ne m’a pas appelée, il m’a appelé tous les jours mais quand je suis arrivée à Assouan, c’est moi qui l’ai appelé pour lui dire « C’est bon tu peux dormir sur tes deux oreilles, je suis arrivée à Assouan » parce que lui croyait que je terminais mon voyage à Assouan. Mais oui je m’en suis beaucoup voulue d’avoir forcé le passage et c’est une image qui revenait souvent pendant le voyage. Après les moments qui m’ont marquée c’est par exemple, après Khartoum je suis remontée dans le Nord et je n’avais aucune information et aussi tu n’as pas de point d’eau comme depuis l’Egypte jusqu’à Khartoum et surtout il y a beaucoup de montées et moi je ne suis pas une grande sportive du coup le trajet que je pensais faire en 4 jours a pris deux semaines, à peu près ou je crois que c’est 10 jours, mais du coup j’ai manqué en eau. Et en fait, quand j’ai manqué en eau, un camion passe et m’envoie une bouteille d’eau. Quand j’ai manqué en nourriture, je me suis arrêtée dans un poste de police et en partant le monsieur va me donner une pastèque, un ambulancier va s’arrêter en plein milieu de (rires) de la montagne et me donner des dattes.

Ces moments m’ont marquée, après y a aussi des personnes qui m’ont marquée, y a notamment quand je suis tombée malade, et que j’étais vraiment au sol et que ça y est c’était la fin de ma vie, y a un homme qui vient accompagné de femmes mais j’arrive pas à voir qui c’est en fait je suis tellement évanouie, dans les vapes, et ils me proposent de partir avec eux dans leur village et du coup je dis « Non, non, non » car je ne voulais pas abuser de l’hospitalité des gens, je sais pas quel est leur niveau de vie, j’ai vraiment pas envie de leur manger le bout de banane qu’ils vont manger. Bref, sauf qu’ils sont revenus plusieurs fois et la dernière fois il m’a dit « Là c’est la troisième fois qu’on vient », parce que moi je disais « Je vais avancer, je vais avancer ! Je vais repartir, je vais repartir ! ». Il m’a dit « Tu vas aller nulle part, tu te lèves et tu nous suis. », sauf que j’étais incapable de les suivre, enfin j’ai commencé à rouler mais j’étais dans les vapes, c’était une catastrophe. L’homme en question a vu ça depuis son rétroviseur, il est descendu, il m’a dit « Tiens, toi tu conduis. » et du coup il a roulé à vélo devant moi et en fait, j’étais pliée de douleur, j’avais mal, j’étais dans les vapes, mais je me sentais l’obligation de (rires) d’être vivante dans la voiture en accompagnant, du coup j’étais avec les femmes, et je me rappelle je sais même pas ce que je racontais, je parlais juste pour parler, pour essayer d’exprimer ma gratitude et en même temps dans ma tête je voyais l’homme que je suivais, donc d’un côté je voyais rien parce que j’étais fatiguée et que j’étais pas bien et d’un côté je voyais tout (rires) et j’étais là « Wow subhanallah », parfois sur ton chemin tu as vraiment les personnes qu’il faut au bon moment. Y a ça, y a aussi cette femme, donc je voulais faire mes grandes ablutions et j’avais vraiment besoin de me doucher à ce moment-là, mon cycle menstruel a été complètement déréglé pendant le voyage et je me suis retrouvée à avoir mes règles deux fois par mois et vu que j’ai des règles douloureuses et que ça me prend énormément d’énergie, j’essayais de faire en sorte d’être dans une ville les deux premiers jours, sauf qu’avec cette surprise de deux fois mes règles par mois, ça me prenait au hasard et donc dans ce trajet de 10 jours qui s’est étendu je les ai eues de nouveau, c’était pas prévu et sauf que j’étais au milieu de nulle part et du coup je me rappelle je me suis dit qu’il me fallait absolument une cafeteria, je savais très bien que ça allait être des hommes qui allaient être dans la cafeteria et j’ai dit « Sara, tu prends ton courage à deux mains, tu leur expliques la situation et tu leur dis que tu veux juste un seau d’eau. » Et faut savoir que moi (rires) pendant longtemps c’était ma sœur qui m’achetait mes protections hygiéniques parce que je n’assumais pas. Du coup j’essayais de faire un travail sur moi-même parce que… j’espérais déjà voir une cafeteria parce que ça faisait 3 jours que j’avais pas vu de cafeteria, que j’avais rien vu du tout mais j’espérais et du coup je me disais « Voilà, tu vas te préparer à expliquer la situation à l’homme en question. ». Et là ça a duré un moment (rires) genre sur les coups de midi y a une cafeteria qui sort de nulle part. En fait y a une sorte de maison, et je m’approche, je rentre et là y a une femme donc je me dis très bien, ça doit être la femme qui fait le thé ou quoi et avant que le gérant arrive je vais aller lui dire en cachette. Sauf qu’en fait cette femme était la gérante et au milieu de nulle part, elle gérait toute une cafeteria seule et pour moi c’était une grande bénédiction de la rencontrer (rires). Donc je lui ai expliqué la situation, elle m’a chauffé de l’eau, elle m’a ramené un grand plateau où on sert la nourriture dans lequel je me suis douchée. Je crois que c’est la douche qui m’a le plus marquée dans ma vie et en fait je me rappelle je me douchais et je pleurais, je pleurais, je lavais mon corps et je lavais tout (rires), tout mon cœur, tout, tout, tout. Et cette femme, après je suis restée avec elle parce que je me suis attachée à elle et, je te passe les détails, mais en repartant, donc on s’était échangées nos numéros, et je l’appelais et elle ne répondait pas, enfin je tombais directement sur messagerie et du coup je me suis dit « Dans un premier temps réessaye. » et en fait, je me rappelle un soir je me suis endormie et je me suis dit « Sara, stop, arrête de l’appeler. Peut-être que cette femme a existé et on s’est peut-être trompées dans l’échange des numéros. Peut-être que cette femme n’a pas existé et que, je me suis même dit si ça se trouve c’était le fruit de mon imagination, mais bref, c’est bien que ce soit arrivé et c’est terminé en fait. Arrête de t’attacher à ça. » Et le lendemain il y a un homme qui crie mon nom, un camionneur, au début je l’ignore parce que c’était une montée et je me suis dit que c’était encore un de ces hommes que j’ai rencontrés dans une cafeteria et j’ai pas envie de parler, j’étais fatiguée, j’en pouvais plus, c’était la route des 10 jours, c’était horrible. Et finalement il s’arrête donc je m’arrête et il me dit « Oum Salima » donc c’est la femme en question chez qui je m’étais douchée, « elle t’envoie de l’eau et des dattes parce qu’elle sait qu’il n’y a rien sur la route et elle sait que (rires) tu vas avoir des difficultés dans la montagne ». Donc ça aussi c’étaient des moments qui m’ont marquée.

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Un mot pour résumer l’Égypte ?

Alors un mot pour résumer l’Égypte… Ca va être très difficile (rires). L’Égypte c’est une grande histoire d’amour, l’Égypte c’est (rires) 12 ans de « je t’aime, moi non plus » mais qui se terminent avec un grand je t’aime (rires). Donc tu peux choisir le mot « je t’aime » mais… En fait l’Égypte m’a vue à plusieurs phases de ma vie. L’Égypte m’a vue grandir. Je suis arrivée en Égypte la première fois pleine de colère et au fil des années j’ai pu exprimer cette colère là-bas (rires), c’était un terrain propice. Mais l’Égypte m’a aussi vue m’apaiser, me calmer et trouver un équilibre. Et du coup, en un mot, l’Égypte c’est ma mère (rires), avec tout le respect que je dois à ma mère. C’est pour ça qu’en fait je ne peux pas résumer l’Égypte à ce voyage parce que c’est une longue relation (rires), ce n’est pas terminé. Mais du coup oui, l’Égypte m’a vue grandir et évoluer, elle m’a vue prendre des coups de poing, des claques, elle m’a donné beaucoup d’amour, elle m’a beaucoup appris. Du coup, je ne sais pas si ça a du sens pour toi mais je choisirais le mot « mère » (rires).

 

Un mot pour résumer le Soudan ?

Pour résumer le Soudan, ça a été mon éducateur. Je pense que le Soudan c’est ce qui m’a le plus préparée à mon pèlerinage, mon petit pèlerinage ma ‘Oumra (*le « petit pèlerinage » fait en dehors de la période de l’Eid qui constitut le grand pèlerinage, le Hajj), à la Mecque. J’ai beaucoup appris spirituellement du fait de mon isolement, du fait aussi des personnes que je rencontrais. Je me sentais très très proche du Créateur, je me sens toujours proche du Créateur mais je pense que le gros déclic il a été au Soudan. En fait, déjà en Égypte, il y a une préparation qui s’est faite au niveau de mon cœur je pense sur la route du fait des personnes rencontrées, du fait de plein d’épisodes, mais je pense qu’il y a vraiment eu une expansion (rires) au niveau de mon cœur au Soudan. J’ai compris beaucoup de principes comme Tawakal, ça veut dire « se remettre à Dieu », je l’ai vraiment compris au Soudan, je l’ai vécu, je l’ai expérimenté et du coup c’est quelque chose qui fait partie de moi maintenant, qui faisait surement partie avant mais l’expérimenter à ce point-là, ça a été réformateur je pense. Ça a été une grande préparation spirituelle, une éducation, c’est mon éducateur le Soudan (rires).

 

Un mot pour résumer l’Arabie Saoudite ?

Et l’Arabie Saoudite, on va dire « Surprise ». Pour moi l’Arabie Saoudite ça a été vraiment la surprise de ce voyage. Parce que j’ai découvert un pays avec beaucoup de richesses, que ce soit en termes de nature, mais aussi en termes de rencontres mais également pour écrabouiller tous les préjugés que je pouvais avoir.

 

As-tu d’autres projets de voyage en tête pour le post pandémie ?

Alors j’avais beaucoup de projets de voyage en tête. Déjà je devais faire un voyage en Arabie Saoudite mais il y a eu le Corona, donc ce voyage est peut-être remis à plus tard mais tout dépend de combien de temps va durer la période pandémie avant qu’on passe à une période post-pandémie. Ensuite il y a un projet qui me tient vraiment à cœur c’est de faire le retour et prendre le temps, faire un espèce de voyage de la gratitude où je prends le temps et de passer remercier les gens. De préférence j’aimerais bien faire ce retour par un autre chemin tout en passant voir les gens, mais en essayant de rendre ce chemin plus court, parce que du coup j’ai été contactée par beaucoup de gens qui veulent faire ce voyage et qui veulent faire un copié-collé de mon parcours alors que concrètement ce n’est pas du tout le plus rapide. Mais pour eux, ç a du sens parce que je l’ai expérimenté. Donc je voudrais faire le parcours plus court, ça me permettrait de ne pas refaire exactement le même chemin et d’expérimenter le chemin plus court pour qu’éventuellement ce soit un modèle reproductible.

As-tu un blog / site où tu parles de tes projets ? Je mettrai le lien vers ta vidéo et vers ton IG mais si tu veux rajouter autre chose dis-moi.

J’ai ma page Instagram qui est répliquée sur Facebook. Donc la page Facebook c’est exactement la même chose qu’Instagram mais c’est que le voyage à la Mecque. Donc la page Instagram c’est « Sara.rahala » donc là c’est ma page Instagram perso et sur Facebook c’est « Cycling to Mecca » et c’est une page où tout ce qui concerne le voyage « Cycling to Mecca » sur Instagram est transféré automatiquement.

Et y a la vidéo qu’on retrouve sur Youtube, qui résume dans de grandes lignes le voyage, c’est pas une vidéo de grande qualité mais c’était une manière pour moi de pouvoir rendre hommage à toutes ces personnes rencontrées qui ont facilité ce voyage, même si j’ai pas pu tous les mettre par souci de cacher leur visage pour certains ou tout simplement parce que j’ai pas d’image parce que mon but n’était pas du tout de documenter ce voyage mais en fait au fur et à mesure des rencontres, je me suis dit que c’était dommage de ne pas garder un souvenir de ça et donc je faisais des petites séquences très courtes pour me rappeler.

En fait ma plus grande crainte à un moment dans le voyage, c’était d’oublier. Et maintenant après un an, je me dis que parfois j’oublie, surtout quand on me pose des questions, je raconte et puis quand je rentre chez moi, je me dis « Ah mais je n’ai pas parlé de ça, j’ai oublié ! » ? Mais en fait quand je me connecte au plus profond de moi-même, même si ma langue n’arrive pas à mettre en mots plein de choses, même si des fois j’oublie des histoires, je sais que mon cœur n’a pas oublié parce que je vais retrouver un objet, je vais retrouver une image qui va arriver en moi et ça va raviver plein de souvenirs qui sont là en fait.

Du coup la vidéo est sur le compte Youtube, c’est Sara Rahala. Ce n’est pas une chaîne Youtube en soi mais c’est où j’ai pu poster la vidéo pour pouvoir la partager avec les gens qui le demandaient. Ça fait un moment que je l’avais faite en fait cette vidéo, j’arrivais pas à la regarder, déjà de la faire ça a été très difficile et quand ça y est j’ai réussi à la regarder juste avec un sourire et sans pleurs , sans cœur qui se serre, sans rien, à ce moment-là j’ai dit c’est bon, c’est le moment de le partager avec d’autres personnes parce que quand j’ai réussi à la voir juste avec amour, j’ai commencé à la montrer à ma famille, à des amis et j’ai vu l’effet que ça pouvait avoir sur eux donc j’ai dit pourquoi pas la rendre publique.

Retrouvez donc Sara sur sa page Instagram « Sara.rahala » ici :

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Et sur sa page Facebook « Cycling to Mecca » :

Et la vidéo se trouve juste ICI !

Lecture #7 – Une mort éphémère

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Quand je vis quelque part, j’aime bien m’intéresser à la littérature du pays. À mon arrivée en Syrie, j’ai donc interrogé la documentaliste du collège où je travailler au sujet des auteurs syriens et elle m’a dirigée vers Saadallah Wannous. La première œuvre que j’ai lue de lui est celle-ci « Une mort éphémère« , l’histoire d’un homme qui, sur son lit de mort, imagine des sortes de scénettes, certaines drôles, d’autres absurdes, mais toutes philosophiques. J’ai eu un peu de mal à rentrer dans le thème je dois l’avouer.

Je me suis ensuite tournée vers deux pièces de théâtre qu’il a écrites et j’ai beaucoup aimé. La première « Miniatures » met en scène des personnages historiques à l’approche de l’invasion mongole de la Syrie. Il est question de l’attitude de chacun face au danger imminent, de ceux qui, mine de rien, se révèlent les plus courageux, ceux qui, derrière de beaux discours, n’ont que leurs intérêts en tête, et les autres face à toutes les facettes de l’humanité.
Dans la deuxième « Rituel pour une métamorphose« , un scandale sexuel, qui n’a en réalité pour explication qu’une sombre histoire de pouvoir, va mettre sens dessus dessous toutes les relations qu’elles soient entre hommes et femmes ou entre les hiérarchies.

Deux pièces de théâtre qui m’ont rappelé à quel point j’aime, justement, j’aime lire le théâtre. C’était l’une de mes lectures préférées lorsque j’étais au lycée où je dévorais principalement Shakespeare et Ionesco.

Lettre d’amour à moi-même

Il m’en a fallu du temps pour m’aimer. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu du mal avec ma propre personne.

Mon hypersensibilité était mal perçue par les autres enfants, je fus de plus en plus harcelée à l’école, j’étais mise de côté, moquée, détestée. Et je les croyais. Je me détestais aussi. Je me trouvais horrible, moche, inintéressante et faible. Je ne disais rien, j’ai menti à mes parents pendant des années, je leur faisais croire que j’avais des amis et que des garçons étaient amoureux de moi. Parce que j’étais persuadée que s’ils apprenaient la vérité, ils seraient déçus et me verraient comme les autres.

Mon arrivée au lycée a tout changé. Je quittais enfin les critères étriqués de ce que voulait dire être quelqu’un de « cool » pour entrer dans une nouvelle ère. J’ai eu la chance d’aller dans un lycée où être différent était particulièrement apprécié. J’ai commencé à me laisser aller. Une explosion de couleurs ! Les jupes par-dessus les pantalons, les atébas en laine dans les cheveux, les t-shirts à l’effigie de mes groupes préférés. Sous des couches et des couches de vêtements lentement je pansais mes blessures, j’apprenais à être moi-même, j’expérimentais. Les moqueries étaient loin. A part le douloureux chemin du retour à la maison le soir après les cours où j’étais insultée par les gens de l’endroit où j’habitais, je rentrais vite chez moi pour me retrouver dans mon espace à moi, ma chambre, mon antre.

L’université a été un nouveau choc pour moi. Un changement radical de style de vie loin du cocon du lycée où l’on se connaissait presque tous. L’anonymat dans cette masse me faisait peur et tout à coup je perdais tous les repères que j’avais réussi à construire. Je devais tout recommencer mais je n’en avais pas la force. Je devais changer, devenir une jeune femme mais j’étais tellement loin de tout ça. J’ai fait beaucoup de mauvais choix. Mais j’ai pourtant fait un choix important juste à ce moment-là, qui pourtant à l’époque semblait complètement irrationnel et m’a d’ailleurs mise par terre : je me suis choisie. J’ai renoncé au couple de rêve parce que je savais que ce n’était pas ce que je voulais vivre. Et je savais déjà à ce moment-là, que ce que je voulais c’était une vie de passion, et que, aussi banal que cela puisse sonner, je devais d’abord commencer la quête la plus importante : me trouver.

J’avais 18 ans, et les 15 années qui ont suivi ont été mouvementées, passionnées, fragiles, merveilleuses, torturées, fantastiques… vivantes.

A 33 ans, je n’ai aucun regret sur les choix que j’ai faits quand j’avais 18 ans, ni tous les autres d’ailleurs. Ils n’ont pas tous été bons mais ils m’ont tous forgés. Le chemin n’a pas toujours été facile mais il m’a menée dans de merveilleux endroits et surtout à la rencontre de personnes fabuleuses.

Je ne m’aime pas tous les jours. Il y a encore des matins où je me réveille avec l’envie de ne pas croiser ma tête dans le miroir. Pas physiquement mais mentalement, parce que je réfléchis trop, que je me pose 1000 questions, est-ce que je suis assez bien ? Est-ce que ce que je fais a du sens ? Est-ce que j’apporte une quelconque pierre à l’édifice ? Qu’est-ce que je change réellement dans ce monde ?

Aujourd’hui en ce 14 février 2021, je viens de réaliser que j’avais passé la journée avec moi-même à m’occuper de moi sans m’en rendre compte. Je me suis fait un petit repas, j’ai mis de l’huile dans mes cheveux, fait mes ongles et regardé Grey’s Anatomy sous ma petite couverture dans mon appartement damascène. Et j’étais bien. La seule présence dont j’avais réellement besoin, la seule chose qui pouvait me permettre de faire le point après ces quelques semaines intenses de travail où j’ai fini épuisée.

J’avais une amie qui me disait que j’étais toujours « trop ». C’est vrai que je suis souvent dans l’excès. Je ne sais pas prendre de demi-décision, aimer modérément, je pleure pour des pubs, je m’enthousiasme pour beaucoup de choses, j’ai toujours 100 passions et 1000 projets, je suis souvent trop contente et j’ai trop hâte de la suite.

Mais est-ce qu’on peut vraiment être trop ? Je préfère trop vivre que de mourir en ayant trop de remords, ça serait bien trop triste.

Puisque, et même si je suis très bien entourée, la seule personne avec qui je vivrai toute ma vie, ce sera toi Carlota, sache que je t’aime, avec toutes tes imperfections, tes excès, tes sautes d’humeur, tous tes projets inachevés, mais aussi tous ceux que tu as achevés, la vie que tu as choisie d’avoir et que tu t’es construite, ton cœur plein d’amour et d’espoir dans ce monde qui te fait pourtant bien souvent trembler.

On continue notre route ensemble, toi et moi, et pour toujours <3

Les belles personnes #2 – Andrew, rêveur et voyageur

L’année dernière, il y a pile un an, je partais pour une escale d’une semaine à Istanbul, avant de rentrer chez moi au Caire. Ce fut l’occasion de revoyager à nouveau toute seule et dans un endroit que je ne connaissais pas. Ce fut aussi l’occasion de rencontrer de belles personnes. Cette semaine j’ai eu envie de partager ce coup de cœur et le récit que j’en avais fait alors :

« Ce que j’aime le plus en voyage, ce sont les gens. Mettre les pieds hors de chez soi, c’est la promesse de rencontrer des personnes au destin et au mode de vie souvent atypiques.

J’ai rencontré Andrew dans l’auberge de jeunesse où je séjournais à Istanbul. J’ai vite remarqué ce visage respirant la bonté et ce sourire rassurant.
Andrew a 70 ans et est américain. Il y a cinq ans, il a tout quitté pour voyage. Il n’a jamais eu beaucoup d’argent dans sa vie, il a beaucoup travaillé les dernières années pour pouvoir mettre un peu d’argent de côté et partir. Ses économies et sa petite retraite lui permettent de voyager. Il dort dans les auberges de jeunesse ou chez les gens qu’il rencontre. Il aime discuter, poser des questions et échanger, parler de philosophie et de spiritualité et réciter les poèmes qu’il écrit lui-même quelques fois.


Cette rencontre m’a beaucoup marquée, déjà parce qu’Andrew est une personne lumineuse avec qui j’ai créé un lien très fort en l’espace de quelques jours, mais aussi parce qu’il représente cette idée que la vie ne s’arrête pas à la retraite, que lorsqu’on veut changer de vie, on le peut, et à n’importe quel moment, et qu’il suffit de mettre un pied dehors pour voir à quel point le monde est incroyable et ne cessera jamais de nous surprendre.

A tous les Andrew qui ont décidé que peu importe leur âge, le monde était à eux ❤️ »

Lectures 2020 – TOP 10 !

Avant de commencer les lectures 2021, j’ai eu envie de revenir sur les meilleures lectures de 2020. Mon challenge de 2020 était de lire 30 livres et/ou romans graphiques. J’ai atteint mon record de 33 lectures. J’en ai finalement sélectionné 10 que j’ai réellement adorés, les voici :

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  1. Islam et femmes

Cet essai revient sur les « questions qui fâchent » concernant l’Islam et les femmes. Obligation de porter le voile, polygamie, héritage, l’autrice analyse à travers les prismes historique et linguistique la manière dont le texte sacré serait manipulé par des exégètes afin de faire ressortir des interprétations très bénéfiques pour les hommes. Un éclairage très intéressant.

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  1. Amours

Marion Touboul a voyagé en Égypte pour poser cette simple question aux Égyptiens : « Qu’est-ce que c’est que l’amour pour vous ? ». Voyage dans le cœur des Égyptiens, la poésie, l’espoir mais aussi la désillusion ou la perte de repères. Marion Touboul a retranscrit la complexité du rapport des Égyptiens à l’Amour et dressé le portrait d’une Égypte actuelle entre traditions et modernité.

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  1. Si je t’oublie Alexandrie

Jérémie Dres raconte dans ce roman graphique sa quête familiale. A la mort de sa grand-mère, Jérémie se rend compte qu’il ne connait presque rien de l’histoire de ses grands-parents, Juifs expulsés d’Égypte à l’époque de Nasser. Il décide alors de retourner sur leur trace dans un voyage qui le mènera au cœur de ses racines. Un bel ouvrage sur l’histoire familiale, l’identité et la transmission.

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  1. Sarkozy Kadhafi, des billets et des bombes

Dans cet autre roman graphique, écrit par 5 journalistes, les auteurs reviennent sur les liens étroits qu’a entretenu Nicolas Sarkozy avec Mouammar Kadhafi. Argent sale, espionnage, trahison, un récit édifiant résultat d’une recherche journalistique pointue.

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  1. After the Prophet

A la mort du Prophète, les informations sur sa succession ne sont pas claires et déboucheront sur la première grande scission entre les musulmans : la séparation entre les Sunnites et les Chiites. L’autrice nous emmène au cœur de l’histoire, aux côtés des grands personnages de l’Islam qui l’ont faite et nous permet de comprendre un peu mieux le chemin vers cette fraction dont les répercutions sont encore vives aujourd’hui.

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  1. La part de l’autre

Et si Adolf Hitler avait été accepté aux Beaux-Arts où il avait postulé ? L’Histoire aurait-elle connu le même destin ? Serait-il devenu le Hitler que le monde a connu ? Eric-Emmanuel Schmidt raconte tour à tour l’Histoire que nous connaissons, puis l’Histoire telle qu’elle aurait pu être si Hitler avait suivi sa formation aux Beaux-Arts. Une Histoire alternative fascinante.

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  1. Le mariage de plaisir

Cette saga familiale nous mène à la rencontre d’Amir, un marchand marocain qui voyage chaque année au Sénégal où il contracte un « mariage de plaisir », une sorte de mariage intérimaire, avec une belle Sénégalaise dont il finira par tomber amoureux et par épouser pour de bon. De cet amour naitront des jumeaux, l’un blanc, l’autre noir. Chacun vivra des expériences complètement différentes au fil de sa vie, l’un préservé, l’autre victime de racisme. Une plongée passionnante dans la face sombre du Maroc.

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  1. Soufi mon amour

L’histoire de la rencontre du grand poète Rumi et du derviche Shams de Tabriz qui engendrera la naissance du soufisme. Une histoire d’amitié, de spiritualité, un voyage dans la foi, l’amour et le cheminement personnel. Une pépite.

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  1. J’ai toujours vécu demain

Paul-Emile Victor fait partie de ces personnes que j’adule. Je suis tombée un jour sur un vieux livre qui présentait ses expéditions polaires. J’ai eu un coup de foudre en le voyant le regard au loin dans sa petite veste en cuir (#cœurdartichaut). Je suis un jour tombée sur sa biographie écrite par sa fille, Daphné Victor, et Stéphane Dugast, le secrétaire général de la société des explorateurs français. J’aime ces livres qui vous emportent, vous font voyager et vous donnent envie, comme Paul-Emile Victor, d’être passionné et de vous surpasser.

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  1. Aïcha, la bien-aimée du Prophète

« Saladin », de la même autrice, fut mon livre préféré en 2019, celui-ci fut mon livre préféré de 2020. Geneviève Chauvel, journaliste, grand reporter, spécialiste du Moyen-Orient, offre dans ce magnifique livre, l’histoire d’Aïcha, une des femmes du Prophète, devenue après sa mort l’une des références en matière d’Islam.

Il n’est pas toujours facile d’abandonner son regard occidental quand il s’agit de l’Islam ou du Moyen-Orient, mais c’est ce qui m’éblouit chez Geneviève Chauvel, sa capacité à enlever ces lunettes de femme française chrétienne pour apprécier à sa juste valeur la beauté de l’Islam et du Moyen-Orient.

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A bientôt pour les premières lectures de 2021 !

Lecture #6 – Bon vent, Bonaparte !

Fin 2020, je suis retournée en Palestine. Malheureusement pas physiquement, mais simplement le temps de la lecture de « Bon vent, Bonaparte ! » de Ala Hlehel.

J’ai tout de suite eu envie de le lire lorsque je suis tombée dessus cet été : l’histoire (romancée) du siège de la ville de Saint-Jean-d’Acre par Napoléon Bonaparte. Même si je ne connaissais pas cet auteur, je fais aveuglément confiance aux éditions Actes Sud. Il a donc fait partie des 8 kg de livres que j’avais décidé d’emmener dans ma valise lors de mon déménagement en Syrie en septembre dernier.

L’histoire prend donc place en Palestine à Saint-Jean-d’Acre en 1799. S’affrontent le sanguinaire Jazzâr Pacha et l’orgueilleux Napoléon Bonaparte. Dans un récit (très) romancé, crû et même violent, de cet épisode de l’histoire, Ala Hlehel nous replonge dans le Moyen-Orient du 18è siècle, dans son histoire et dans la folie de ses gouverneurs.

Son thème m’a fait repenser à l’un de mes livres préférés, que j’avais découvert il y a deux ans en Égypte le superbe « Turbans et chapeaux » de Sonnallah Ibrahim : l’histoire de l’occupation française en Égypte, qui même si elle n’aura duré que 3 ans, aura semé violence et désordre.

Plongez dans l’histoire et préparez-vous à rire à grimacer de dégoût, voire d’horreur grâce à la lecture de ce roman divertissant.

 

Good bye 2020 !

2020, c’est la fin !

Même si je ne pense pas que l’année 2021 va miraculeusement tout changer, que le Corona ne va pas se volatiliser par enchantement après les douze coups de minuit et que de nombreux combats restent et resteront toujours à mener, j’aime ces moments où l’on peut prendre le temps de regarder en arrière et de voir le chemin parcouru en une année.

J’ai eu la chance de ne pas être personnellement impactée par le Covid au niveau de ma santé, mais il aura certainement chamboulé ma vie !

Retour sur une année riche en rebondissements.

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JANVIER

L’année commence par un mois de janvier sous le signe du voyage. J’étais de retour en France pour les fêtes de fin d’année et j’en ai profité pour aller faire un tour à Paris où j’ai des amis et où vit mon frère, ainsi que dans le Nord de la France où vit tout le reste de ma famille.

Ensuite, je suis partie pour un petit voyage de quelques jours au Maroc, une mission d’une grande importance placée sous le signe de l’amour. Une belle manière de commencer 2020 et un séjour qui aura changé à tout jamais la vie d’une amie <3

Ensuite, avant de rentrer au Caire, j’ai décidé de faire une escale d’une semaine à Istanbul. C’est la première fois depuis longtemps que je pars solo dans un pays que je ne connais pas. Je passe une belle semaine, pleine de découvertes et de rencontres, et je tombe amoureuse de la sublime Istanbul.

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FÉVRIER

Je passe quasiment tous mes WE dans l’oasis de Fayoum. Un ami y a un camp et j’aime ces moments de sérénité et de quiétude dans le désert, hors du temps. C’est ce qui me manque le plus ici en Syrie, la possibilité d’aller passer le WE sous les étoiles et de voir Etman, mon bédouin préféré à se raconter des conneries au coin du feu.

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MARS

Cette fois-ci le Corona est bien là et vient bouleverser tous mes plans. Mi-mars contre toute attente, je déménage et quitte le Caire en 24 heures. Je pars me confiner chez mes parents dans le Sud de la France. Je retrouve ma famille et mes chats d’amour. Même si c’est le choc de devoir quitter l’Égypte de cette manière, en plein milieu de l’année scolaire, sans pouvoir dire au revoir ni à mes amis ni à mes élèves, j’ai la chance de pouvoir retourner chez mes parents en toute sécurité.

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AVRIL

Je profite du confinement que j’ai la chance de vivre tranquillement. Je lis beaucoup, je dors beaucoup, je mange beaucoup, et chaque jour pendant l’heure de sortie autorisée, je pars explorer les alentours. Mes parents habitent à la campagne près d’Avignon et vivent dans une région magnifique. Juste à côté de chez eux, ce sont les champs, les vignes et les chevaux. C’est un vrai bol d’air qui me fait énormément de bien et cette promenade quotidienne m’aide petit à petit à digérer tout ce qui s’est passé ces dernières années pour de bon et à passer à autre chose.

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MAI

Nous sommes déconfinés. Même si je ne ressors pas tout de suite de ma bulle, je finis par profiter de mon Sud petit à petit avec des petites excursions à droite à gauche.

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JUIN

En juin, j’en profite pour me balader, revoir enfin mes amis, et surtout je prépare un gros déménagement. Je quitte pour de bon « la maison du bonheur », l’appartement que je louais à Avignon depuis 4 ans et que je n’arrivais pas à quitter mais qui créait de grosses préoccupations en sous-location. Il était temps de dire adieu à ce lieu que j’ai beaucoup aimé pour faire de la place à la suite.

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JUILLET

J’ai envie d’aller explorer la France et passer voir mes amis éparpillés un peu partout sur le territoire. Je commence avec un WE entre copines à Sète, puis je pars à Paris voir des amis et mon frère, ensuite ma famille qui vit dans le Nord de la France.

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AOUT

Le roadtrip continue, je pars pour Poitiers, Limoges, La Rochelle, la côte Atlantique, Bordeaux puis Toulouse. A chaque arrêt, je retrouve des amis, certains que je n’ai pas vus depuis très longtemps. Ce tour me fait du bien, je découvre des coins que je ne connaissais pas et réalise encore une fois à quel point la France est belle.

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SEPTEMBRE

Le départ approche, je profite encore un peu de mon Sud avec une journée dans le magnifique village de Gordes par exemple, puis c’est l’heure du grand départ ! Je déménage en Syrie ! Un périple rempli de péripéties m’attend puis j’arrive enfin dans ma nouvelle ville : Damas. Quelques semaines dans la sublime maison d’un collègue dans le centre historique, puis je m’installe dans mon chez-moi où les rebondissements ne sont jamais bien loin.

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OCTOBRE

Je suis installée et je passe mes WE à explorer cette ville magnifique. Je découvre une nouvelle culture, je me familiarise avec la langue, j’essaie de m’orienter dans mon nouveau quotidien. J’ai repris l’école et je m’y sens bien. Je prends possession des lieux et je me sens déjà chez moi.

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NOVEMBRE

Je profite du mois de novembre pour commencer à explorer le pays. Début novembre pendant mes premières vacances, je pars pour le WE avec un groupe (les étudiants de ma collègue d’espagnol) pour découvrir le Krak des chevaliers, le monastère de Marmarita et la région de Meshta el Helwu. Cela fait aussi deux mois que je vis ici et j’en suis heureuse !

Fin novembre, je me rends à Alep chez une amie. Je découvre une ville meurtrie par la guerre mais une volonté de fer des habitants de reconstruire la ville et de continuer à vivre coûte que coûte.

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DÉCEMBRE

Le mois de décembre a été riche en découvertes à Damas, de belles rencontres et beaucoup de visites dans la ville. A partir de mi-décembre, je suis en vacances et j’en profite pour faire un maximum d’activités. Je me balade, je vois mes amis, j’étudie l’arabe et j’organise une petite sortie avec des collègues dans les villages de Maaloula et Sednaya.

Je passe les fêtes à Damas, je suis invitée chez des amis pour Noël et le lendemain j’ai un petit repas entre amis avec les nouvelles personnes entrées dans ma vie avec qui je suis heureuse de passer mon quotidien et maintenant les fêtes.

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Ainsi s’achève 2020. Même si le covid a bouleversé mes plans, ce ne fut que pour le meilleur et je suis chanceuse de ne pas avoir été impactée de manière négative par cette maladie.

Pour 2021, je ne souhaite qu’une chose : continuer de vivre cette vie que j’aime, faite de rencontres fortes, de voyages et de découvertes.

Et je vous souhaite la même chose : une vie riche, entouré des gens que vous aimez, à vivre la vie que vous aimez, que ce soit au coin du feu à lire un bon livre ou sous le ciel étoilé du désert, à profiter de votre famille, de vos amis.

PEU IMPORTE COMMENT MAIS VIVEZ !

BELLE ANNÉE 2021 ! <3

Les belles personnes #1 – Joseph, une goutte d’eau dans la mer.

Comme je vous le disais il y a deux semaines dans la dernière chronique syrienne, mon voyage à Alep m’a bouleversée et m’a de nouveau montré l’importance des belles rencontres du quotidien, ce qui m’a donné envie de partager avec vous des portraits de personnes rencontrées au gré de mes pérégrinations qui ont particulièrement touché mon cœur. C’est pourquoi j’ai créé cette nouvelle rubrique intitulée « Les belles personnes » qui pointera le bout de son nez entre deux chroniques syriennes.

Je souhaitais commencer avec celui de Joseph, l’une des plus belles rencontres que j’ai faite en voyage, et de ma vie.

Il y a deux ans et demi, je prenais l’avion pour retourner m’installer en Égypte. Dans l’avion qui me menait à mon escale à Athènes, j’ai fait la connaissance de Joseph. Joseph avait 92 ans, il est né et il a vécu toute sa vie à Marseille. Il va se baigner tous les matins à la Corniche. Avant il péchait, mais il a eu une maladie et il ne voit plus d’un œil. Parfois, il va quand même pêcher des oursins pour les cuisiner ensuite pour ses copines comme Carole, l’institutrice qui râle beaucoup. Mais lui, il n’en mange pas des oursins, enfin très peu, s’il en mange un « c’est le bout du monde ! ». Il m’a raconté le Marseille « d’avant ». Celui des vieilles traditions comme la Course des garçons de café, aujourd’hui oubliées.

Mais Joseph est aussi d’origine arménienne. En 2000, il avait donc 74 ans, il s’est dit qu’avant de mourir, il devait connaitre ses origines et voir le pays de ses parents. Alors il est parti, seul, à la découverte d’Erevan. Le matin, il partait tôt dans la ville et ne rentrait que tard le soir à son hôtel. Toute la journée, il marchait à la découverte de la ville et surtout de ses habitants. A Marseille, il entraine encore aujourd’hui des jeunes au foot, « Je suis le plus ancien du club, plus vieux même que le directeur » qu’il me dit d’un air malicieux. Alors c’est tout naturellement qu’il s’est tourné vers les jeunes en Arménie. Il a fait des parties de foot avec le peu de jeunes qui avaient un ballon, et ça lui a fait de la peine tous ces jeunes qui n’avaient pas grand-chose. Alors l’année suivante et les années qui ont suivi, il a ramené une valise pleine de ballons de foot, de raquettes et de balles de tennis et de badminton pour les donner aux jeunes dans la rue. « Oh c’est pas grand-chose, une goutte d’eau dans la mer ! ». Mais quelle goutte magnifique, pleine de bonté et d’humanité. Et ça lui fait plaisir.

Ces ballons et ces raquettes, ce sont des dons des associations parce que lui-même n’a pas grand-chose. Après son divorce il a tout perdu mais il a réussi à s’en sortir parce qu’il vit simplement, qu’il trouve du cuir dans les poubelles des cordonniers et qu’il crée des sacs et des pochettes, c’est son premier métier. Ces quatre dernières années, il n’a pas pu se rendre en Arménie à cause de la maladie, mais cette année, à 92 ans et en n’y voyant que d’un œil, le revoici dans un avion avec une valise remplie de ballons et de raquettes pour les jeunes d’Arménie.

A Joseph et à toutes les gouttes d’eau dans la mer. <3

Mon Monde Arabe

Je me rappelle clairement ce que j’ai ressenti dans le bus depuis Marrakech pour Ouarzazate, la première fois que j’ai franchi les portes du Monde Arabe en janvier 2013. Cette sensation de découvrir un monde où tout m’était jusqu’alors inconnu. J’ai passé plusieurs mois à faire mon stage de Master à Ouarzazate, une parenthèse hors du temps, aux portes du désert, où la vie suit tranquillement son cours. J’ai passé mon temps à aller à l’école, me promener dans les rues de la ville, aller faire mes courses au marché, apprendre à cuisiner le tajine, passer des midis à rire chez ma famille d’accueil, aller boire le thé au café du coin. J’ai eu l’impression de mettre ma vie sur pause pendant quelque temps, j’ai appris à prendre le temps, à laisser couler, à ne pas m’énerver tout de suite, à profiter…

Je me rappelle que quand j’ai mis les pieds au Caire la première fois il y a six ans, j’ai su instantanément que j’allais vivre quelque chose de fort là-bas. C’était comme si cette ville m’attendait. J’ai été tout de suite fascinée par cette ville, j’ai senti son énergie m’envahir dès les premiers jours. J’y ai vécu des moments forts. J’étais supposée rester un mois mais je savais dès le départ que j’allais rester bien plus longtemps. Et c’est ce qui s’est passé. Après le supposé mois, je suis rentrée en France passer ma soutenance de mémoire, puis 10 jours plus tard, je repartais pour un temps indéterminé. S’ouvrait ainsi un chapitre passionnel long de six ans avec ce pays merveilleux. Le Caire fut pourtant une véritable claque. Vivre dans cette ville m’a complètement transformée. C’est une ville épuisante de plus de 20 millions d’habitants, très polluée, conservatrice, avec un fort taux de pauvreté. Une ville qui a été très affectée par la Révolution et qui se remet doucement, mais où les problèmes subsistent. Au fur et à mesure de mes voyages là-bas, j’ai appris à me débrouiller seule, à ne pas me faire arnaquer dans le taxi ou au marché, à négocier au souk, à me débrouiller un maximum en arabe, à déambuler dans les rues du Caire, à connaître les lieux intéressants et alternatifs de la ville… Bref à y vivre. Et cette expérience m’a beaucoup fait grandir et m’a donné confiance en moi. Mais ça a aussi, et surtout, été une grosse claque personnelle quant à ma manière de vivre. Je ne pourrai jamais décrire ce que j’ai vu dans les yeux de tous ces jeunes qui m’ont raconté leur Révolution. Ce qu’ils ont vécu et subi pendant près de 4 ans. Lorsque je suis arrivée, la Révolution venait de prendre fin et l’actuel président Sissi venait d’être élu. Tout était encore frais dans les mémoires de ces gens-là. Ils ont partagé avec moi tous leurs souvenirs et leurs émotions et j’ai réellement pris conscience à ce moment-là de mon statut de privilégiée. C’est à ce moment-là que la remise en question sur ma manière de vivre a débuté et que j’ai réellement commencé à changer ma façon de vivre et surtout de consommer. Après de nombreux voyages, j’ai finalement décidé de déménager au Caire en 2018, sans savoir réellement ce que je voulais faire exactement ni combien de temps je voulais rester. Je suis finalement restée 2 ans en travaillant comme professeure de français dans un collège tenu par des bonnes sœurs. Une expérience unique qui m’a donné un nouveau regard sur le pays. J’ai partagé le quotidien de ces adolescentes, découvert l’Égypte à travers leurs yeux, vécu des moments forts et intenses, l’amour-haine avec les Sœurs, retrouvé mes amis égyptiens, voyagé encore et toujours dans mon pays d’amour et découvert de nouvelles merveilles.

Arrivée au Caire en 2014, les traces de la Révolution sont encore là.
Première rencontre avec l’Art de Naguib.
Naguib <3
Une partie des garçons <3

 

Je me rappelle précisément de la première image que j’ai vue en Palestine, la première photo que j’ai prise dans le bus après avoir enfin passé le poste-frontière. 10 ans que j’attendais de m’y rendre. J’ai vécu 3 mois d’une intensité incroyable, pleins de doutes et de remises en question, de tristesse et de colère mais aussi de joie et de moments partagés. J’étais venue dans le but de voir ce qui se passait vraiment là-bas et de soutenir, je ne savais pas encore de quelle manière, la population. J’ai donc fait du volontariat pendant 3 mois, tu peux lire les articles à ce sujet ici et . Ça a été la seconde grosse claque de ma vie. Après l’expérience de la Palestine, le retour en France a été douloureux. J’ai réalisé que je ne voulais plus seulement changer les choses chez moi avec ma façon de consommer par exemple (même si ces valeurs me tiennent toujours à cœur), mais que je voulais prendre part au combat de manière plus concrète, plus intense et surtout sur place. Six mois après mon retour, je repartais donc « là-bas » pour m’installer au Caire quelques temps.

Je me rappelle la sensation que j’ai eue en traversant le Liban pour rejoindre la Syrie, en passant une nouvelle frontière qui m’ouvrait les portes de nouvelles aventures. Depuis deux mois, je découvre un nouveau pays arabe et cela ne fait que renforcer mon amour pour le Moyen-Orient. Alors que je disais depuis un an que j’allais faire une pause du Moyen-Orient, il m’a rattrapée sans que je n’y puisse rien car de toute manière c’est plus fort que moi (mon tattoo « Ghasb 3ani » : « C’est plus fort que moi », n’est d’ailleurs pas là par hasard). Je dois tout de même avouer que comme destination, je ne m’y attendais pas ! C’est pourtant ici à Damas que se déroule donc ma nouvelle aventure. Ma vie en Syrie m’apporte, et c’est toujours bizarre de dire cela vu le contexte de sortie de guerre du pays, une grande sérénité, mais elle me confronte aussi à une autre réalité que je n’avais jusque-là jamais vécue : les conséquences et les restes d’un pays en sortie de guerre, et me donne encore une fois la volonté de m’engager pour apporter ne serait-ce qu’un soupçon d’aide d’une manière ou d’une autre.

On me pose souvent la question « Pourquoi le Monde Arabe ? ». C’est vrai qu’il y a de quoi être étonné quand on voit ma tête de rouquemoute tatouée. Jamais je n’aurais pensé que ma vie prendrait cette tournure et que je finirais complètement happée par cette région du monde. Quand j’étais adolescente et jeune adulte, je n’avais que l’Europe du Nord en tête. Je rêvais d’être styliste à Londres, j’y passais quelques jours chaque année. Je rêvais de Grand Nord alors j’ai voyagé en Suède puis en Norvège (mon premier voyage solo). J’ai passé une année Erasmus à Berlin et voyagé à droite à gauche. Rien ne me prédestinait au Monde Arabe. Ça a été un long processus qui a lentement pris possession de toute mon âme. Ces sept dernières années j’y suis partie de plus en plus loin et de plus en plus longtemps. Et petit à petit ce monde ne me quitte plus jusqu’au point de non-retour dans lequel je me trouve actuellement où je ne me vois carrément plus vivre sans lui.

Outre le fait que je suis convaincue que dans une autre vie j’étais mariée avec Salah El Din et que mon inconscient me relie à cette partie-là de ma vie, je crois qu’il y a plusieurs raisons à cette passion.

Je crois que ce que j’aime là-bas, c’est le défi que cela représente. Le Maroc était pour moi une belle et tranquille entrée en matière avec le Monde Arabe. Certes chaque pays est (très) différent mais on peut quand même trouver des similarités culturelles à peu près tous les pays arabes. J’ai pu tranquillement me familiariser avec les codes sociaux, le rapport au temps, à la famille, à l’Occident, etc. Puis l’Égypte m’a endurcie et renforcée, m’ouvrant les yeux sur une autre réalité du monde et sur ma condition. La Palestine m’a bouleversée et a remis en question tous mes choix de vie, même ceux qui me semblaient solides, pour m’envoyer vers une autre vie. La Syrie me porte doucement vers une autre direction, plus loin dans l’engagement. J’aime ce que le Monde Arabe a fait de moi : une personne plus forte et plus courageuse, il m’a rendue plus extravertie, m’a appris à beaucoup relativiser et à m’engager.

Il m’offre également chaque jour ses richesses à travers ses cultures que ce soit en traditions, coutumes, livres, musiques, cinéma… J’aime le cinéma de Nabil Ayouch, Youssef Chahine, ou Lyes Salem, les romans d’Alaa El Aswany, Naguib Mahfouz et Tahar Ben Jelloun, les BD de Zeina Abiracheb ou Riad Sattouf et beaucoup d’autres. J’ai d’ailleurs sur ce blog une page où je note les références des œuvres littéraires et cinématographiques que j’ai lues/regardées. Quand on commence à s’intéresser au Monde Arabe, la richesse de son histoire et de ses cultures est un puits sans fin.

Mais la raison majeure qui m’a fait aimer le Monde Arabe, ce sont les gens. On peut adorer une ville, un pays, on ne reste que si l’on a rencontré de belles personnes. Et dans ce Monde Arabe, j’en ai rencontré à la pelle des gens fabuleux. Ça a d’ailleurs commencé loin du Monde Arabe, en France. Tout d’abord avec mes élèves issus de l’immigration, et ils ont été nombreux, qui ont permis d’éveiller en moi deux passions : le Monde Arabe et l’enseignement. Puis avec des amis proches. Les deux personnes qui m’ont le plus marquée et qui m’ont doucement amenée vers ce destin-là, sont mes amies Meriem et Amina.

Meriem est une ancienne collègue avec qui j’ai travaillé comme surveillante en 2011-2012. Le coup de foudre amical a été immédiat et nous n’avons jamais quitté la vie de l’autre depuis. Elle est la personne qui a réellement commencé à m’ouvrir les yeux sur le Monde Arabe, les gens et la beauté de la religion musulmane. Elle m’a ouvert les portes de sa vie et de sa famille et m’a permis plus tard de partir en stage au Maroc, accueillie par une partie de sa famille qui m’a, à son tour, fait entrer dans leur vie, leur culture et leur intimité. Aujourd’hui mon amitié avec cette femme, d’une bonté et d’une douceur infinies, est intacte, près de dix ans après notre rencontre et malgré les kilomètres. Elle est mon alter égo en terme de sensibilité et nos moments partagés sont toujours intenses en émotion.

Amina est également une ancienne collègue avec qui j’ai travaillé en 2014 dans un autre établissement scolaire. Ici aussi, le coup de foudre amical a été immédiat. Outre les fous rires quand nous rentrions de la piscine à deux sur mon vélo, nous avons partagé six mois très forts en discussions et en échanges. Elle a continué mon éducation en culture arabe, langue et religion. C’est d’ailleurs elle qui m’a conseillé l’un de mes livres préférés « Aïcha, la bien-aimée du Prophète ». J’ai eu la chance de la rencontrer et de passer ces quelques mois avec elle, avant que chacun ne prenne son propre chemin. Je sais que notre rencontre m’a marquée à jamais et que notre amitié perdure également malgré le temps et les kilomètres.

Une fois arrivée dans le Monde Arabe, les rencontres fabuleuses ne se sont pas taries, loin de là. Dès mon premier jour au Maroc, alors que j’étais à la gare routière de Marrakech et que j’attendais le bus qui me conduirait à Ouarzazate. Dans la salle d’attente, j’étais assise à côté d’une dame et son petit garçon alors âgé d’environ 8 ans. Je vois du coin de l’œil la femme indiquer à son fils de me proposer un des biscuits qu’il était en train de manger. J’accepte. Commence alors une belle amitié avec ma chère amie Houda que je revois à chacun de mes voyages au Maroc.

En Égypte, de nombreuses rencontres m’ont marquée à jamais. Bien entendu, il y a le seul et unique Naguib, mon Égyptien préféré, celui qui a changé ma vie et que je ne pourrai jamais remercier assez de m’avoir ouvert la porte de l’Égypte. Tous ses amis, Boda, Mahmoud, Abdu, Islam, Tuni, Mustafa, ceux que j’appelle « Les garçons » et qui sont mes plus proches amis au Caire. Ils m’ont complètement intégrée, m’ont montré comment survivre dans cette ville folle, m’ont appris des rudiments d’arabe et ont partagé avec moi leurs souvenirs, leurs espoirs, leurs doutes.

Alors oui le Monde Arabe, ce n’est pas tout rose. Il y a des problèmes, plein de choses qui ne vont pas, de grands changements nécessaires et des gens mauvais comme partout. Mais pour ma part, je crois réellement qu’il a fait ressortir le meilleur de moi-même et c’est pour cela que j’essaye de lui donner moi aussi en retour le meilleur de moi-même.

À tous mes amis, anciens, nouveaux, en France, au Maghreb ou au Moyen-Orient. Aux potes, aux frères, aux sœurs, aux collègues, aux passants. Aux Marocains, aux Algériens, aux Égyptiens, aux Palestiniens, aux Syriens.

Je vous aime, merci pour tout <3

Tour du monde de mes appartements – Partie 2

Après mes diverses pérégrinations qui m’avaient jusqu’alors menée à Berlin, Avignon, Marseille, Ouarzazate et Moscou, j’étais donc de retour à Avignon.

J’ai pris un appartement dans le garage aménagé d’un médium et ai retrouvé du travail le temps de mettre en place un plan pour la suite. Je devais finir mon mémoire, que j’avais repoussé, pour valider mon Master, commencer à me renseigner pour devenir contractuelle en attendant de passer le concours et chercher un appartement à moi pour m’installer pour de bon.

J’ai effectivement fini mon mémoire et pris les renseignements pour passer le CAPES, mais une nouvelle aventure m’attendait. En mai 2014, j’ai reçu un coup de téléphone de mon ami Jerem qui me proposait de partir un mois avec lui en Égypte rendre visite à un ami commun. Je n’avais jamais eu aucune envie d’aller en Égypte mais j’acceptai tout de même : un voyage, ça ne se refuse pas. Avant de partir, j’avais quitté mon appartement-garage et (encore) mis mes affaires chez mes parents. Le plan était de passer le mois de juin en Égypte puis de passer l’été à droite à gauche et de chercher un nouvel appartement dans lequel réellement m’installer à la fin de l’été.

Un coup de foudre instantané pour le Caire plus tard, je décidai finalement de rester dans la capitale égyptienne plus longtemps que prévu. J’emménageais alors avec mon amie Paola qui venait juste de trouver un appartement dans le quartier de Mounira. L’appartement était vide, à part un vieil évier et une gazinière dans la cuisine. Paola avait les meubles de sa chambre, quelques affaires pour le salon et un matelas pour ma chambre, c’était tout. On a donc commencé à meubler petit à petit avec les moyens du bord. J’ai récupéré des cagettes du marché pour faire une sorte d’étagères où mettre mes vêtements et acheté des draps pour mon lit, ça suffisait pour ma chambre. Pour le salon Paola avait acheté des coussins et des tapis, et Naguib nous avait aidées pour la décoration. On a également finalement acheté un frigo au bout d’un mois, ça a tout changé !

Assistante en cheffe de Naguib pour le graffiti du salon « LIBERTE »

 

La porte d’entrée de l’immeuble.

Finalement au bout de quelques mois à vivre au Caire, à passer mes soirées et mes nuits dans les cafés, à arpenter la ville, à rencontrer du monde, à vivre, je décidai tout de même de rentrer en France. Je retournai très régulièrement en Égypte et je logeai à droite à gauche lorsque je revenais. Entre-temps en France, je restais chez mes parents quelques mois, le temps de trouver un appartement de nouveau dans le centre-ville d’Avignon.

Ce fut rue Carnot que je trouvais mon bonheur. En haut d’un étroit escalier en colimaçon, trônait mon petit appartement d’amour. Je pouvais de nouveau récupérer tous mes cartons, mes meubles, et commencer à aménager mon nouveau chez-moi. Mais une chose avait changé dans ma manière de vivre. J’avais longtemps tout accumulé, je gardais tout, je ne me séparais de rien, j’avais aussi une belle fièvre acheteuse, surtout en terme de merdes en plastique, vêtements en matières pourries que je ne portais jamais, et autres déchets. Depuis Moscou, je commençais à me questionner sur ma manière de consommer, j’avais commencé par les cosmétiques car je sentais que ce n’était pas adapté. Partir au Caire m’avait confrontée de plein fouet à une autre réalité et en rentrant, je me suis retrouvée dégoutée par moi-même de tout ce que je possédais qui n’avait aucun intérêt, que je n’utilisais pas ou dont la production était toxique pour l’environnement. J’ai alors commencé un tri drastique et j’ai réduit de moitié ce que je possédais, j’ai éliminé le plastique au maximum de ma vie et tenté de trouver une manière de consommer plus intelligemment.

Je me sentais bien dans cet appartement avignonnais.

La vue du petit atelier caché à l’étage.

 

Pourtant, un an plus tard, je déménageais pour un autre appartement avignonnais. Mes projets avaient changé : je ne souhaitais plus passer le CAPES (j’avais compris que je n’avais en réalité pas envie de rester tout le temps en France et que j’avais besoin de bouger quand je le voulais) et je mettais donc en place une autre manière de vivre. Le but était d’être enseignante contractuelle à Avignon et autour, quand j’avais envie d’être en France ou tout simplement besoin d’argent, et de voyager quand je le souhaitais. Pour cela, il fallait trouver une solution au logement. J’avais déjà plusieurs fois quitté un appartement pour aller travailler à l’étranger, et au retour c’était toujours la même problématique pour se réinstaller, trouver un endroit, déménager, faire les papiers, etc. Je voulais un chez-moi que je pouvais facilement quitter. La solution m’est tombée droit dessus lorsqu’une ancienne collègue m’a parlé d’un appartement qui se libérait juste au-dessus de chez elle, bien placé, avec une belle surface et plusieurs chambres. C’était idéal pour moi. Malgré le fait qu’il y avait BEAUCOUP de travaux de remise à neuf à faire, cela me permettait d’avoir des colocataires toute l’année, ce qui bien entendu réduisait déjà mon loyer toute l’année, mais cela me permettait aussi de sous-louer ma chambre lorsque je partais en voyage. J’ai donc déménagé dans mon nouvel appartement Rue Saint-Michel pour aménager ce qui allait devenir « La maison du bonheur ».

C’était réellement la maison du bonheur car j’y ai vécu de nombreux beaux moments, j’y ai vécu la plupart du temps avec l’une de mes amies les plus proches, Camille, qui a été la meilleure coloc de tous les temps et avec qui la vie était facile et belle. C’était un appartement dont la porte était toujours ouverte, où nous vivions officiellement à trois mais souvent à plus, nous invitions toujours nos amis, on faisait des soirées, des moments café et discussions, des fêtes, etc. C’était réellement la belle vie.

En 2017, j’ai sous-loué ma chambre pour réaliser mon rêve du moment : partir quelques mois en sac-à-dos au Moyen-Orient. Le plan était de partir quelques semaines en Égypte, quelques semaines en Jordanie puis quelques semaines en Palestine. Le plan initial s’est allongé, j’ai finalement passé deux mois et demi en Égypte, deux semaines en Jordanie puis trois mois en Palestine.

Lorsque j’étais en Palestine, j’allais de ville en ville selon les besoins des associations avec lesquelles j’étais bénévole. Mais pendant un mois et demi, j’ai loué un petit appartement à Naplouse car je donnais des cours d’anglais dans un centre de langues. C’était un petit appartement loué à une grand-mère qui me ramenait parfois des petits gâteaux. Il était situé sur la montagne, en haut d’un grand escalier qui, je pense, a contribué à me faire perdre les 8 kilos que j’avais perdus en Palestine. Il y avait une petite cour avec un olivier en plein milieu ce qui m’avait conquise au moment de la visite. Et je crois que c’est bien la seule chose parce qu’il faut quand même avouer que c’était un sacré bordel.

Après un bon nettoyage et un grand tri, je pouvais profiter d’un bon petit-déjeuner avec vue sur mon olivier et les collines de Naplouse.

En janvier 2018, je suis rentrée en France et j’ai réintégré mon appartement avignonnais. Heureuse de le retrouver et de retrouver mes colocs. Pourtant, petit à petit, s’immisçait déjà en moi, non l’envie, mais le besoin de repartir. Je ne me retrouvais plus dans ma vie en France, je vivais une période très difficile et j’avais besoin d’être là où je me sentais le mieux : au Moyen-Orient.

En août 2018, je revenais donc une fois de plus, au Caire. J’ai d’abord partagé une colocation avec trois autres personnes et deux chats dans le centre-ville du Caire juste à côté de la station de métro Mohamed Naguib. J’avais trouvé l’annonce sur Facebook quand j’étais en France et nous nous étions appelés avec les colocs présents pour que je puisse les rencontrer via Facetime et avoir une idée de l’appart. J’avais eu un très bon feeling avec les colocs, et la localisation et le prix de la coloc me convenaient donc j’avais accepté. Mais très vite, l’appart s’était révélé en réalité trop bruyant, sale, pas entretenu, avec pas mal de problèmes typiques des apparts du Moyen-Orient : les appareils électroniques qui ne fonctionnent pas, les câbles qui sortent partout, le manque de place, etc. Je ne supportais plus les chats qui puaient dont le propriétaire ne s’occupait pas. Et l’appartement était un vrai lieu de fêtes chaque soir. Ça allait au début quand je suis arrivée, mais lorsque j’ai commencé à travailler, ça devenait impossible de dormir avec le bruit et je ne supportais plus de me lever et de prendre mon petit-déjeuner au milieu des mégots et des cadavres de bières. Il fallait donc partir.

Une chambre tellement glamour.
Le squatteur n°1
Une de mes vues préférées <3
L’autre vue moins glamour.

 

Après près de deux mois de recherche et de visites d’appartements plus vétustes les uns que les autres, j’ai finalement trouvé un bel appartement que j’allais partager avec une de mes colocs du premier appart qui souhaitait également partir. Nous avions réellement trouvé la perle rare, et après un déménagement épique avec un matelas sur le toit du taxi, nous avons aménagé notre nouvel appartement à notre goût à partir de novembre 2018.

Mes petites affaires qui m’accompagnent toujours <3

 

Mais en Égypte, rien n’est jamais aussi simple. Et rapidement la situation s’est compliquée. Le propriétaire s’est révélé être complètement dingue et intrusif, et ma colocataire bien trop reloue. Au retour de mes vacances d’été en septembre 2019, j’ai donc dû me mettre à la recherche d’un nouvel appartement.

J’ai eu de la chance cette fois-ci et j’ai vite trouvé un appartement dans le quartier de mon école à Garden City. Je crois même que c’est le premier et seul appartement que j’ai visité. Même si l’appartement n’était pas l’appart de mes rêves et comportait des problèmes, je n’ai pas hésité à le prendre car il était « correct », et au Caire, surtout à Garden City, un superbe quartier et le quartier de mon école en plus, « correct », c’est bien.

Évidemment, le propriétaire s’est révélé lui aussi être fou et intrusif, malhonnête et menteur, mais j’ai pu malgré tout passer mon année scolaire tranquillement dans mon appartement et, surtout, réapprécier de vivre seule. Je me souviens particulièrement du jour où je suis rentrée de vacances fin janvier 2020, j’avais passé quelques semaines en France pour Noël puis une semaine seule à Istanbul et je rentrais pour la première fois seule dans mon appart cairote que j’avais jusqu’alors partagé avec quelqu’un mais qui ne reviendrait pas. J’appréhendais un peu le retour seule à la maison, je ne savais pas si j’allais me sentir à l’aise ou bien si ça allait être dur. Mais quand je suis rentrée, je me suis sentie tout de suite bien dans mon chez-moi. J’étais heureuse de retrouver mon appart, mes affaires, et bientôt mon quotidien.

Ce quotidien allait être interrompue de manière brutale à peine deux mois plus tard en mars 2020 en raison de la pandémie du COVID et j’allais déménager du Caire en 24 heures pour me confiner (et hiberner) chez mes parents à Rochefort du Gard. Suivrait six mois en France, la parution du poste vacant au lycée français de Damas, ma décision de partir m’installer en Syrie et un voyage mouvementé !

Tous ces déménagements, tous ces différents modes de vie, que ce soit en France ou à l’étranger, m’ont toujours apporté beaucoup de joie mais aussi beaucoup de réflexions et de quêtes personnelles. Je suis tombée un jour sur ce dicton :

Cette citation m’a bien évidemment énormément parlé car c’est la question centrale de ma vie : choisir l’arbre, la stabilité, un certain confort, une sécurité, ou bien la pirogue, le voyage, la découverte, l’inconnu, mais aussi l’instabilité et l’insécurité pas toujours faciles à gérer. J’ai tenté différentes choses qui ont, soit fonctionné à un moment-donné puis plus à un autre, comme vivre à Avignon et partir en voyage de temps en temps, soit n’ont pas fonctionné au début, vivre quelque temps à l’étranger, mon expérience moscovite a été compliquée, mais finalement fonctionne aujourd’hui, j’ai adoré m’installer au Caire et je suis très heureuse dans ma vie damascène.

C’est fou comme on évolue et comme on change avec le temps. Quand j’étais plus jeune et jusqu’à il y a très peu de temps, l’année dernière je pense, j’avais ce besoin presque maladif d’avoir mon propre chez-moi avec mes affaires, mes meubles, ma décoration, mon aménagement. Il m’aura fallu douze ans pour réussir à lâcher cette nécessité de contrôler l’environnement qui m’entoure et ne plus me laisser parasiter par des détails. J’ai rendu les clés de la maison du bonheur en juin dernier, et même si elle représentait l’appartement parfait, je savais que c’était une libération.

Aujourd’hui je me sens sereine car je sais que mon arbre – ma famille, mes amis, la France – sont tout près et me permettent avec leur amour et leur bienveillance de mener ma pirogue où le vent me mène.